Article.
Repenser l'étude du cerveau
Jean-Paul Baquiast 22/03/2017

Carte des connections neuronales. Source. Article cité
ici
Nous republions ici, avec l'accord
de l'éditeur, l'article désigné ci-dessus.
On retrouvera sur le site Theconversation l'article complet
avec ses liens et ses illustrations.
Auparavant, nous voudrions présenter
quelques réflexions sur le thème.
En simplifiant beaucoup, il faut constater
que l'on retrouve là une question qui est toujours
à l'arrière plan de tous les débats
scientifiques: faut-il pour comprendre au mieux un phénomène,
recourir à une approche globale aussi synthétique,
ou à une approche analytique. Celle-ci étudie
les détails du phénomène, qui risquent
de disparaître dans l'approche synthétique.
En mettant bout à bout ces détails, on peut
espérer retrouver le phénomène, mais
en éclairant plus complètement ses composantes.
L'approche synthétique a toujours
été celle de la philosophie: qu'est-ce que
l'esprit, l'intelligence voire l'âme? . Mais elle
est aussi celle de tous les organismes vivants confrontés
à des difficultés qu'ils doivent résoudre
en urgence sans chercher à les comprendre en détail.
Si je me trouve dans la forêt confronté à
un carnivore menaçant, je dois constater la menace
afin de la fuir sans chercher à savoir à quelle
espèce appartient cet animal, et plus précisément
s'il s'agit d'un mâle ou d'une femelle. Ceci dit,
le danger évité, je peux utilement me poser
la question du sexe de l'animal, afin de me demander si,
selon l'espèce ou le sexe, il est plus ou moins dangereux:
par exemple un mâle en quête de proie ou une
femelle défendant ses petits.
Depuis des millénaires, les humains, dotés
du langage, ont donné des noms aux phénomènes
qu'ils observaient, et attaché à ces noms
les grandes caractéristiques de ces phénomènes.
Ceci afin d'obtenir et de transmettre une connaissance minimum.
Ce faisant, dès qu'ils le pouvaient, ils observaient
les détails visibles de ces phénomènes,
ce qui leur permettaient d'en obtenir une représentation
plus fidèle. Ils pratiquaient donc ainsi une approche
analytique.
A partir de ces détails, ils étaient
tentés d'aller plus loin dans l'analyse, afin de
définir plus en profondeur l'objet observé:
le mâle et la femelle, pour suivre notre exemple,
se distinguant par le taille, le pelage, les détails
de comportement. Pour approfondir encore, il fallait analyser
plus complètement ces détails de comportement.
Le cerveau
Le langage transmettait ainsi non seulement
l'information globale acquise sur le phénomène,
mais le cas échéant les informations de détail
en donnant des descriptions plus précises. Concernant
le cerveau et son rôle dans le contrôle des
comportements, une même approche synthético-analytique
a toujours été pratiquée. Le cerveau
est d'abord apparu comme commandant globalement l'état
du corps, la mort du cerveau entraînant ainsi la mort
du corps. De même, un comportement enfantin était
associé à un cerveau en cours de développement,
les adultes disposant, comme on pouvait l'observer dans
une autopsie post mortem, d'un cerveau plus important en
taille et en complexité.
Mais très vite, des analyses anatomique
portant sur des cerveaux blessés ont permis d'associer
telle aire cérébrale à tel comportement
global. Ainsi, dans le cas célèbre de Phineas
Gage (1823 - 1860), contremaître des chemins de fer
victime d'une perforation crânienne ayant endommagé
le cerveau mais qui avait survécu, il fut possible
d'associer le trouble profonde de sa personnalité
consécutif à la destruction d'une aire cérébrale
précise. Par la suite, notamment dans le traitement
des blessés de guerre ayant reçu des atteintes
au cerveau, il fut possible de mieux préciser les
troubles de comportement consécutifs à tel
ou tel dommage identifié dans la boite crânienne
et dans la partie du cerveau correspondant.
