Géopolitique.
Inde et Philippine: évolution en sens inverse
Jean-Paul Baquiast 11/09/2016
La géopolitique
se doit d'être attentive à l'évolution
des relations politiques intéressant 4 pays qui représentent
plus d'un tiers de la population mondiale.
Détérioration
des relations entre l'Inde et le Pakistan.
Ces relations n'ont jamais été
bonnes. Depuis la partition en 1947 de l'ancien Empire de
l'Inde entre un Pakistan musulman et une fédération
indienne majoritairement hindouiste, les conflits ont été
nombreux. Des guerres territoriales locales ont souvent
éclatées. De plus, aux différences
religieuses se sont ajoutées des oppositions de type
ethnique et de nombreux conflits d'intérêts.
Il faut rappeler qu'aujourd'hui ces deux puissances sont
dotées de l'arme atomique. Les risques d'un conflit
nucléaire restent faibles, la raison devant l'emporter,
mais ils ne sont pas nuls. Inutile de souligner que l'Asie,
l'Orient et même l'Europe en seraient gravement affectés.
Mais pourquoi cette détérioration
des relations aujourd'hui. En simplifiant beaucoup, nous
pourrions dire qu'elle reflète très largement
les affrontements croissants entre les Etats-Unis et la
Chine.
Le « pivot vers l'Asie » décidé
récemment par Barack Obama signifiait essentiellement
la constitution contre la Chine d'une sorte d'Otan asiatique
comprenant notamment le Japon et la Corée du sud,
ainsi que différents Etats voisins de la Chine, notamment
(jusqu'à nouvel ordre) l'Indonésie, l'Australie
et le Vietnam. Il est évident que si l'Inde restait
en dehors de cet axe, celui-ci perdrait beaucoup de son
efficacité anti-chinoise.
Aussi, comme nous l'avons noté nous-mêmes,
Barack Obama a multiplié les efforts, visites et
offres diverses de coopération à l'égard
de l'Inde. Son actuel président Narendra Modi n'a
rien fait pour garder ses distances, contrairement à
la politique de neutralité suivie par son prédécesseur,
grâce à laquelle l'Inde était devenu
un membre important du Brics. Participer au Brics signifiait
de relatives bonnes relations avec la Russie et la Chine,
très mal perçues à Washington.
Le Pakistan et
la Chine
En
ce qui concerne le Pakistan, pour différentes raisons
géopolitiques, il s'efforce aujourd'hui d'établir
de bonnes relations avec la Chine. Certes ses élites
dominantes traditionnelles souhaitent rester dans l'orbite
de Washington, mais plus en profondeur le pays cherchera
à exploiter les opportunités d'investissement
et aussi de désenclavement qui résulteront
des propositions de coopération économiques
chinoises. Celles-ci se sont traduites récemment
par l'offre chinoise de participer au China-Pakistan Economic
Corridor (CPEC), un grand projet d'infrastructure de liaison
soutenu par 50 milliards d'investissement qui reliera à
travers le Pakistan et le Balouchistan la Chine et le port
de Gwadar en mer d'Arabie (voir image).
Il suffit de regarder la carte pour apprécier
les nombreux avantages que le Pakistan retirera de ce projet,
au détriment de l'Inde voisine si celle-ci n'en fait
pas partie. Les récents efforts indiens pour dénoncer
des abus de droits de l'homme dont le Pakistan se serait
rendue coupable au Baloutchistan visent évidemment
à détacher cette province chinoise des projets
de CPEC. Au delà de cela, New Dehli exige d'Islamabad
qu'il cesse de soutenir les mouvements séparatistes
qui au Kashmir indien réclament une prise de distance
avec l'Inde. Le Pakistan pour sa part, très récemment
encore au sommet du G20 et au sommet ASEAN-India, accuse
l'Inde d'être un Etat terroriste qui finance des activités
subversives au Pakistan. Concernant une éventuelle
participation de l'Inde au CPEC, Modi pour sa part a réaffirmé
que l'Inde considérait ce projet comme une atteinte
à ses intérêts stratégiques.
Les Etats-Unis se sont saisis de cette tension,
qui aurait pu normalement s'apaiser d'elle-même, comme
les précédentes, pour l'encourager. Ils ont
décidé de faire de l'Inde un Partenaire Majeur
de Défense, « Major Defense Partner »
. Des développements communs de systèmes d'armes
ont été décidés. Le mois dernier,
les deux pays ont signé un « India-US Logistics
Exchange Memorandum of Agreement » (LEMOA) donnant
à l'aviation et à la marine américaines
la possibilité d'accéder à des bases
militaires indiennes pour entretien et réapprovisionnement.
Sous prétexte enfin que le Pakistan ne s'engageait
pas suffisamment contre les Talibans en Afghanistan, les
Etats-Unis ont suspendu toutes négociations avec
Islamabad dans le domaine de la fourniture d'armement, notamment
un contrat concernant la vente d'avions de combat F 16.
Il est clair que la Chine ne pourra que
profiter de cette détérioration. Ainsi, selon
le journal pakistanais Express Tribune le cabinet (Premier
ministre ) pakistanais a donné son accord pour la
négociation d'un Accord de Sécurité
à long terme avec la Chine http://tribune.com.pk/story/1175690/cabinet-gives-nod-security-pact-china/
On craindra peut-être en Europe que
cela soit une mauvaise nouvelle dans la lutte que celle-ci
mène contre le terrorisme islamique, le Pakistan
étant un pays profondément musulman. Mais
on peut penser qu'étant lui-même en lutte contre
ce terrorisme, il ne fera rien pour l'encourager dans le
reste du monde. De toutes façons, sa coopération
avec la Chine le lui interdirait.
