Cet article est une réédition
d'un précédent article de l'auteur. Voir http://www.rtflash.fr/emissions-mondiales-co2-stagnent-mais-rechauffement-climatique-se-poursuit/article
Nous le remercions. Automates Intelligents
La dernière étude internationale
du Global Carbon
Project montre que les émissions mondiales de dioxyde
carbone (CO2) sont restées à un niveau quasi
identique pour la troisième année consécutive
en 2016. Les émissions de CO2 issues de combustibles
fossiles et de l'industrie ont augmenté de 0,2 % en
2016 par rapport à 2015 et s'établissent à
36,4 milliards de tonnes, soit un peu plus de 50 gigatonnes
déquivalent-carbone, par an.
Le Global Carbon Project, qui regroupe des
chercheurs sur le changement climatique, se félicite
de cette stagnation des émissions alors que la croissance
mondiale se poursuit, même s'il estime qu'il faut rester
prudent. Selon le rapport publié dans le journal Earth
System Science Data, les émissions sont susceptibles
de reculer de 0,5 % cette année, en raison du ralentissement
de la croissance et du recul de la consommation de charbon.
Mais l'année 2016 a battu un nouveau record de chaleur
avec une température planétaire moyenne supérieure
d'environ 1,2°C au niveau de l'ère pré-industrielle,
selon l'Organisation météorologique mondiale
(OMM), qui précise que le 21e siècle compte
16 des 17 années les plus chaudes constatées
depuis le début des relevés à la fin
du 19e siècle.
Quant à la concentration des principaux
gaz à effet de serre dans l'atmosphère, elle
atteint des niveaux sans précédent. En outre,
en 2016, l'étendue de la banquise arctique a été
la deuxième plus faible enregistrée (4,14 millions
de km2 en septembre), après celle de 2012 (Voir WMO).
Même si lon doit sen réjouir,
cette récente stabilisation des émissions mondiales
ne suffira pas à atteindre les objectifs climatiques
définis par laccord de Paris issu de la COP21,
à savoir contenir lélévation de
la température moyenne en dessous de 2°C par rapport
aux niveaux préindustriels. Pour avoir de bonnes chances
datteindre un tel objectif, il faudrait, selon ces travaux,
parvenir à réduire de 1 % par an nos émissions
humaines de GES jusquen 2030. Cette étude très
sérieuse nous rappelle par ailleurs limplacable
réalité : lHumanité a déjà
consommé plus des deux tiers de son « budget-carbone
» et à ce rythme, nous aurons entièrement
épuisé notre quota démissions restantes
dans moins de trente ans.
Quant aux effets de ce changement climatique
sans précédent par son ampleur et sa rapidité,
ils ne cessent dêtre réévalués
à la hausse et sont tout sauf abstraits. La semaine
dernière, une étude réalisée par
l'Université américaine de l'Oregon a par exemple
révélé que le niveau de la mer pourrait
augmenter de 6 à 9 mètres dans le futur. Pour
arriver à cette conclusion, léquipe de
chercheurs a réalisé 104 enregistrements des
températures de la mer à la surface à
partir de 83 carottes de sédiments analysées.
Ces dernières contenaient différents éléments
chimiques liés à la température de leau.
Ces travaux montrent également que
la Terre avait atteint un pic de température pendant
les ères glaciaires, il y a 129 000-116 000 ans. En
outre, la comparaison de la température de la surface
de la mer aujourdhui et il y a 125 000 ans montre une
quasi-similitude. En revanche, les océans avaient à
cette époque un niveau beaucoup plus élevé
quà présent : de 6 à 9 mètres
de plus, ce qui nous donne un avant-goût du scenario
de montée globale du niveau des mers qui pourrait se
réaliser dici la fin du siècle
Autre indicateur inquiétant : l'étendue
moyenne des glaces de l'océan Arctique, qui est descendue
à 6,4 millions de kilomètres carrés fin
2016, soit 28,5 % de moins que la moyenne de 1981-2010. Il
sagit de la valeur la plus faible observée depuis
le début des relevés satellitaires en 1979,
selon le Centre national de la neige et de la glace américain
qui précise quen 2016, la température
moyenne en Arctique a été supérieure
de 3,5 degrés à ce quelle était
à la même époque au siècle dernier.
LAgence américaine océanique et atmosphérique
(NOAA), vient pour sa part de confirmer en Février
que la région Arctique avait connu au cours de ces
12 derniers mois sa période la plus chaude depuis un
siècle (Voir Arctic Program).