De proche en proche, par des observations
anatomiques de plus en plus précises associées
à l'observation des comportements correspondants,
il fut ainsi possible d'identifier les aires spécifiques,
par exemple les aires dites de Broca et Wernicke intervenant
dans la compréhension et dans l'émission du
langage. Mais les anatomistes furent dès le début
conscients que ces aires définissaient des zones
globales sans constituer des régions anatomiques
et fonctionnelles uniformes. Le reste du cerveau intervenait
aussi, d'une façon mal comprise. Il en fut ainsi
progressivement des autres grandes fonctions du cerveau.
Aussi bien, très vite, les neurologues
en arrivèrent à considérer que le cortex
supérieur ou associatif mettait en relation, grâce
notamment à des neurones à longue fibre, toutes
les zones du cerveau internant dans le traitement des opérations
complexes. Certains d'ailleurs en vinrent à penser
que le cortex supérieur était le siège
de la conscience. Mais très vite une étude
plus approfondie des comportements associés à
la conscience montrèrent qu'il n'en était
rien.
La MRI
La multiplication enregistrée depuis
une vingtaine d'années des techniques d'analyse fonctionnelle
dites globalement MRI ou Magnetic resonance imaging, ou
leurs variantes, a permis d'oberver avec de plus en plus
de précision le rôle des fibres neuronales
voire de neurones individuels s'activant dans telle ou telle
aire cérébrale à l'exercice de telle
ou telle fonction. Les observations de type analytique se
sont ainsi multipliées, rendant de plus en plus difficiles
des analyses synthétiques mettant en corrélation
l'activité des neurones et le rôle du cerveau
dans des fonctions complexes encore mal caractérisées
telles que l'interprétation des messages sensoriels,
l'apprentissage, l'intelligence voire la conscience.
Certes des scans du cerveau entier du cerveau
à l'exercice de ses fonctions commencent à
apparaître. Mais ils restent difficiles à interpréter
et surtout ne permettent pas l'observation en profondeur.
Celle-ci, dite stimulation cérébrale profonde,
est une méthode invasive consistant à implanter
des électrodes dans le cortex supérieur. On
conçoit que les volontaires pour subir de telles
expérimentations ne se précipitent pas.
L'article publié ci-dessous veut
cependant montrer que des approches globales seront de plus
en plus envisagées. Elles viseront à considérer
le cerveau comme un réseau complexe interconnecté.
Des perturbations introduites dans ce réseau, comme
résultant de la prise d'une drogue telle que le LSD,
pourraient alors être analysées comme des perturbations
dans un réseau se traduisant par des perturbations
dans le comportement global du sujet.
L'article, qui semble-t-il n'a pas été
écrit par un spécialiste des réseaux
numériques, ne précise pas assez comment une
connaissance précise de tels réseaux et de
leur comportement face à l'introduction de facteurs
nouveaux pourrait renseigner, voire orienter, l'étude
des comportements globaux du cerveau et de leurs perturbations.
I
ll y aura là, on le devine, un champ
immense pour la formulation et la vérification d'hypothèses
originales. Mais les ressources disponibles pour ce faire
sont rares. De plus elles sont en pratique très largement
mobilisées par les gouvernements ou par des organisations
(telles que Google) préparant la guerre dite de 4e
génération 2.0 ou guerre psychologique utilisant
les données et les réseaux.
The brain: a
radical rethink is needed to understand it
Understanding the human brain is
arguably the greatest challenge of modern science. The leading
approach for most of the past 200 years has been to link
its functions to different brain regions or even individual
neurons (brain cells). But recent research increasingly
suggests that we may be taking completely the wrong path
if we are to ever understand the human mind.
The idea that the brain is made up of numerous regions that
perform specific tasks is known as modularity.
And, at first glance, it has been successful. For example,
it can provide an explanation for how we recognise faces
by activating a chain of specific brain regions in the occipital
and temporal lobes. Bodies, however, are processed by a
different set of brain regions. And scientists believe that
yet other areas memory regions help combine
these perceptual stimuli to create holistic representations
of people. The activity of certain brain areas has also
been linked to specific conditions and diseases.
