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Quand
le digital défie l'Etat de droit
Olivier Iteanu
Eyrolles Oct 2016
Commentaires
Jean-Paul Baquiast 04/11/2016
Olivier Iteanu est avocat à la
Cour dAppel de Paris depuis décembre
1988. Il est fondateur et dirigeant de
la société Iteanu Avocats
et dirigeant de
la société Iteanu Avocats.
http://www.iteanu.com/
Avocat à
la cour d'appel de Paris et chargé
d'enseignement aux universités
de Paris I Sorbonne et Paris-Saclay,Olivier
lteanu est un des meilleurs spécialistes
français et européens
du droit du numérique et
des communications électroniques.
Auteur du premier ouvrage de droit
français sur Internet (Eyrolles,
1996), il est président d'honneur
du chapitre français de l'Internet
Society et l'avocat le plus cité
dans la première base de
données de jurisprudence
française sur le droit des
nouvelles technologie). Il est également
administrateur d'Eurocloud France
et vice-président de Cloud
Confidence.
Il a publié
de nombreux ouvrages sur ces thèmes.
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Présentation
par l'éditeur
Avez-vous déjà lu les fameuses CGU (Conditions
générales d utilisation) avant de créer
un compte sur Facebook, Google ou Twitter ? Ces dernières
prévoient qu en cas de litige le juge californien
sera compétent. La cour d appel de Pau a jugé
en 2012 ce type de clause abusive, car contraire au
droit français de la consommation. Or, quatre
ans plus tard, ces plateformes continuent de maintenir
cette clause abusive dans leurs CGU au mépris
du droit et en toute impunité. Car qui a les
moyens d affronter la puissance financière
et juridique des géants américains du
numérique ? Les États européens
eux-mêmes abdiquent ou, au mieux, cherchent
à négocier plutôt qu à
faire appliquer la loi.
Vie privée, liberté
d expression, droits d auteur, rôle de l État
dans les mécanismes de régulation...
Alliés de circonstance des libertariens de
la côte ouest des États-Unis, les grands
acteurs du numérique imposent leurs règles
et leurs valeurs. Le digital est-il en passe de rendre
inopérants les droits français et européen,
après avoir chamboulé la technologie,
nos modes de vie et les modèles économiques
existants ? Dans cet essai accessible à tous,
Olivier Iteanu lance un cri d alerte : s il ne reste
plus au peuple européen le choix de sa loi,
que lui reste-t-il de sa souveraineté ?
Biographie de l'auteur
Avocat à la cour d'appel de Paris et chargé
d'enseignement aux universités de Paris I Sorbonne
et Paris-Saclay,Olivier lteanu est un des meilleurs
spécialistes français et européens
du droit du numérique et des communications
électroniques. Auteur du premier ouvrage de
droit français sur Internet (Eyrolles, 1996),
il est président d'honneur du chapitre français
de l'Internet Society et l'avocat le plus cité
dans la première base de données de
jurisprudence française sur le droit des nouvelles
technologie). Il est également administrateur
d'Eurocloud France et vice-président de Cloud
Confidence.
Notre
commentaire du livre
Refuser l'américanisme et ses deux visages,
le globalisme et l'européisme
Revenir à l'Etat national souverain
Le
dernier livre d'Olivier Iteanu illustre, dans un domaine
qu'il connait parfaitement, le droit numérique,
c'est-à-dire les règles de droit s'appliquant
aux systèmes dits numériques ou digitaux,
la disparition accélérée du droit
français sous l'influence du droit américain
et des relais qu'il s'est donné dans le droit
international et dans le droit de l'Union européenne.
Précisons d'emblée que le livre est
très accessible. Ceux qui veulent approndir
y trouvent en notes de nombreuses références.
Contrairement
à ce qui se fait dans une recension de livre,
nous ne résumerons pas ici le contenu de l'ouvrage.
Ceci pour ne pas inciter le lecteur à ne pas
l'acquérir. Recommandons au contraire vivement
à chacun de ceux qui nous lisent de se procurer
l'ouvrage, sous la forme papier ou sous forme de livre
électronique. Cela ne leur en coûtera
que quelques euros. Compte tenu de l'importance pour
chacun d'entre nous des thèmes évoqués,
ce ne sera pas de l'argent perdu.