Sagissant de lévolution
des glaciers alpins, Christian Vincent, chercheur à
lInstitut des géosciences de lenvironnement
de Grenoble (CNRS Institut de recherche pour le développement
- université Grenoble-Alpes - Institut national polytechnique
de Grenoble), et ses collègues viennent de publier
une étude sur six glaciers particuliers, étagés
entre 2 400 et 3 500 mètres daltitude : Sarennes
et Saint-Sorlin en France, Gries et Silvretta en Suisse, Hintereisferner
et Vernagtferner en Autriche (Voir Wiley). Afin de pouvoir
obtenir des mesures à la fois plus précises
et plus homogènes, ces chercheurs ont eu recours à
un nouveau modèle statistique sappuyant sur des
mesures réalisées depuis cinquante ans sur ces
six glaciers. Ces nouvelles mesures plus fiables montrent
que la fonte de ces glaciers a été sous-estimée
et nétait pas, en moyenne, de 1,15 mètre
par an mais de 1,9 mètre chaque année ! «
Nous avons été les premiers surpris par ces
résultats, qui montrent une réaction plus forte
que prévu au signal climatique », indique Christian
Vincent qui ajoute « Ces travaux confirment quavant
la fin du siècle, les géants blancs culminant
à moins de 3 500 mètres auront disparu du paysage
alpin ».
Ces recherches sont confirmées par
une autre étude qui montre de manière solide
que le réchauffement climatique résultant des
activités humaines est très largement responsable
du recul des glaciers de montagne depuis le siècle
dernier. Cette étude, grâce à lanalyse
de 37 glaciers dans le monde, estime notamment que le recul
de 2,8 kilomètres, constaté depuis 1880, du
glacier de l'Hintereisferner en Autriche est dû à
99 % aux émissions humaines de gaz à effet de
serre.
Une autre étude publiée il y
a quelques jours dans la revue Nature montre que 23,4 % des
1272 oiseaux placés sur la liste rouge de lUICN
et 47 % des 873 mammifères terrestres menacés
sont déjà affectés par le réchauffement
climatique. En se focalisant sur les impacts déjà
perceptibles à notre époque alors que la plupart
des travaux anticipent les effets du réchauffement
climatique à un horizon plus lointain, les chercheurs
ont découvert que le spectre despèces
atteintes par le réchauffement climatique est déjà
particulièrement large.
Sur tous les continents, lensemble de
la biodiversité est affectée par le réchauffement,
y compris les grands mammifères comme les primates
ou les éléphants, dont le faible taux de reproduction
ne leur permet pas de sadapter à ce changement
climatique rapide. Mais ce bouleversement du climat en cours
va également avoir une autre conséquence désastreuse
pour lhomme, bien que peu évoquée : la
diminution des rendements agricoles. Des scientifiques du
Potsdam Institute for Climate Impact Research, ont publié
la semaine dernière une large étude portant
sur limpact de lélévation des températures
sur les cultures végétales. Pour cela, ils ont
soumis différents types de culture (le blé,
le maïs, le soja) à des situations dexposition
à des températures moyennes plus élevées.
Leurs conclusions sont sans appel : chaque jour quune
culture de maïs ou de soja est soumise à une température
supérieure à 30 degrés Celsius, son rendement
diminue de 6 % environ (Voir Nature).
Cette diminution sensible des rendements agricoles
des céréales sexplique par un phénomène
bien connu : à mesure que la température monte,
lévaporation augmente. De ce fait, lhumidité
contenue dans les sols diminue et les plantes ont donc plus
de mal à accéder à leau pour se
développer. En outre, pour sadapter à
la chaleur, les plantes ferment leurs pores afin de limiter
lévaporation et concentrent leur énergie
à développer des racines plus profondes et plus
nombreuses afin de mieux capter leau restant dans les
sols. Mais le prix de cette adaptation est que ces plantes
ont moins dénergie disponible pour produire des
graines, ce qui se traduit par une diminution inexorable des
rendements agricoles.