The reason this approach has been so popular is partly due
to technologies which are giving us unprecedented insight
into the brain. Functional magnetic resonance imaging (fMRI),
which tracks changes in blood flow in the brain, allows
scientists to see brain areas light up in response to activities
helping them map functions. Meanwhile, Optogenetics,
a technique that uses genetic modification of neurons so
that their electrical activity can be controlled with light
pulses can help us to explore their specific contribution
to brain function.
While both approaches
generate fascinating results, it is not clear whether they
will ever provide a meaningful understanding of the brain.
A neuroscientist who finds a correlation between a neuron
or brain region and a specific but in principle arbitrary
physical parameter, such as pain, will be tempted to draw
the conclusion that this neuron or this part of the brain
controls pain. This is ironic because, even in the neuroscientist,
the brains inherent function is to find correlations
in whatever task it performs.
But what if we instead considered the possibility that all
brain functions are distributed across the brain and that
all parts of the brain contribute to all functions? If that
is the case, correlations found so far may be a perfect
trap of the intellect. We then have to solve the problem
of how the region or the neuron type with the specific function
interacts with other parts of the brain to generate meaningful,
integrated behaviour. So far, there is no general solution
to this problem just hypotheses in specific cases,
such as for recognising people.
The problem can be illustrated by a recent study which found
that the psychedelic drug LSD can disrupt the modular organisation
that can explain vision. Whats more, the level of
disorganisation is linked with the severity of the the breakdown
of the self that people commonly experience when taking
the drug. The study found that the drug affected the way
that several brain regions were communicating with the rest
of the brain, increasing their level of connectivity. So
if we ever want to understand what our sense of self really
is, we need to understand the underlying connectivity between
brain regions as part of a complex network.
A way forward?
Some researchers now believe the brain and its diseases
in general can only be understood as an interplay between
tremendous numbers of neurons distributed across the central
nervous system. The function of any one neuron is dependent
on the functions of all the thousands of neurons it is connected
to. These, in turn, are dependent on those of others. The
same region or the same neuron may be used across a huge
number of contexts, but have different specific functions
depending on the context.
It may indeed be a tiny perturbation of these interplays
between neurons that, through avalanche effects in the networks,
causes conditions like depression or Parkinsons disease.
Either way, we need to understand the mechanisms of the
networks in order to understand the causes and symptoms
of these diseases. Without the full picture, we are not
likely to be able to successfully cure these and many other
conditions.
In particular, neuroscience needs to start investigating
how network configurations arise from the brains lifelong
attempts to make sense of the world. We also need to get
a clear picture of how the cortex, brainstem and cerebellum
interact together with the muscles and the tens of thousands
of optical and mechanical sensors of our bodies to create
one, integrated picture.
Connecting back to the physical reality is the only way
to understand how information is represented in the brain.
One of the reasons we have a nervous system in the first
place is that the evolution of mobility required a controlling
system. Cognitive, mental functions and even thoughts
can be regarded as mechanisms that evolved in order
to better plan for the consequences of movement and actions.
So the way forward for neuroscience may be to focus more
on general neural recordings (with optogenetics or fMRI)
without aiming to hold each neuron or brain region
responsible for any particular function. This could be fed
into theoretical network research, which has the potential
to account for a variety of observations and provide an
integrated functional explanation. In fact, such a theory
should help us design experiments, rather than only the
other way around.
Major hurdles
It wont be easy though. Current technologies are expensive
there are major financial resources as well as national
and international prestige invested in them. Another obstacle
is that the human mind tends to prefer simpler solutions
over complex explanations, even if the former can have limited
power to explain findings.
The entire relationship between neuroscience and the pharmaceutical
industry is also built on the modular model. Typical strategies
when it comes to common neurological and psychiatric diseases
are to identify one type of receptor in the brain that can
be targeted with drugs to solve the whole problem.
For example, SSRIs which block absorption of serotonin
in the brain so that more is freely available are
currently used to treat a number of different mental health
problems, including depression. But they dont work
for many patients and there may be a placebo effect involved
when they do.
Similarly, epilepsy is today widely seen as a single disease
and is treated with anticonvulsant drugs, which work by
dampening the activity of all neurons. Such drugs dont
work for everyone either. Indeed, it could be that any minute
perturbation of the circuits in the brain arising
from one of thousands of different triggers unique to each
patient could push the brain into an epileptic state.
In this way, neuroscience is gradually losing compass on
its purported path towards understanding the brain. Its
absolutely crucial that we get it right. Not only could
it be the key to understanding some of the biggest mysteries
known to science such as consciousness it
could also help treat a huge range of debilitating and costly
health problems.
Références
The brain: a radical rethink is needed
to understand it
Auteur Henrik Jörntell
Senior Lecturer in Neuroscience, Lund University
https://theconversation.com/the-brain-a-radical-rethink-is-needed-to-understand-it-74460
Lund University
https://theconversation.com/institutions/lund-university-756
Alain Cardon nous écrit à
ce sujet (22/03):
Il y a lobservation
dun système et il y a la modélisation
conceptuelle de ce système selon les éléments
de modélisation utilisables. La bonne approche scientifique
consiste toujours à définir des modèles
conceptuels puis à les valider ou les invalider par
lobservation expérimentale et à continuer
ce processus. On ne peut pas évacuer les modèles
mathématiques et informatiques qui engagent à
comprendre des architectures des systèmes et ne pas
se se poser des questions sur la raison de la dynamique
organisationnelle dun système auto-contrôlé
comme le cerveau.
Je ne crois pas que lobservation
systématique du cerveau par les neurobiologistes
avec la RMI sans se baser sur un modèle complet préalable
leur permettra de comprendre quelle est vraiment et finement
son architecture dynamique.
Il y a deux éléments
conceptuels à trouver dans l'architecture du cerveau
:
1 - Il y a les éléments significatifs dinformations
qui sactivent ou qui ne sactivent pas et qui
définissent des éléments dune
représentation mentale.
2 - Il y a ce qui engage à activer ces éléments
significatifs dinformations et à les lier à
dautres pour quémerge une représentation
qui va être ressentie.Si lon veut, il y a des
données dynamiques et il y a des éléments
de contrôle. Comment le contrôle sexerce-t-il,
pourquoi, à quels niveaux, selon quelles boucles
systémiques dynamiques, avec quelle architecture,
pour former quelle représentation avec quels caractères
?
Larchitecture dun
système qui génère et appréhende
en en ayant conscience des représentations mentales
artificielles produites intentionnellement à partir
déléments de base portant de linformation
et qui sont contrôlés par des éléments
régulateurs à de multiples échelles
pour former des nappes dépendantes dauto-organisations
dynamiques, a été décrite par moi il
y a des années et les publications sont disponibles
gratuitement sur le site Automates Intelligents.
Et jai donné
récemment à lAcadémie Européenne
Interdisciplinaire des Sciences AEIS pour le publier un
article présentant pourquoi on ressent la représentation
qui a été intentionnellement générée
dans son cerveau, pourquoi on la sent être, pourquoi
on en a conscience. Il y a évidemment un modèle
là-dessous qui était à découvrir.
Il suffira donc aux neurobiologistes de lire mes livres
et de sentretenir avec moi, qui habite toujours en
France, sils le veulent.
Christophe Jacquemin écrit (22/03)
Je voudrais ici revenir sur l'importance
des travaux de Gilbert Chauvet dans le domaine (modèle
complet qui permet de comprendre l'architecture dynamique
et des hiérarchies dans le fonctionnement du cerveau).
Grâce aux travaux de Gilbert, on comprend par exemple
(pour reparler des hiérarchisations) pourquoi les
messages au sein des neurones (et cellules gliales) font
à la fois appel à de l'électrique,
mais aussi à du chimique (au niveau des synapses).
Et on comprend comment est traité cette hiérarchisation
(puits et sources... sachant qu'un puits peut devenir bien
longtemps après source (en ayant attendu qu'un ensemble
d'informations se soient déroulées précédemment
dans d'autres puits et d'autres sources [donc comme si il
y avait "une partition d'orchestre dynamique, menée
par un chef d'orchestre"].
Sa théorisation de la dynamique du vivant est géniale,
et l'outil mathématiques qu'il a appelé "S
propagateurs" l'est aussi absolument.
Sur Gilbert Chauvet (décédé),
voir http://www.admiroutes.asso.fr/gilbertchauvet/index.htm