Série
Trump. Trump Poutine: ne rêvons pas
Jean-Paul Baquiast 14/11/2016
On considère généralement, en tenant
compte des intentions affichées par le candidat Trump,
que son élection à la Maison Blanche signifiera
une diminution des tensions militaires entre lui et Poutine.
Peut-être même pourrait-on assister à
l'établissement de relations diplomatiques normales
entre les deux puissances. Poutine pour sa part n'a rien
fait pour décourager l'idée. Ceci dit, l'on
sent bien qu'il attend d'en savoir davantage sur les intentions
de Trump avant d'envisager ce que l'on pourrait nommer un
désarmement bilatéral.
En fait, on peut craindre que Trump ne puisse en rien changer
la politique agressive des Etats-Unis à l'égard
de la Russie. Elle est trop ancienne et s'exerce dans de
trop nombreux champs stratégiques pour pouvoir être
modifiée ne fut-ce que dans un seul de ceux-ci
sauf peut-être dans le cas d'un allégement
des « sanctions » imposées par Washington
à la suite du conflit en Ukraine. Celui-ci, rappelons
le, a été entièrement le résultat
de manuvres américaines discrètes et
moins discrètes visant à déstabiliser
la Russie à travers une opération de «
regime change » à Kiev.
Les Etats-Unis ont basé l'essentiel
de leur course à la suprématie mondiale, dès
1950, par une volonté de dominer la Russie, qui avait
le grand tort à leur yeux de disposer d'une arme
nucléaire du niveau de la leur. Cette domination
devait être assurée sur le plan géographique,
mais tout autant sur le plan scientifique et industriel.
La plupart des grandes avancées qui distingue par
exemple la science américaine de celle des autres
nations ont été des conséquences du
développement d'armes de plus en plus performantes,
ceci y compris dans le spatial.
Renoncer à la course aux armements serait couper
les principaux ressorts du succès américain
dans ces domaines. Or pour s'armer, il faut le faire contre
un ennemi présenté comme la plus grande menace
existentielle. La Chine aujourd'hui est aussi dénommée
telle par le gouvernement américain, mais la Russie
restera toujours la première.
Corrélativement, le complexe militaro-industriel
russe, bien que moins puissant que son homologue américain,
a lui aussi besoin de la préparation, au moins virtuelle,
de conflits entre les deux pays. Les progrès spectaculaires
en matière d'armement, notamment dans le domaine
des missiles intelligents, réalisés par l'industrie
russe récemment, n'auraient pas pu se produire sans
une perspective belliqueuse 1). Poutine sait qu'il dépend
en grande partie au plan intérieur du soutien de
ce complexe, et ne fera rien qui puisse contribuer à
le démobiliser.
D'une façon générale,
on peut considérer que Donald Trump, le voudrait-il,
ne pourra jamais imposer à l'état-major du
Pentagone, comme au puissant complexe militaro industriel
(CMI) qui vit aujourd'hui essentiellement de commandes militaires
américaines, d'accepter des diminutions substantielles
de l'effort dit de défense, dont la Russie, bien
avant la Chine, est aujourd'hui la principale cible.
Rappelons que le budget militaire américain
s'élevait en 2015 à 598 milliards de dollars,
dont une grande partie certes difficile à chiffrer,
est relative aux opérations militaires en cours ou
en projet contre la Russie. On imagine les pertes d'influence,
de profits et d'emplois que subiraient le Pentagone et le
CMI en cas d'une diminution, même marginale et progressive,
de ces crédits.
Aussi bien Donald Trump ne s'y est-il pas
risqué. Il a annoncé, dans son programme,
qu'il supprimerait les réductions budgétaires
forfaitaires précédentes, (séquestrations)
qu'il a imputé à l'incapacité d'Obama
et de Hillary Clinton, secrétaire d'Etat, à
prendre la juste mesure des besoins budgétaires de
la défense. Il a promis que les futurs budgets militaires
ne descendraient pas au dessous du seuil minimum de 550
milliard. Pour les Russes, ceci ne peut qu'être interprété
que comme la volonté de poursuivre les déploiements
militaires à leurs frontières, comme dans
tous les pays où ils peuvent exercer encore une influence.
Dès avant son élection, le
27 avril 2016, le candidat Trump avait prévenu, dans
les bureaux de la revue conservatrice The National Interest,
(voir http://nationalinterest.org/feature/trump-foreign-policy-15960
) qu'il n'envisageait pas de nier les différents
géopolitiques profonds entre les Etats-Unis et la
Russie, nécessitant selon lui que l'Amérique
ne baisse pas la garde, y compris et surtout sur le plan
militaire. Aussi bien depuis son élection, dans diverses
interventions, les buts annoncés par lui ne diffèrent
guère de ceux de Barack Obama : restaurer la confiance
des alliés traditionnels des Etats-Unis (Israël,
Arabie Saoudite), contrer des pays présentés
comme militairement menaçants, (Iran, Corée
du Nord), reconstruire partout les capacités militaires
des Etats-Unis.
