Article.
L'évolution des hominidés et la découverte
du feu
Claude
Marcel Hladik, François Maugis 11/08/2016
L'article
ci-dessous est de Claude Marcel HLADIK, en retraite du Laboratoire
d'Ecologie Générale. Museum National d'Histoire
Naturelle, Brunoy
Cet
article est une réaction au nôtre L'hypothétique
mutation à la source du succès évolutif
des hominidés daté de 2011.
Il
nous a
été transmis par François Maugis, chercheur
ayant complété les travaux de Wrangham cité
dans l'article. Il nous adresse un texte présentant
certains de ses travaux
: La merveilleuse histoire de la pomme en l'air.
François Maugis est
Président de l'association Energie Environnement,
Référent développement durable et agenda
21 pour les projets territoriaux
(Ministère de l'écologie,du développement
durable et de l'énergie)
Il est aussi membre du Conseil
économique, social et culturel du Parc national de
la Réunion
Nous les remercions l'un et l'autre
NB. Les images et les liens sont de nous.
Automates Intelligents 11/08/2016
L'évolution
des hominidés
Claude
Marcel Hladik

Homo
erectus (reconstitution approximative)
Il y
aurait une explication, sans-doute complémentaire
à toutes les autres, concernant le passage de l'animal
à l'homme. Il s'agit des travaux de l'américain
Richard
Wrangham auteur de Catching Fire. How Cooking Made
Us Human. Basic Books (2009),
Cest
toute lhistoire de lémergence de lhomme
qui est remise en cause par ce livre et par les articles
récemment publiés par Richard Wrangham dans
des revues scientifiques incluant la très célèbre
Current Anthropology. Jusquà présent,
la plupart des anthropologues et des paléontologues
saccordaient pour faire remonter à environ
500.000 ans les premières utilisations du feu pour
la cuisson des aliments par le genre Homo. Cela se situait
donc déjà bien avant lapparition dHomo
sapiens. Mais les données soigneusement documentées
et les arguments présentés par Wrangham dans
son dernier ouvrage nous font faire un spectaculaire bond
en arrière et remonter aux deux derniers millions
dannées. Plusieurs espèces auraient,
à la suite dHomo
erectus, très vraisemblablement utilisé
le feu et inventé la cuisson des aliments, ce qui
explique la pression de sélection vers une mâchoire
réduite et un encéphale dont le volume na
cessé daugmenter.
Largumentation de R. Wrangham qui devrait amener
beaucoup de scientifiques à ré-écrire
la plupart des ouvrages concernant lévolution
de lespèce humaine est basée sur
la paléontologie, lanthropologie physique et
culturelle, et surtout sur des données biologiques
incontournables mises en évidence au cours de la
dernière décennie.
Concernant
la paléontologie, Wrangham et ses collègues
avaient publié, dès 1999, les résultats
de fouilles au cours desquelles des charbons de bois, datant
de 1,7 millions dannées, étaient présents
sur des sites à Homo erectus. Linterprétation
dune maîtrise du feu très précoce
fut alors remise en cause car la présence de traces
de feu peut évidemment être le résultat
du passage des incendies naturels. Cependant je fus moi-même
tout à fait convaincu de son interprétation,
au cours de discussions avec lauteur, connaissant
les campements des Pygmées dans les forêts
africaines, sur lesquels la trace des feux est rapidement
effacée après leur abandon ; car cela correspond
bien aux restes ténus pouvant subsister pendant des
millions dannées, que nos collègues
archéologues ont découverts.
Depuis cette époque, Wrangham a continué à
se documenter, et, comme les longues et difficiles fouilles
des archéologues napportent toujours pas de
résultats suffisamment convaincants, ce sont les
arguments biologiques qui constituent la plus grande partie
de son dernier ouvrage. Ce livre passionnant, basé
sur les comptes-rendus dexpérimentations rigoureuses,
se lit comme un véritable roman policier. Dans les
premiers chapitres, lauteur part à la recherche
des « raw foodists », ces amateurs actuels des
nourritures crues qui pensent revenir à la nature
et rester en bonne santé en ne cuisant pas leurs
aliments. Les résultats significatifs dune
vaste expérimentation sur des volontaires (avec un
lot témoin) ont montré limpossibilité
dobtenir un apport calorique suffisant, le régime
à 100 % de crudités étant dailleurs
une excellente méthode pour perdre du poids
De plus, un tel régime, bien quincluant les
variétés actuelles de plantes cultivées
beaucoup plus riches que leurs homologues sauvages, sest
avéré totalement inapte à la reproduction
dune population humaine actuelle, car les sujets féminins
étaient en aménorrhée.
