Biblionet
From
Bacteria to Bach and Back. The Evolution of Minds
Daniel C Dennett
Allen Lane novembre 2016
Commentaire par Jean-Paul Baquiast
11/03/2017
Dennett Home page
http://ase.tufts.edu/cogstud/dennett/
Daniel Dennett Wikipedia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Dennett
Dans un éditorial
précédent "Daniel Dennett est-il
le dernier des scientifiques matérialistes ? "
nous présentions rapidement le dernier livre de Daniel
Dennett: From Bacteria to Bach and Back. The Evolution
of Minds. Nous indiquions que, comme les autres ouvrages
de l'auteur, il s'agissait d'un livre remarquable.
Il
est d'autant plus important que Daniel Dennett en a fait
si l'on peut dire la synthèse de son oeuvre précédente,
et y propose de nouveaux développements et réponses
originales concernant les questions posées précédemment.
Nous conseillons donc à tous nos lecteurs intéressés
par les questions de philosophie de l'évolutionnisme
biologique de s'y référer.
La question de l'origine de l'esprit humain a toujours préoccupé
les scientifiques et philosophes refusant l'explication
théologique et téléologique faisant
appel à une intervention divine. Par esprit il faut
entendre la faculté d'imaginer, de comprendre et
de créer. Dans cette perspective, le concept d'esprit
inclut nécessairement celui de conscience, même
si l'un et l'autre ne se recoupent pas.
Dennett est un darwinien convaincu et inébranlable,
ami de Richard Dawkins. Pour les darwiniens, dont nous sommes
évidemment, l'esprit est apparu à travers
la sélection naturelle à partir de la conjonction
au hasard d'atomes ayant donné naissance à
la vie sur Terre, quelques 4,5 milliards d'années
dans le passé. Mais il faut ajouter une autre explication
concernant l'apparition de l'esprit humain, inconnu sauf
sous des formes primitives dans les autres espèces.
Les mèmes
Dennett est, non seulement un darwinien convaincu, mais
un méméticien également convaincu.
Il explique que l'esprit a pris les formes récentes
que nous lui connaissons dès que les proto-humains
ont découvert le langage, c'est-à-dire la
faculté de créer et transmettre leurs connaissances
sur le monde d'une façon impersonnelle, mémorisable
et capable de s'auto-enrichir, autrement dit par l'appel
à des mèmes langagiers. Nous avons consacré
de nombreux articles à la mémétique.
Inutile d'y revenir ici.
Les mèmes langagiers peuvent être partagés
d'un individu à l'autre. Ce faisant, ils évoluent
et se complexifient. Ils génèrent donc des
sociétés bien plus riches et adaptatives que
celles découlant de la programmation génétique.
De plus les mèmes langagiers permettent, du fait
de la compétition permanente, de type darwinienne
elle-aussi, qui les oppose, de créer de nouveaux
mèmes dont certains peuvent se révéler
les outils d'une meilleure compréhension du monde.
Aux sociétés définies par des compétitions
génétiques s'ajoutent donc des sociétés
résultant de compétitions dites culturelles.
Tout ceci n'a rien de très original, objectera-t-on.
L'originalité de Dennett est de faire appel à
ses connaissances très étendues en matière
d'intelligence artificielle et de robotique évolutionnaire
pour mieux comprendre le rôle des mèmes langagiers
dans l'apparition des phénomènes ancestraux
de compétition culturelle donnant naissance à
la conscience.
Il explique en effet avoir constaté
les innombrables résistances opposées par
des philosophes et scientifiques se disant pourtant darwinistes
lorsqu'il s'agit d'en venir à la question du « pourquoi
faire ?» à propos des origines de la vie
et de l'esprit. Ils admettent tous les explications du « comment
? » , c'est-à-dire par quels mécanismes
l'esprit s'est développé depuis les amibes
aux humains mais ils ne peuvent se résoudre à
admettre qu'il s'est agi d'une suite de compétitions
au hasard s'étant succédé sur le mode
darwinien sans que soit jamais intervenu aucun concepteur
intelligent (intelligent designer) ayant dirigé la
naissance et le développement de ces compétitions.
En finalistes invétérés,
bien que plus ou moins inconscients, ils ne peuvent accepter
le fait que l'esprit s'est développé spontanément
et sans aucun but préalable. Cette hypothèse
représente pour eux une application dangereuse du
darwinisme et est donc à rejeter. Dennett avait montré
cela dans un livre précédent « Darwin
dangerous idea ». Nous y avions consacré,
ainsi qu'à un autre ouvrage de lui, « La
conscience expliquée » un de
nos premiers articles
Aujourd'hui, avec l'explosion des systèmes
évolutionnaires d'Intelligence Artificielle avancée,
Daniel Dennett, particulièrement informé de
ces développements, peut montrer qu'à leur
tour de tels systèmes, entrant en compétition
darwinienne, peuvent faire naître des robots intelligents
qui pourront éventuellement se répandre sur
d'autres planètes, en s'adaptant spontanément
à d'autres environnements. Ils pourront, pourquoi
pas, héberger des formes de conscience plus évoluées
ou différentes des nôtres.
Certes au départ ces robots auront
été conçus par l'homme, mais ils échappent
d'ores et déjà de plus en plus à leurs
créateurs. Si on leur demandait: « Pour
quoi faire ? », ils n'auraient pas de réponse,
puisqu'ils ne savent pas eux-mêmes dans quel but final
ils se développent.
Le dualisme cartésien
Comme Dennett l'écrit au début de son livre,
l'esprit humain est composé de « trillion
mindless robots dancing ». Aucun de ces petits
robots ne peut préciser la raison pour laquelle nous
pensons, mais dans leur chorégraphie d'ensemble ils
peuvent nous donner l'illusion que nous disposons d'un « moi »
qui nous contrôle et décide de faire ce qui
est bon pour nous.
Ce « moi » peut aussi,
s'il constate qu'il ne comprend pas tout, ni vers quel avenir
il nous oriente, faire appel à un Dieu extérieur
omniscient crée par lui, qui répondra à
toutes nos questions sur la finalité. Le « dualisme
cartésien » que Dennett combat avec persévérance,
opposant l'esprit et la matière, est une des formes
de cette illusion. Dennett montre qu'il réapparait
sans cesse même chez ceux se disant matérialistes
1).
From Bacteria to Bach and Back intéressera
donc particulièrement, au delà des biologistes
et neuro-scintifiques, tous ceux qui se préoccupent
de l'évolution de l'Intelligence Artificielle, ainsi,
accessoirement, que ceux réfléchissant à
la présence possible d'êtres conscients dans
l'univers extraterrestre. Le livre est empli de références
et d'anecdotes en faisant un ouvrage véritablement
essentiel à notre époque, d'autant plus qu'il
est très facile à lire.Il
faut espérer qu'il sera rapidement traduit en français.
Bien évidemment, il sera rejeté
par les centaines de millions d'individus qui expliquent
que de telles recherches sont inutiles, étant entendu
que « tout est dans le Coran » .
1) On peut penser que le phénomène
sévit plus particulièrement aux Etats-Unis,
dont la science reste profondément imprégnée
de théologie.