2. Rapprochement entre les Philippines
et la Chine
Tous
les commentaires faits sur le « pivot vers l'Asie
» décidé il y a quelques mois par Obama
insistent sur le fait que les Philippines sont un élément
important de la coalition anti-chinoise mise en place par
les Etats-Unis. Elles partagent ce douteux privilège
avec l'Australie, la Corée du Sud, le Japon et quelques
autres.
Ceci n'est pas étonnant car depuis la fin de la guerre
dans le Pacifique en 1945, les forces militaires américaines
en ont fait une de leurs bases arrières. Sur le plan
politique, diplomatique et économique, il est généralement
admis qu'elles servent docilement les intérêts
américains.
Cette situation est-elle en train de changer?
Rien n'est certain évidemment mais des informations
récentes montre que la République des Philippines
commence à se lasser du rôle de fidèle
exécutant des stratégies du Pentagone et du
Département d'Etat.
Un événement très récent
a attiré l'attention. Rodrigo Duterte, élu
président depuis mai 2016, était supposé
devoir rencontrer Barack Obama au Laos le 5 mai, dans le
cadre de la réunion de l'ASEAN. Or dans une conférence
de presse, il a qualifié ce dernier de « fils
de pute » ( putang ina). Certains ont pensé
qu'il s'en prenait aux critiques d'homophobie venant des
Etats-Unis et généralement utilisée
par la Maison Blanche pour discréditer ses adversaires.
C'est ainsi que Vladimir Poutine se fait régulièrement
accusé d'homophobie alors que l'homosexualité
y est librement pratiquée, comme peuvent en témoigner
les touristes.
Mais
au delà de ce point Duterte réagissait aux
critiques selon lesquelles il avait fait exécuter
en dehors des procédures judiciaires un certain nombre
des trafiquants de drogue qui infestent le pays. Il a répondu
aux journalistes qu'il n'avait de compte à rendre
qu'aux citoyens philippins et que Obama , putang ina,
n'avait rien à y voir. A Pékin, lors du
dernier G20, Obama avait paru prendre l'incident sur le
plan de la plaisanterie. Duterte n'en avait pas moins annoncé
qu'il ne rencontrerait pas le président américain.
Celui-ci avait du se consoler en rencontrant le représentant
de la Corée du Sud. Depuis, Duterte avait dit qu'il
regrettait son expression, mais l'alerte étant donnée
dans les chancelleries.
L'incident avait rappelé que les
Philippines sont profondément « anti-impérialistes
» en fait très méfiantes vis-à-vis
de l'Empire américain. Pendant 50 ans, le pays avait
accepté la présence du Communist Party of
the Philippines. Le gouvernement avait combattu New People's
Army, émanant de celui-ci, qui menait des opérations
de guérilla. Mais sa conviction n'avait pas paru
inébranlable. Lors des négociations menées
à Oslo en août dernier entre les rebelles et
le gouvernement de Manille (voir Libération http://www.liberation.fr/planete/2016/08/22/manille-se-donne-un-an-pour-faire-la-paix-avec-les-rebelles-communistes_1473979
), celui-ci a offert aux Communistes plusieurs postes
ministériels importants, notamment dans le domaine
de la réforme agraire, de la protection de l'environnement,
du travail et de l'emploi. Dans le même temps, Washington
considère que le Parti communiste et la Nouvelle
Armée du Peuple sont des organisations terroristes
qui doivent être combattues.
Concernant les conflits territoriaux en
mer de Chine, malgré le jugement de la Cour internationale
de Justice reconnaissant les droits des Philippins sur certains
des ilots contestés, Duterte, au lieu d'embrasser
la position des Etats-Unis, s'est rapproché de la
Chine pour examiner comment des solutions communes pourraient
être trouvées.
Le peuple philippin, apparemment, n'a pas
oublié le fait que les Etats-Unis à partir
de la guerre hispano -américaine de 1898, a fait
des Philippines une de leurs colonies de fait et massacré
un dixième de la population des iles. Depuis, les
gouvernements successifs des Philippines, même après
l'indépendance de ces dernière en 1946, avaient
été traités par les Etats-Unis comme
des « puppets » aux ordres. Evoquons sur ce
plan Ferdinand Marcos et Cory Aquino qui lui a succédé
à la présidence. Celle-ci , après avoir
cherché un accord avec le Parti communiste et son
leader Jose Maria Sison, l'avait obligé sous la pression
américaine à se réfugier en Hollande.
Or Duterte avait récemment envisagé son retour.
Dans le cadre de son pivot vers l'Asie,
Washington avait imposé aux Philippines en avril
la co-signature d'un Enhanced Defense Cooperation Agreement.
Récemment, il leur avait confié un rôle
important dans la Southeast Asia Maritime Security Initiative
dirigé contre la Chine. Face au nouveau désir
d'indépendance récemment manifesté
par les Philippines, que va faire Obama, et surtout que
va faire le futur président? Certains pensent qu'ils
vont relancer l'ancienne guerre coloniale contre la République.
Dans l'immédiat, l'entourage de Rodrigo Duterte lui
conseille de se méfier. Un accident est vite arrivé.
Pour en savoir plus
Sur les Philippines, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippines