Editorial.
L'homme-cochon
Jean-Paul Baquiast, Christophe Jacquemin 01/02/2017
Dans
notre
dernier numéro, nous relations de façon
neutre l'expérience de chercheurs américains
et espagnols visant à intégrer des cellules-souches
provenant d'un espèce de mammifère donnée
dans les premiers stades du développement de
l'embryon d'un humain, afin d'obtenir ce que l'on
nomme des « chimères ».
Il nous avait paru prudent de ne pas verser à
cette occasion dans la facilité consistant
à prévoir l'apparition proche d'êtres
hybrides, associant animal et humain, qui poseraient
d'innombrables problèmes à la morale
actuelle.
Cependant, quelques jours après la parution
de l'article de Cell relatant cette expérience,
il faut constater qu'une véritable explosion
de commentaires sur ce sujet s'est produite dans les
médias. Le fait à lui seul méritera
une étude sociologique, concernant les relations
entre les recherches scientifiques et les sociétés.
Le thème général de ces commentaires
est le suivant:
En voulant créer des curs, des foies
ou des pancréas humainement compatibles chez
des porcs, nous risquons aussi de les doter de neurones
humains, donc dun cerveau hybride, mi-homme
mi-cochon ! Nous nen sommes encore quaux
balbutiements de ces techniques, mais envisager de
modifier durablement et profondément des fonctionnements
biologiques issus de sélections et de mutations
accumulées au fil des millénaires présuppose
une connaissance parfaite de la physiologie humaine
et animale que nous ne possédons pas encore.
Raisons pour lesquelles les autorités de santé
américaines ont imposé un moratoire
et le NIH (National Institute of Health) a décidé,
en 2015, de ne plus financer (pour linstant)
ce type de travaux et de les soumettre à un
comité déthique. Cependant, larmée
américaine finance certaines de ces recherches
et il est probable que les chercheurs trouveront des
sources de financement privées pour mener à
bien leurs expériences.
Le cadre légal des États sera vite franchi,
et en labsence dune force éthique
suffisante, nous ne pourrons pas nous opposer aux
excès de cette évolution quil
faudrait pourtant contrôler étroitement
si on veut létudier sereinement.
Chercher à créer une banque de greffons
facilement utilisables, augmenter la durée
de la vie pour vivre plus vieux et en bonne santé,
si lon excepte tous les problèmes sociaux
que cela peut induire, semble être un but louable.
Mais où sont les limites ? Et qui va fixer
les bornes à ne pas dépasser ?
Vouloir changer lêtre humain, transformer
le vivant pour en faire une chimère dotée
de performances exceptionnelles hors du commun risque
de tenter des esprits frustrés qui voient,
dans ces réalisations, laboutissement
de leurs rêves insatisfaits ou lépanouissement
dun orgueil sans limites. Certes, les scientifiques
nous tiennent des propos rassurants, mais sont-ils
assez savants pour quon puisse leur faire confiance ?
Nous ne souhaitons pas ici nous engager dans des discussions
interminables sur ce thème. Tout au plus faut-il
remarquer qu'elles sont ou pourraient être alimentées
par toute découverte scientifique, suivie de
technologies applicables à l'humain, passées,
présentes et futures. Si au nom d'un principe
de précaution poussé à l'extrême,
les autorités paléolithiques (une image)
avaient interdites l'utilisation de tout silex taillé,
nous en serions restés au paléolithique
Pour l'avenir, beaucoup de prévisionnistes
pensent que tout ce qui sera rendu possible se fera,
quelles qu'en soient les conséquences à
long terme. Pour cette raison d'ailleurs ils estiment
que dans quelques siècles, ou auparavant, l'espèce
humaine se sera elle-même détruite, et
sans doute la vie avec elle. Il en serait sans doute
de même dans toutes les exoplanètes.
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