Editorial
Internet est contrôlé par les Américains.
Est-il encore temps de réagir ?
Jean-Paul Baquiast, Christophe Jacquemin, 03/07/2014
Devons-nous
nous réjouir d'avoir vu clair avant les soi-disant
stratèges en géopolitiques qui n'avaient pas
depuis cinq ans prêté la moindre attention
à nos articles, ni même sans doute (soyons
réalistes), les avoir lus ? Quoi qu'il en soit, ces
stratèges se réveillent et commencent à
découvrir la situation catastrophique dans laquelle
la France s'est mise, par l'incompétence de ses dirigeants
et l'ignorance béate de ses citoyens. Il n'est pas
certain que ce réveil ébranlera la tranquillité
dans laquelle les Français dans leur ensemble continuent
à dormir. Mais une alerte commence à se répandre.
Malheureusement, on peut penser que nous nous réveillons
trop tard et que nous ne pourrons pas nous dégager
du système qui dorénavant nous colonise.
L'un
de ces lanceurs d'alerte est Pierre Bellanger, fondateur
et président de Skyrock. Dans son livre La
souveraineté numérique (paru aux éditions
Stock), il prévient que "la grande dépression
que nous connaissons depuis cinq ans n'est qu'un modeste
épisode en comparaison du cataclysme qui s'annonce".
Si "la mondialisation a dévasté nos classes
populaires, l'internet va dévorer nos classes moyennes".
Pour exemple, il note que le web "détruit quatre
emplois pour un emploi créé". Mais le
problème n'est pas seulement là. Il se retrouve
à peu de choses près partout dans le monde.
Le problème est que "la France et l'Europe n'ont
aucune maîtrise sur cette révolution",
car "l'Internet et ses services sont contrôlés
par les Américains". Toutes nos données
sont pillées par les géants du Net que sont
Google, Facebook ou Amazon. Mais, rappelle Bellanger: "Les
sociétés américaines, les Etats-Unis
font leur travail. C'est nous qui ne faisons pas le nôtre".
Citons encore Pierre Bellanger : "Une nation sans secret
n'a plus d'économie: sa propriété intellectuelle
est maraudée. Une nation sans secret n'a plus de
défense: sa stratégie connue d'avance restera
sans effet. Pour les individus, c'est leur être intime
qui est menacé (
) Ils sont à la merci
de toute interprétation, altération, manuvre,
manipulation, chantage, déstabilisation, malveillance.
(
) . Celui qui connaît les méthodes des
services secrets sait qu'il y a là une source de
pressions et d'influence quasi infinie (
) Nous sommes
dans une situation collective de non-assistance à
personne en danger dont la responsabilité revient
aux pouvoirs publics. Face à ce défi, notre
souveraineté numérique est la clef de voûte
de notre maintien en tant que puissance et du devenir de
notre prospérité et de nos libertés."
A
juste titre, Pierre
Bellanger met en cause la responsabilité des gouvernants,
qui n'ont rien vu et qui encore aujourd'hui, malgré
dirions-nous les rodomontades d'un Arnaud Montebourg, continuent
à laisser faire. Cependant, il ne renonce pas à
lancer un appel aux pouvoirs publics européens et
français. en proposant de créer un "porte-avion
Internet autour duquel s'organiseraient des réseaux
de services". Pour cela, il évoque le nom d'Orange.
"Le projet : mettre la France en réseau et faire
d'Orange le cur de ce réseau".
Disons
pour notre part qu'un tel projet ne pourra même pas
commencer à se préciser si lesdits pouvoirs
publics se refusent à s'affranchir des oukases de
l'économie libérale, imposée à
Bruxelles par les Américains et reprise en France
par des dirigeants sous contrôle. Orange, dont nous
sommes en ce qui nous concerne très à même
d'apprécier les qualités héritées
de la grande tradition de France Télécom,
ne pourra jamais rien faire si le gouvernement français
continue à l'obliger de partager ses investissements
avec des entreprises recherchant le profit le plus immédiat
dans la seule téléphonie mobile. Orange ne
pourra jamais rien faire si l'Etat n'entre pas à
son capital et n'y apporte pas un nombre suffisant de dizaines
de millions.
Au-delà
de Orange, les Etats européens devraient investir
des milliards pour retrouver un minimum de bases industrielles
en matériels et en logiciels capables de commencer
à se libérer de la domination américaine.
Ils devraient aussi encourager les dizaines de milliers
de jeunes ingénieurs à se tourner vers ces
secteurs, au lieu de se reconvertir faute d'emplois dans
la restauration rapide ou autres domaines déjà
saturés. Mais quand on a vu comment l'Etat français
avait laissé les actionnaires d'Alstom vendre une
entreprise réputée stratégique aux
Américains, on peut être quasi certain que
le porte-avions Internet dont parle Pierre Bellanger n'est
pas prêt d'être mis en chantier.
En savoir plus :
Lire l'article paru dans Challenges.
Sur le même sujet, lire dans Le Monde cet article
de Laurent Bloch, statisticien et informaticien, co-fondateur
de lun des premiers fournisseurs daccès
Internet français. Il est aujourdhui chercheur
en cyber-stratégie à l'Institut français
d'analyse stratégique (IFAS).
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