De nombreuses autres observations à propos de la
nécessaire cuisson des aliments sont passées
en revue, incluant les aventures dexplorateurs perdus
et des références à des textes peu
connus. Cest notamment lhistoire dun chirurgien
américain qui, après lavoir sauvé
dun accident, a pu observer sur son patient la digestion
des aliments par une ouverture partiellement cicatrisée
permettant de voir directement lintérieur de
lestomac !
En définitive, Wrangham démontre une fois
de plus que la cuisson des aliments permet dobtenir,
grâce à une meilleure utilisation digestive,
une énergie beaucoup plus grande quà
partir de crudités. En cassant les liaisons des molécules
damidon des tubercules ou en gélifiant les
fibres conjonctives des viandes, la chaleur permet une mastication
plus facile et plus efficace daliments devenus plus
facilement assimilables. Cest dailleurs souvent
leffet physique de réduction en fines particules
qui est évoqué, un effet qui fut mis en évidence
par le simple broyage mécanique de la nourriture
distribuée à des rats : ceux dont la nourriture
étaient passée au mixeur sont devenus obèses,
alors que les témoins nourris des mêmes
aliments quils devaient mâcher ne grossissaient
pas.
Réduction de l'appareil
masticateur
Et cette observation constitue un argument-clé dans
la démonstration de Wrangham car la réduction
de lappareil masticateur (dents et maxillaire) observée
chez les différentes espèces du genre Homo
qui ont suivi H. erectus naurait pas permis de couvrir
les besoins en énergie à partir des aliments
crus disponibles dans leur environnement. Dautant
moins que laccroissement du volume de lencéphale
un tissu gros consommateur dénergie
qui accompagnait cette réduction de la mâchoire
augmentait considérablement le métabolisme
de base.
Largumentation sappuie donc sur des données
métaboliques, en ajoutant dailleurs que de
la réduction du tractus digestif aurait diminué
les possibilités dabsorption. Toutefois, je
réfute cette dernière remarque qui fait référence
à mes propres travaux cités dans cet ouvrage,
car les mesures des surfaces absorbantes du tractus digestif
des hommes actuels sont très comparables (compte
tenu des rapports allométriques des surfaces et des
volumes) à celles des chimpanzés sauvages
: notre appareil digestif a conservé sa forme primitive,
ce qui permet la grande flexibilité du régime
alimentaire. Nobody is perfect, et je reste admiratif devant
tout le reste du travail de documentation effectué
par Richard Wrangham et pour son interprétation globale
de lévolution du genre Homo.
Ainsi, avec une énorme mâchoire comparable
à celle dun chimpanzé, les pré-humains
que Wrangham nomme habilines (pour éviter
de prendre position sur leur statut dHomo habilis
ou dAustralopithecus habilis) trouvaient un équilibre
énergétique en ne consacrant quune faible
partie de leur temps à une mastication efficace de
nourritures crues. Lauteur étant un spécialiste
de lobservation des chimpanzés dans leur milieu
naturel, il connaît parfaitement leur régime
alimentaire incluant des fruits, des graines et des feuillages,
et probablement des tubercules sauvages facilement accessibles
et généralement comestibles à létat
cru, comme ceux que lon connaît actuellement.
Un appareil masticateur de plus faible taille ne peut fonctionner,
dun point de vue de léquilibre énergétique,
quavec des aliments ramollis par le feu (ou éventuellement
broyés avec un pilon).
Wrangham
cite des observations récentes de chimpanzés
qui, après le passage dun feu de brousse, vont
collecter dans les cendres, pour les manger, des graines
de légumineuses quil serait quasi impossible
de mâcher à létat cru. Le goût
amélioré de laliment cuit peut être
ainsi occasionnellement découvert. Homo erectus qui,
avec un cerveau sensiblement plus développé,
a succédé aux habilines pouvait
évidemment avoir la même expérience
alimentaire de graines accidentellement cuites et il a certainement
été beaucoup plus loin dans son utilisation
du feu, ce qui aura permis de subsister aux individus dont
la taille de la denture était sensiblement réduite.
La maîtrise du feu sapplique nécessairement
à dautres domaines que la cuisson des aliments
pour ces premiers ancêtres des hommes qui ne grimpaient
aux arbres que difficilement et devaient se protéger
des prédateurs. Dans leur ouvrage Man the Hunted
paru juste avant celui de Wrangham, Donna L. Hart et Robert
W. Sussman ont insisté sur les dangers que les prédateurs
font courir à tous les primates. Les petits groupes
dHomininae qui ont peuplé lAfrique au
cours des deux derniers millions dannées étaient
des proies particulièrement exposées aux grands
carnivores nocturnes ; et lidée que la maîtrise
du feu en vue de leur protection fut très précoce
permet aussi de comprendre en quel sens la pression de sélection
était en faveur des formes dont le volume de lencéphale
correspondait à une maîtrise des techniques.
