Série
Trump
Donald Trump. Espoirs à
Main Street, assurance tranquille à Wall Street
Jean-Paul Baquiast 11/11/2016
Les enquêtes montrent
que les électeurs de Donald Trump ont voulu manifester
le rejet d'un système au service des 1% (selon l'expression
inaugurée lors des manifestations « Occupy
Wall Street »). Peu leur importait que Donald Trump
fasse lui-même partie de ces 1%, dès lors qu'il
se présentait comme quelqu'un en dehors du système
et se montrait capable, qu'il le veuille ou non, de le modifier
en profondeur.
Les gaffes de Trump durant sa campagne, son absence d'expérience
politique, ses pauvres performances lors des trois débats
télévisés, son manque d'une organisation
capable de le soutenir et de personnalités capables
de l'aider à gouverner, ne les ont pas arrêtés.
Ces électeurs ont intuitivement pensé qu'à
eux tous, et sans avoir à s'organiser en rien dans
ce sens, ils pourraient former une force nouvelle capable
de changer le jeu politique. Le même phénomène
de « masse » s'est manifesté lors du
Brexit et pourrait le faire aussi lors des prochaines élections
en Allemagne et en France, au profit de leaders (telle en
France Marine Le Pen) stigmatisés comme populistes
parce que proclamant leur refus de la vie politique traditionnelle.
Aussi bien, outre les « Blancs pauvres
», beaucoup de femmes, de « latinos »
et de Noirs, présentés comme des soutiens
inconditionnels de Hillary Clinton, ont montré, en
votant Trump, qu'à travers lui ils voulaient un changement
profond de société. Ce n'était évidemment
pas le cas de tous, comme le montrent aujourd'hui les manifestations
anti-Trump, mais ils ont été suffisamment
nombreux pour faire basculer la majorité. D'autres,
sans voter Trump, se sont abstenus, ce qui a contribué
aussi à l'échec de Clinton.
Le Parti Démocrate, traditionnellement
présenté comme le défenseur des travailleurs
face au libre-échange, aux emplois précaires
et mal payés, à la privatisation des services
sociaux, avait ces derniers mois montré, en trahissant
sans états d'âme les électeurs «
socialistes » de Bernie Sanders, qu'il était
tout autant au service des oligarchies que l'a toujours
été le Parti Républicain.
L'incapacité de Barack Obama et du
gouvernement démocrate à protéger les
masses populaires, que nous appelons ici Main Street, selon
l'expression américaine, des dégâts
produits par le crise financière de 2008, la façon
dont au contraire la majorité démocrate a
pris sans faiblir la défense de Wall Street et des
oligarchies, les ont définitivement déconsidérés
aux yeux de Main Street.
Les électeurs pauvres se sont rendu
compte que les profits des entreprises ont doublé
pendant la crise, les bénéfices boursiers
( US Dow stock market) ont été multipliés
par trois, la spéculation sur les produits dérivés
et autres titres a permis des bénéfices considérables.
Mais ceux-ci ne se sont pas réinvestis en biens et
services, ils ont au contraire alimenté la spéculation,
tout en s'abritant à des niveaux records dans les
paradis fiscaux. Dans le même temps, les spéculateurs
ont eu accès pendant la même période
à des quantités illimitées de dollars
gratuits, notamment dans le cadre du Quantitative Easing
appliqué par la Banque fédérale. Parallèlement
les impôts sur les revenus les plus élevés
ont été réduits en permanence.
Les « have not » ont au contraire
constaté que pendant la même période,
les salaires stagnaient ou diminuaient, les emplois mal
payés se multipliaient, aucune amélioration
prévisible n'était offerte aux jeunes générations.
Les 50 millions de retraités, pour ce qui les concerne,
du fait des intérêts zéro appliqués
par les banques, ont vu leurs rentes perdre une partie de
sa valeur, leurs propriétés immobilières
devenir invendables à la suite de la crise dite des
surprimes, le montant des pensions et retraites diminuer
sans cesse alors qu'augmentait, malgré les prétentions
de l'Obamacare, pour les 85% de ceux qui n'en bénéficiaient
pas, le coût des services médicaux et hospitaliers.