Bornons
nous ici à indiquer que la thèse du
livre, résumée dans le titre de celui-ci,
est magistralement démontrée dans les
trois premières parties de l'ouvrage, consacrées
au recul radical du droit français dans les
domaines fondamentaux du respect de la liberté
d'expression, de la vie privée et du droits
d'auteur.. Ces droits, dans un état de droit
comme la France, s'exercent dans certaines limites,
afin de ne pas conduire à des abus. Celles-ci
sont fixées par la loi et soumises au contrôle
des tribunaux nationaux.
Aux Etats-Unis au contraire, ces droits sont définis
par les puissances économiques nationales et
soumis à leur appréciation, au regard
de ce qu'elles considèrent comme leur meilleur
intérêt du moment. Il en est ainsi des
concepts américains correspondants, de freedom
of speech, de privacy et de copywright.
Les deux derniers chapitres du livre montrent comment
ces intérêts américains, représentés
dans le monde entier par les Grands américains
de l'Internet (ou GAFA, Google, Apple, Facebook et
Amazon) sont désormais capables de diriger
nos vies publiques et privées, comme les intérêts
de nos entreprises et de nos administrations. Les
GAFA ont désormais été rejointes
par une dizaine d'autres à laquelle nul ne
peut échapper, sauf dans une certaine mesure
en Russie et en Chine, où les gouvernements
ont pris, difficilement d'ailleurs, conscience du
risque qu'elles représentaient pour leur souveraineté.
Le
dernier chapitre dénonce le fait que les pays
européens, à travers notamment l'Union
européenne, ont été dès
les origines « colonisés »
par les intérêts informatiques et numériques
américains. Ceux-ci sont en premier lieu au
service de ce que l'auteur ne nomme pas l'Empire américain,
mais qu'il désigne clairement en montrant que
les données obtenues par les GAFA sont utilisées
par les services de renseignements américains
(NSA et CIA) comme plus généralement
par le Département américain de la défense,
ceci entre autres objectifs pour mettre sous tutelle
les Européens.
Nous
avons nous-mêmes ici rappelé très
souvent qu'au delà de la colonisation de l'Europe,
l'Empire américain et les GAFA à son
service visent à abattre la Russie dont le
grand tort est de disposer d'une arme nucléaire
capable de faire jeu égal avec celle du Pentagone.
La Chine est désormais aussi dans le collimateur,
son tort étant de devenir la première
puissance économique mondiale, devançant
de plus en plus les Etats-Unis dans de nombreux secteurs
émergents.
Pouvons
nous en Europe et plus particulièrement en
France, réagir à l'impérialisme
numérique américain?
Le livre d'Olivier Iteanu n'aborde cette question
capitale que de façon incidente. Peut-être
considère-t-il d'ailleurs que la réaction
est impossible, le processus de colonisation numérique
étant désormais irréversible.
Que pourrions suggérer ici, en complètement
et espérons-le dans l'esprit de son livre?
Il
faudrait en France revenir au concept d'Etat souverain,
notamment aux plans industriel et scientifique, qui
avait été proposé par le Conseil
National de la Résistance et très largement
repris par Charles de Gaulle lors de son retour au
pouvoir. La France, seule en Europe aujourd'hui encore,
s'était donné des capacités dans
les domaines de l'industrie de l'armement, du nucléaire,
de l'aéronautique, du ferroviaire, de l'espace,
des grandes infrastructures de service public dont
il lui reste encore, malgré les abandons successifs
des régimes post-gaullistes, des atouts considérables.
Seul malheureusement le digital, malgré les
potentiels considérables accumulés par
les industries français des télécommunications,
a été livré sans résistance
aux américains.
Ceci
avait commencé avec l'abandon en 1973 du Plan
Calcul initialisé en 1967 par le général
de Gaulle. Le Plan Calcul avait réussi à
mettre en place une véritable entreprise européenne,
Unidata, en passe de concurrencer, au moins en Europe,
l'entreprise IBM alors dominante. Mais à la
mort de Georges Pompidou, des forces politiques françaises
depuis longtemps prises en mains par les intérêts
américains, étaient venues au pouvoir
et avait réussi à faire abandonner le
Plan Calcul, en prétextant d'échecs
largement inventées par elles.
Mais
comment revenir au concept d'Etat souverain, dans
une France dont l'essentiel de l'électorat
est désormais volontairement ou non au service
de l'Empire américain, à travers les
GAFA devenues indispensables? Il ne s'agirait pas
de prétendre comme certains idéalistes
se l'étaient imaginé, engager l'investissement
hors de portée correspondant à des GAFA
françaises ou européennes. Il faudrait
par contre que les rares éléments politiques
le souhaitant abordent la question de la souveraineté
d'un Etat français en s'inscrivant dans diverses
grandes évolutions géopolitiques en
cours dans le monde et prenant de plus en plus de
poids en Europe.
