Série
Trump
Trump: une opportunité pour la France?
Jean-Paul Baquiast 18/11/2016
En terminant ici cette petite
série d'article essayant d'analyser différents
aspects du succès de Donald Trump, il faut revenir
ici sur un point important pour les Européens, et
plus particulièrement pour la France. Son élection
permettra-t-elle aux pays européens de sortir de
l'enlisement dans l'américanisme dont ils ont toujours
souffert, afin de trouver les voies d'une indépendance
et d'une créativité qui leur permettraient
d'avoir une importance suffisante dans le « monde
multipolaire » en cours de mise en place.
Plusieurs point peuvent être
évoqués sur ce sujet:
- Concernant l'élection de Trump,
il faut remarquer qu'elle correspond dans une large mesure
à une faillite de la « démocratie en
Amérique », pour reprendre le terme de Tocqueville.
La participation n'a été que de 50%, de nombreuses
catégories d'électeurs « pauvres »
n'ayant pu pour des raisons diverses participer au vote.
Le nombre des candidats aux élections primaires été
limité à deux, Trump et Clinton, que l'on
peut juger comme « mauvais », chacun en ce qui
les concerne. Les électeurs alternatifs, notamment
les Greens, n'ont pas pu présenter de candidat. On
explique cela en faisant appel au bipartisme américain
traditionnel, excluant toutes formes d'opinions se plaçant
hors les hiérarchies de ces deux partis. Mais pour
les démocraties européennes, ceci était
jusqu'à présent impensable.
- Le succès de Trump, qui reste encore
être confirmer, est considéré comme
le triomphe d'un « populisme » qui serait en
train de submerger le monde. Mais nous avons pour notre
part toujours refusé ce terme péjoratif de
populisme, qu'il s'applique à Trump ou à d'autres
partis émergents. Il signifie qu'en donnant plus
d'échos aux revendications de couches d'électeurs
jusqu'ici incapables d'être entendu, les candidats
et partis dits populistes bousculent l'influence d'élites
qui monopolisent la vie politique au profit de leurs intérêts.
Si Trump se montre effectivement populiste à l'avenir,
ce sera une bonne chose pour la démocratie dans le
monde.
Les partis qui en Europe veulent désormais
échapper au pouvoir politique de ces élites
sont traitées systématiquement comme populistes.
Pour nous, il s'agirait plutôt d'un compliment, s'ils
savent échapper dans l'avenir à la récupération
par les élites au pouvoir.
- La venue à la Maison Blanche d'un
Donald Trump, avec ses défauts mais aussi ses qualités,
permettra-t-elle aux Européens d'échapper
à la technocratie transatlantique, au pouvoir depuis
bientôt un siècle, et dont les bases sont à
Washington (et Wall Street) à l'ouest, à Bruxelles
à l'Est. La cause en serait que Trump voudrait se
désengager des contraintes de cet atlantisme qui
obère l'Amérique profonde, tant dans l'Otan
qu'au plan commercial, par exemple dans les perspectives
du prochain TTIP. Les élites européennes seraient
donc bon gré mal gré obligées de se
désatlantiser, Trump ne voulant plus accepter les
contraintes budgétaires qu'impose, en Amérique
même, la caste des dominants et des va-t-en guerre
dont Hillary Clinton était la représentante.
Mais s'y résoudront-elles sans crises graves?
- Le programme économique proposé
par Donald Trump présente beaucoup de faiblesses,
dont les atlantistes des deux bords profiteront pour imposer
le statu quo dont ils profitent. Ces faiblesses sont complaisamment
énumérées par les médias au
service de l'atlantisme. Il s'agit d'abord d'un keynésianisme
non financé, la politique de grands travaux proposée
coûtant des milliards que les banques ne voudront
pas fournir vu leur peu d'attrait. De leur côté,
les restrictions de prise en charge des dépenses
de santé proposées par Trump, outre leur caractère
impopulaire, devraient tous comptes faits se révéler
plus couteuse globalement que l'actuel Obamacare. Aucune
économie ne devrait par ailleurs découler
de réductions des budgets militaire, que Trump s'est
au contraire engagé à augmenter.
- Les dérégulations annoncées
visant à diminuer pour l'Etat les coûts de
certaines politiques publiques seront inévitablement
remplacées par des régulations privées
décidées par les entreprises dominantes. Les
prix pour le consommateur final ne baisseront pas, au contraire.
Enfin la décision d'imposer des contraintes protectionnistes
aux produits chinois ne pourra pas résister aux contre-mesures
mises en place par la Chine.. Dans le même temps,
les réindustrialisations envisagées par Trump
(à supposer que quelqu'un les prennent en charge),
mettront de nombreux mois avant de produire des effets favorables
pour le consommateur final.
- On peut penser enfin que la Banque fédérale,
ayant ces dernières années abusé des
créations de monnaie sans contrepartie (quantitative
easing) ne pourra pas ou ne voudra pas continuer
à le faire, compte tenu du besoin de ne pas laisser
le dollar s'effondrer sur les marchés de change.
Il est douteux que Trump se résolve à la nationaliser
pour la rendre plus docile.
- Le seul point positif de l'accès
de Trump aux responsabilités, commenté voire
critiqué à l'envie, sera un rapprochement
avec la Russie. Ceci notamment sur le plan militaire, dans
le cadre de campagnes conjointes contre l'Etat islamique.
Pour nous, si cette décision était appliquée
conjointement par l'armée américaine et par
les forces russes, il s'agirait d'une première mise
en cause de la Guerre froide imposée à la
Russie par l'Amérique depuis des décennies.
Le monde entier devrait en profiter, les risques de confrontation
nucléaire s'éloignant.
Mais il faudrait que l'Europe pour sa part,
ou simplement la France, se juge enfin autorisée
à entretenir avec la Russie des relations normales
d'alliée à alliée. Ce serait pour elles
l'élément essentiel leur permettant de retrouver
les voies de l'indépendance et de la créativité
évoquées en introduction à cet article.
Ceux des gouvernements européens encore très
largement dominés par l'impérialisme américain
sauront-ils se saisir de cette opportunité? Les réactions
très timorées voire négatives manifestées
à l'égard de Donald Trump, principalement
sur cette question de la Russie, par François Hollande
et le Quai d'Orsay, sont très inquiétantes
à cet égard. Qu'en sera-t-il des successeurs?