Les jeunes, quant à eux, ne pouvaient plus espérer
faire d'études du fait de la hausse continue des
tarifs universitaires.
Par ailleurs, Main Street, déjà
ruinée par l'ouverture des frontières aux
travailleurs clandestins et par la délocalisation
des entreprises et des emplois, voyait cette tendance s'accélérer
avec la négociation par Obama des traités
de libre-échange, tant en Asie qu'en Europe. Sur
le plan intérieur, les populations urbaines voyaient
se dégrader continuellement les conditions de transport,
d'habitat et même de protection comme la pollution,
comme les empoisonnements au plomb de la ville de Flint
en avaient témoigné aux yeux du monde entier.
Aussi, dans les discours de Donald Trump,
Main Street avait surtout retenu la promesse de mettre en
place de nouvelles protections aux frontières, notamment
contre les importations venues de Chine, ainsi que la volonté
de favoriser de nouvelles relocalisations et localisations
s'accompagnant de la création de centaines de milliers
d'emplois productifs et bien rémunérés.
De même le programme annoncé de grands travaux
dans les infrastructures a redonné espoir aux régions
de l'Amérique pauvre abandonnées par les services
publics. Personne ne s'est vraiment posé la question
de la couverture des coûts budgétaires qui
en résulteront (Voir notre article Budget.
Où Donald Trump trouvera-t-il l'argent? )
Wall Street rassurée
Aujourd'hui cependant, il faut bien admettre
qu'il faudra de nombreux mois ou années pour que
les promesses de Trump, si elles sont jamais mises en oeuvre,
produisent les effets attendus. Main Street est donc obligée
de vivre d'espoir. Dans le même temps, Wall Street,
qui s'était les premières heures inquiétée
de l'élection de Trump, comme en avait témoigné
la baisse de la Bourse, n'a pas tardé à se
rassurer.
La victoire de Trump a entrainé une
remonté des marchés d'actions, du fait des
fortes baisses d'impôts sur les entreprises et les
hauts revenus attendues en application des promesses du
candidat.
Le retard sinon l'abandon des traités
de libre-échange n'inquiétera pas le big business,
qui sait comment faire face à la protection des frontières
depuis longtemps tentée sans succès par les
Etats émergents.
La Cour Suprême, déjà
fortement conservatrice, le deviendra définitivement
avec la nomination par Trump de nouveaux juges acquis aux
idées conservatrices de toutes sortes. Les mouvements
anti-Noirs et anti-Mexicains profiteront de la militarisation
des forces de police, dont Trump n'a jamais critiqué
l'action. Les projets de réforme du système
financier, dites Dodd Frank reforms, seront définitivement
oubliés. Le pouvoir des banques, dont Donald Trump
n'avait jamais montré qu'il s'inquiétait,
sera renforcé.
Au plan de la politique internationale,
Wall Street ne craint pas les velléités de
reprise de dialogue avec Moscou proposés par Donald
Trump. La possibilité d'exportations nouvelles pourra
en résulter. La fin des aides militaires aux pays
de l'Otan ne génera personne, au contraire. Ce sera
autant d'argent disponible pour les spéculations
boursières 1).
Aussi bien, Wall Street affiche désormais
une tranquille assurance. Chacun sait que les intérêts
financiers et économiques du 1% des dominants échappent
nécessairement à toute perspective de réforme,
compte tenu du fait que ceux-ci conservent tous les leviers
de commande, à tous les plans, économiques
comme politiques. Ceci ne devrait pas changer avec la présidence
Trump.
Ceux qui espèrent dans les pays européens
pouvoir changer quelque chose au système dominant
auront beaucoup à apprendre des premiers mois de
cette présidence. Ils ne devront pas continuer à
promettre l'impossible.
1) Et si finalement, le grand vaincu de
l'échec d'Hillary Clinton n'était pas Wall
Street, mais le Pentagone, autrement dit le parti de la
guerre? Nul ne s'en plaindrait