Dans le Middle-West américain, on observe
déjà 62 jours par an au-dessus de 30 degrés,
et 12 jours par an au-dessus de 38 degrés. Si cette
hausse des températures se poursuit au même rythme,
les scientifiques ont calculé que les rendements du
maïs, du soja et du blé pourraient diminuer respectivement
de 50 %, 40 % et 20 % dans ces régions agricoles. Autre
sujet dinquiétude, dans les grands deltas asiatiques
comme le Mékong, où est cultivée une
bonne partie du riz mondial, la sécheresse a déjà
entraîné une diminution de 6 % de la production
de riz et une réduction de 10 % des espèces
de poissons qui vivaient dans ces écosystèmes.
Une autre étude récente de lINRA
est également à méditer. Elle commence
par rappeler que, selon la FAO, quelque 1,5 milliard d'ha
de terres sont utilisés pour les cultures arables et
permanentes, soit environ 11 % de la superficie totale en
terres de la planète. Ces recherches soulignent ensuite
quil est envisageable de mieux utiliser les capacités
de stockage de carbone dans environ un quart des terres cultivées
de la planète, soit 4 000 millions d'hectares, ce qui
permettrait de séquestrer plus de deux gigatonnes supplémentaires,
cest-à-dire plus dun cinquième des
émissions mondiales de gaz à effet de serre
provoquées par les activités humaines. Mais
un tel objectif ne peut être atteint quà
condition de modifier de manière profonde les pratiques
agricoles et pastorales au niveau mondial : extension de la
pratique de la jachère et du labour profond, généralisation
de lagroécologie, primauté aux cultures
de graminées notamment.
Ce que nous montrent de manière très
convaincante ces études, cest que le levier agricole
est, au même titre que les cinq autres leviers majeurs
daction (production dénergie, industrie,
transports, logement et reforestation) absolument essentiel
à double titre : lutter contre le changement climatique
en piégeant plus de carbone, tout en maintenant des
rendements suffisants pour assurer la sécurité
alimentaire mondiale.
En France, un rapport du Gouvernement publié
le mois dernier affirme que les émissions de gaz à
effet de serre (GES), dont un tiers est émis par les
transports, ont diminué de 16,2 % en France entre 1990
et 2014. La baisse sur la période 1990-2014 est à
comparer avec les objectifs de la France : moins 40 % entre
1990 et 2030 et une division par 4 d'ici à 2050. Mais
en dépit de cet effort réel, notre pays reste
très en deçà de la moyenne européenne
qui a diminué de 24 % sur la même période
(Voir Chiffres de l'Environnement). Chaque Français
continue à émettre 8,3 tonnes de GES par an,
alors quil faut passer sous la barre des deux tonnes
par an dici 2050, si nous avons la volonté de
contenir le changement climatique dans de limites supportables
(moins de trois degrés).
Au niveau européen, les derniers chiffres
de lUE, publiés il y a quelques jours, nous apprennent
que la consommation globale dénergie de lEurope
a été inférieure en 2015 à ce
quelle était en 1990 (à périmètre
identique), ce qui constitue une tendance très positive.
Mais dans le même temps, la part des énergies
fossiles dans cette consommation dénergie na
diminué que de 10 %, passant de 83 % à 73 %.
Au niveau mondial, la situation est encore plus préoccupante
puisque la consommation totale dénergie de la
planète a progressé de 50 % depuis 20 ans et
que la part des énergies fossiles dans le bouquet énergétique
global reste encore supérieure à 80 %. Selon
les derniers scénarios de lAIE, cette consommation
mondiale dénergie devrait inexorablement poursuivre
son envolée et croître à nouveau de 50
% dici 2040, sous les effets conjugués de lévolution
démographique et du fort développement économique
(dont il faut se réjouir) de lAsie et de certaines
régions dAfrique et dAmérique latine.
Même si lefficacité énergétique
de nos sociétés ne cesse de saméliorer
grâce aux avancées technologiques, il est illusoire
dimaginer que la planète va brusquement se convertir
à la sobriété énergétique
et se mettre à consommer moins dénergie.
La plupart des scénarios prévoient dailleurs
que la consommation mondiale délectricité
(aujourdhui proche de 23 000 TWh par an) pourrait atteindre
les 34 000 TWh par an vers 2030.