On
les résumera en disant qu'il s'agirait de la
sortie de l'Union Européenne (UE) et de l'Euro,
institutions qui depuis les origines ont été
les outils de la colonisation américaine (précisons
qu'en aucun cas le livre ne préconise cette
solution, qu'en fait il n'aborde pas). La façon
dont la Commission européenne et même
le Parlement travaillent ouvertement au service des
intérêts mondialistes de l'Empire américain
s'illustre aujourd'hui dans leurs efforts pour obliger
les Etats Européens à s'inscrire dans
le TTIP et dans son petit frère le CETA, traités
d'échanges transatlantiques. Les GAFA tireront
un profit accru d'un espace européen sans frontières
et sans normes.
Les
mouvements européens souverainistes, vilipendés
sous le terme de populisme, militent de plus en plus
aujourd'hui en faveur d'une sortie de l'UE. Cet objectif
sera de plus en plus sensible à ceux des citoyens
supportant le poids des crises économiques
actuelles et à venir, ainsi que d'une immigration
provenant de pays moyen-orientaux et africains manipulés
par les intérêts stratégiques
américains.
Il
s'agirait aussi pour la France, riche des atouts industriels
et scientifiques résumés ci-dessus,
de se rapprocher des pays du Brics, notamment de la
Russie et de la Chine, avec lesquels elle pourrait
engager des coopérations fructueuses. L'objectif
ne serait pas de remplacer la soumission à
l'américanisme par une soumission à
l'égard de Moscou et de Pékin, mais
par des coopérations limitées, d'Etat
à Etat, où la France devrait dorénavant
investir en valorisant des ressources propres, notamment
dans le domaine de la main d'oeuvre qualifiée
et même de l'épargne.
Concernant
l'écrasant pouvoir des Gafa, dans le cadre
de la réapparition en France d'un Etat fort
et interventionniste, il est faut pas penser que rien
ne peut être fait contre elles. Il n'est certainement
pas possible ni souhaitable de prétendre se
passer de l'Internet. Mais de nombreuses mesures pourraient
être décidées pour y limiter l'emprise
des GAFA et derrière celle-ci, de l'espionnage
américain. Les entreprises et les administrations
devraient notamment avoir l'obligation de se sécuriser,
comme le font encore trop épisodiquement les
forces de défense. Les solutions disponibles
sont nombreuses, notamment en terme de cryptologie
ou de procédures d'échanges protégés.
Une
démarche importante devrait par ailleurs être
encouragée. Il s'agirait d'utiliser les nombreuses
ressources en culture informatique, notamment chez
les étudiants, qui ne trouvent pas emploi sur
le marché, ceci en les encourageant à
devenir des « hackers » et lanceurs
d'alerte qui perceraient les défenses des GAFA
et révéleraient à tous leurs
secrets. L'importance du rôle pris récemment
dans ce domaine par Wikileaks montre l'étendue
du travail qui resterait à faire.
Concernant
les citoyens, il faudrait dès l'enfance leur
apprendre à ne pas livrer aux GAFA toutes leurs
données personnelles et intimes, notamment
en renonçant à se servant d'elles comme
exutoire à leurs besoins d'épanchement
narcissique. Des solutions de communication plus prudentes
sont possibles. Encourager leur usage devrait devenir
une priorité pour l'Education Nationale.
Les
lecteurs du livre d'Olivier Iteanu, convenablement
instruits par la lecture de celui-ci, devraient facilement
concevoir qu'une absence de retour à des Etats
forts, dans le domaine du numérique comme dans
tous les autres, serait accepter de devenir dans quelques
années les neurones passifs du cerveau global
( Global Brain), que Google, les autres
GAFA et la NSA américaine sont en train de
mettre en place dans le monde entier. Alors le post-humain
promis par eux sera uniquement représenté
par les quelques millions de super-dominants américains.
En fait, le livre d'Olivier Iteanu
n'est pas seulement un essai juridique , c'est aussi
un ouvrage politique. Ses lecteurs l'auront sans doute
compris.
Note
* Sur un thème voisin, voir La Silicolonisation
du monde. L'irrésistible expansion du libéralisme
numérique par Éric Sadin Editions
l'Echappée octobre 2016 Notre présentation
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2016/174/sadin.htm