Ceci, concrètement, signifie, contrairement
à ce que certains observateurs avaient pu penser
pas, que Trump ne laissera pas le champ libre à la
Russie en Ukraine, dans la Baltique et dans le Caucase.
De même, il ne renoncera pas à une forte présence
militaire au Moyen-Orient, même si par ailleurs il
avait annoncé sa volonté de déléguer
en partie à la Russie la lutte contre l'Etat islamique
en Syrie
Un « reset
» très limité.
Le projet de nouveau départ avec
la Russie (reset) c'est-à-dire une réconciliation,
annoncé par Trump à la satisfaction d'électeurs
populaires lassés par 20 ans de guerre visant directement
ou indirectement les intérêts russes, risque
de rester un élément de langage. La réalité
est que les Etats-Unis ont des réseaux d'alliance
solides qui excluent la Russie ou qui, plus exactement,
sont dirigés contre elle.
Ainsi, concernant l'Otan, Trump n'a jamais
annoncé qu'il renoncerait à faire de celle-ci
l'instrument d'un « containment » toujours plus
ambitieux de la Russie. Il n'a jamais indiqué par
ailleurs qu'il cesserait de participer à la défense
de l'Europe, face à une pourtant bien hypothétique
agression militaire russe. Il a seulement indiqué
qu'il exigerait une meilleure répartition du coût
financier de l'Otan, en demandant aux membres de celle-ci
de prendre désormais en charge l'essentiel de l'effort
militaire américain en Europe. Pour cela il considère
implicitement que les Etats européens doivent porter
à 2% du PIB leurs budgets nationaux de défense.
Quant aux batteries de missiles (défensifs
ou offensifs, à la demande) installées en
Roumanie, en Tchéquie et en Pologne, le candidat
Trump les avait revendiqué comme essentielles à
la défense des intérêts américains.
Chacun sait, Vladimir Poutine le premier, que sous couvert
d'une défense contre une très improbable attaque
iranienne, il s'agit d'éléments essentiels
d'éventuelles attaques, éventuellement avec
des armes nucléaires tactiques, contre les dispositifs
russes.
Les cris d'alarme que poussent à
qui mieux mieux actuellement les pays européens,
notamment en Allemagne et ceux de l'Europe de l'est plus
impliqués dans l'Otan, face à un éventuel
abandon américain, relèvent seulement de l'intoxication
anti-russe. Certes, Dmitry Peskov, porte-parole de Poutine,
avait récemment déclaré que pour reconstruire
les relations Washington-Kremlin, Trump devrait demander
à l'Otan de cesser d'accumuler des forces militaires
à la frontière russe. Durant sa campagne,
Trump avait pu laisser penser qu'il partageait ce point
de vue. Mais pour le moment, il ne dit plus rien de semblable.
( voir http://www.zerohedge.com/news/2016-11-12/nato-panics-putin-urges-trump-force-alliance-withdrawal-russian-border)
Quant au Moyen-Orient, le rapprochement
espéré entre les Etats-Unis de Trump et la
Russie de Poutine pourra-t-il se réaliser au nom
de la lutte contre l'Etat islamique (EI) et le terrorisme
? Les annonces avaient en effet été très
remarquées. le candidat Trump ayant déclaré
disposer d'un plan pour éradiquer l'EI et souligné
la communauté d'intérêts avec la Russie
dans ce domaine. Mais on ne voit pas comment le président
Trump pourrait renoncer à soutenir les appuis traditionnels
des intérêts américains dans la région,
notamment l'Arabie Saoudite et la kyrielle de pétro-monarchies
que celle-ci a rassemblé derrière elle.
Comment pourra-t-il leur faire accepter
qu'il cesse de rechercher la chute de Bashar al Assad, en
tolérant de facto un front chiite dans la région,
comprenant outre la Syrie, le Hezbollah et surtout l'Iran?
Comment pourra-t-il renoncer à présenter les
bases militaires russes en Syrie comme un danger majeur,
tant pour les alliés de l'Amérique que pour
celle-ci.
Il ne faut pas être grand expert pour
penser que derrière de bonnes paroles de part et
d'autre, que pourrait conforter rapidement une réunion
de travail avec Poutine, rien de sérieux ne se produira
pour pacifier en profondeur et durablement les relations
entre l'Amérique et la Russie.
Il faut certes attendre pour juger. Mais
il serait très imprudent de trop en espérer.
Note
1) Notamment le S 500 Promethey. Voir
Space War