La
propagande de guerre et les bons sentiments
Jean -Paul Baquiast 29/06/2016
Certains penseront
que cet article propose des choix politiques qui sortent
du cahier des charges de notre revue. Peut-être, mais
il vise aussi à attirer l'attention sur des phénomènes
actuels de propagande de guerre à grande échelle,
reposant via l'internet sur l'appel aux bons sentiments.
Cette technique nous intéresse nécessairement.
JPB
Peu de personnes ne s'interrogent
aujourd'hui sur le fait qu'une photographie du jeune Omran
Daqneesh, apparemment légèrement blessé
à la tête, soit depuis quelques heures «
universellement » reprise et commentée dans
les médias dits occidentaux, c'est-a-dire les médias
américains et leurs fidèles copies conformes
en Europe, pour beaucoup largement financés par la
Fondation Soros.
La raison est simple. Les gouvernements occidentaux veulent
faire de cette photographie un argument pour empêcher
les forces de Bashar al Assad et leurs soutiens russes et
iraniens d'intervenir militairement pour permettre une chute
rapide de Aleppe. Cette ville est encore aujourd'hui un
bastion des milices « rebelles modérées
» soutenues par la CIA et par celles se revendiquant
de l'Etat islamique pour continuer à retarder la
progression des forces loyalistes. Les plus notables de
ces milices sont celles dites du Fateh al-Sham Front, jusqu'ici
nommé al-Nusra Front, notoirement affilié
à Al Qaeda. Il est évident que si Aleppe tombait
aux mains de Damas, les islamistes verraient leurs implantations
en Syrie très compromises.
Pour éviter d'être chassés
d'Aleppe, depuis des semaines, les islamistes ont entrepris
de se mêler étroitement à la population
civile. Toute attaque de Damas se traduit nécessairement
par des victimes civiles. Il ne reste à la propagande
de guerre américaine que trouver les bons moyens
d'attendrir les humanitaires en montrant des images de ces
victimes, au sein d'images encore plus abondantes d'Aleppe
« détruit » par les bombardement de Damas
eux-mêmes appuyés par les Russes. On oublie
de dire qu'une bonne partie de ces victimes est provoquée
par les bombardements de rebelles dans l'ouest d'Aleppe,
aux mains de Damas.
Mais pour la propagande de guerre américaine,
l'objectif n'est pas d'attendrir le monde entier par de
tels moyens médiatiques. Il est de préparer
un retour en force des milices islamistes et de leurs appuis
occidentaux pour détruire Bashar al Assad. L'Amérique
n'avait jamais renoncé à cet objectif, pour
la raison que le régime syrien se montre de plus
en plus accueillant pour les forces russes. L'accord négocié
pour la mise en place d'une base russe permanente à
Khmeimim n'a fait que renforcer la fureur américaine
(voir
notre article publié sur un autre site ).
Une reprise des hostilités américaines et
saoudiennes contre Damas, avec notamment l'instauration
d'une zone de non survol (no fly zone) empêchant les
aviations russes d'intervenir, viendrait à point
pour préparer une action de plus grande ampleur.
L'image de l'enfant blessé prépare évidemment
des actions, éventuellement soutenues par l'ONU,
pour mettre en place cette zone de non-survol.
La propagande occidentale se garde bien
de montrer les images de dizaines de milliers de civils
tués ces derniers mois par les rebelles modérés
soutenus par Washington. Elle se garde bien aussi de dire
que vouloir le départ de Bashar al Assad est vouloir
la mise en place à Damas d'un Etat islamique qui
deviendrait une menace, non seulement pour le Moyen-Orient,
mais pour tous les pays en proie au terrorisme islamique.
Les images de décapitations et de démembrements
pourraient alors alimenter les médias occidentaux,
à condition que ceux-ci veuillent bien enlever leurs
illères.
Ajoutons que les gouvernements et les médias
occidentaux se gardent bien de montrer des images des civils
tués dans le même temps par l'offensive américano-saoudienne
au Yemen. La protestation des médecins ayant vu leurs
hôpitaux détruits au Yemen par les Saoudiens
a été fort peu relayée.
En prenant un peu de recul, on peut suggérer
que l'image de l'enfant Omran Daqneesh constitue désormais
une arme précieuse pour présenter comme une
menace mortelle l'alliance en cours de concrétisation
entre la Russie, l'Iran, la Chine et que vient de renforcer
considérablement le soutien de Recip Tayyip Erdogan.
Il ne s'agit en fait que d'une menace contre les intérêts
américains, pétroliers et stratégiques,
encore très actifs au Moyen Orient. Faut-il rappeler
que trente ans de guerre américaine dans cette région
ont toujours été justifiés auprès
des opinions publiques par des arguments humanitaires montés
de toute pièce par exemple concernant les
gaz qu'aurait utilisés l'armée de feu Saddam
Hussein.
Si la future présidente américaine
restait insensible à l'image de Omran Daqneesh et
n'entreprenait pas dès son accession à la
Maison Blanche un retour en force de l'armée américaine
en Syrie, c'est qu'elle aurait bien mauvais coeur.
* Sur ce sujet, voir aussi Thierry Meyssan
http://www.voltairenet.org/article193042.html