En supposant, hypothèse réaliste,
que la part du nucléaire dans la production mondiale
délectricité reste autour des 11 % et
que celle de lhydraulique reste également constante
(autour des 10 %), on pourrait imaginer le scénario
énergétique suivant pour 2030 : environ 250
000 éoliennes marines géantes de 10 MW pourraient
suffire pour produire 20 % de la consommation électrique
mondiale prévue en 2030 (34 300 TWh). Les parcs éoliens
terrestres pourraient assurer, pour leur part, 5 % de cette
production électrique mondiale. Un quart de cette production
mondiale délectricité (soit 8 575 Twh
en 2030) pourrait être assuré par 43 000 km3
de panneaux solaires à haut rendement (léquivalent
de la superficie du Danemark). Resterait alors 30 % de la
production électrique à couvrir, par quels moyens
? Dabord, la biomasse qui pourrait sans difficultés
majeures assurer 5 % de la production mondiale délectricité
(contre 2,5 % aujourdhui). Quant au quart restant (8
600 TWh par an) il pourrait être assuré essentiellement
par lensemble des énergies marines, à
peine utilisé, dont le potentiel mondial techniquement
exploitable est estimé, selon les calculs les plus
prudents, à au moins 14 000 TWh par an. Le solde
de 5 à 10 % de la production électrique mondiale
serait assuré par des centrales à gaz
de nouvelle génération à très
haut rendement, équipées de système de
capture de CO2 à la source.
Mais au-delà de cette nécessaire
décarbonisation de la production délectricité,
un rapport publié en 2012 par le PNUE montre que le
gisement de réduction des émissions de GES au
niveau mondial est dau moins 17 Gigatonnes par an, soit
plus du tiers des émissions mondiales annuelles de
GES. Cette étude montre notamment que l'amélioration
de l'efficacité énergétique des bâtiments
permettrait, en dépit du doublement du parc immobilier
mondial prévue dici 25 ans, de réduire
dau moins 9 gigatonnes les rejets de gaz à effet
de serre liés aux bâtiments, soit deux fois les
émission actuelles de CO2 de lEurope !
Les excellents rapports publiés depuis
2009 par le cabinet McKinsey montrent également de
manière très argumentée et en sappuyant
sur un ensemble cohérent de mesures pragmatiques qui
nintègrent pas de ruptures technologiques majeures,
quil serait parfaitement possible, pour un coût
annuel correspondant à moins de 0,5 % du Produit Mondial
Brut, de diviser au moins par trois dici 25 ans les
émissions humaines de CO2, qui descendraient ainsi
à 16 gigatonnes par an, au lieu des 59 prévues,
si aucune politique volontaire globale nest mis en uvre.
Il est très important de souligner
que ces remarquables études montrent toutes que pour
parvenir à un effort suffisant pour éviter un
changement climatique aux effets dévastateurs, lHumanité
doit actionner simultanément trois leviers dégales
importance dans cette nécessaire réduction drastique
des émissions de GES : lefficacité énergétique
optimisée dans le secteur des transports et du bâtiment,
la décarbonisation massive de la production dénergie
et enfin, domaine pas suffisamment évoqué, la
transformation structurelle des pratiques agricoles et la
reforestation, ce dernier levier étant de surcroît
bien moins coûteux que les deux autres, à efficacité
égale, pour réduire massivement nos émissions
de carbone.
Dans le domaine des transports, que j'ai souvent
évoqué, il faut absolument sortir des visions
idéologiques rigides et envisager un scénario
réaliste qui combine de manière intelligente
les véhicules entièrement électriques
(en usage urbain), les véhicules à hydrogène
et les voitures hybrides utilisant les différents types
de bio et dalgocarburants, au bilan démission
de CO2 neutre.
Sagissant du secteur du bâtiment,
la règle doit devenir, pour tous les bâtiments
neufs, une production dénergie au moins égale
à la consommation, ce qui est parfaitement réalisable,
sans surcoût important, compte tenu des avancées
techniques majeures réalisées dans le domaine
de lisolation et de la gestion numérique intelligente
des flux dénergie. Pour ce secteur, très
énergivore, il faut par ailleurs privilégier
et favoriser lusage des piles à combustible domestique
(individuelle ou collective) qui permettent une coproduction
propre et décentralisée de chaleur et délectricité.
Je le réaffirme avec force, relever
ce défi immense et vital pour notre espèce,
de la lutte contre le changement climatique, nest pas
hors de notre portée, à condition que nous comprenions
que les obstacles à surmonter ne sont plus essentiellement
techniques, ni même économiques (car le coût
de production des énergies renouvelables se rapproche
plus vite que prévu de celui des énergies fossiles)
mais relèvent des choix politiques et sociaux fondamentaux
que nous ferons pour construire le monde durable de demain.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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