Vers la fin de son livre, à propos des conséquences
socioculturelles impliquées par la cuisson des aliments,
Wrangham a repris les arguments quil avait présentés
dans Current Anthropology avec des collègues ethnologues,
à propos de la nécessité du groupement
et des associations entre mâle et femelles afin déviter
le vol des aliments cuits dans le campement. Cest
une discussion ouverte qui restera sans doute du domaine
des hypothèses.
Néanmoins, le traitement des aliments par la chaleur
dun feu nous apparaît, à la lueur de
la démonstration de Richard Wrangham, comme lélément
clé de notre évolution. La réduction
de la denture que la cuisson des aliments autorise
est liée à laccroissement du volume
de la boîte crânienne chez tous les fossiles
qui ont précédé les néanderthaliens
et Homo sapiens, avec des apports caloriques permettant
le développement dun tissu cérébral
gourmand en énergie. Lobservation de la réduction
de la denture des fossiles permet de dater, en fait, le
début de lutilisation dune alimentation
cuite.
Charles Darwin, ainsi que le fait remarquer Wrangham, navait
pas envisagé cette hypothèse car il ne disposait
pas des données adéquates. Il se référait
à un usage du feu relativement récent et culturel.
Mais il faudrait aussi revoir les idées de Claude
Lévi-Strauss à propos du cru et du cuit :
la cuisson des aliments est davantage un phénomène
biologique que culturel et symbolique, bien que lhumanité
ait vraisemblablement évolué à partir
ce phénomène vers les formes actuelles et
ses diverses cultures.
Claude Marcel HLADIK
La
merveilleuse histoire de la pomme en lair
François Maugis
La
Pomme en lair (1) nest pas une plante ordinaire.
Ce légume tropical bien connu dans nos départements
tropicaux dOutre-mer est aussi appelée «
Hoffe » à La Réunion, Thuma ou Adon
aux Antilles. Comme le Cambar Réunionnais (Dioscorea
alata) cette plante fait partie de la grande famille des
Ignames. Mais, me direz-vous, pourquoi ce curieux nom de
« Pomme en lair » ? Il faut reconnaître
que nos anciennes générations nétaient
pas dénuées de logique et de bon sens. Sils
ont baptisé cette plante « Pomme en lair
», cest tout simplement parce quil sagissait
bien dune sorte de pomme de terre mais se développant
en lair et pas sous terre. Rendez-vous compte, on
nest pas obligé de creuser le sol pour récupérer
le précieux tubercule ! Un vrai miracle cette plante
là.
Comme les autres plantes de sa famille, cette Igname est
en fait une liane qui pousse sur le sol des forêts
tropicales et grimpe jusquau sommet des arbres pour
aller chercher la lumière. Mais elle est lune
des rares Ignames à produire ces fameux tubercules
aériens qui lui ont donné son nom de Pomme
en lair. Autre miracle, ces pommes sont bien utiles
à sa reproduction et à sa prolifération.
En essaimant à travers la forêt ses fameux
tubercules ou bulbilles qui, mûrs, tombent sur le
sol et senracinent à leur tour, elle se reproduit
à linfini sans avoir besoin dêtre
mangée ni de passer par le stade compliqué
de la fleur, de la pollinisation, du fruit et de la graine.
Autant vous dire que cette plante neut aucun mal à
coloniser de nombreuses forêts tropicales du Monde.
Mais,
revenons à l'historique. Tout a commencé il
y a bien longtemps. Cette plante primitive a vu apparaître
puis disparaître les Dinosaures. Elle a vu apparaître
les singes il y a 38 millions dannées. Mais
ceux-ci ne la dérangeait pas. Qui aurait pu sintéresser
à ces sortes de patates difformes, sans odeur, sans
couleurs et très souvent toxique. Oh, il arrivait
bien que quelques jeunes singes affamés et inexpérimentés,
tentent de croquer la Pomme en lair. Mais cela nallait
pas bien loin. Auriez-vous lidée, de dévorer
une pomme de terre crue ?
Pourtant,
les choses allaient changer. Dans certaines forêts
et pour diverses raisons (changements climatiques, sècheresses,
etc.), se produisirent, de plus en plus fréquemment
des incendies. La population de singes était dense,
celle des Pommes en lair aussi. Au début, les
singes se contentaient de fuir lincendie. Mais, de
plus en plus souvent, certaines tribus de singes ne trouvaient
plus leur place dans cette forêt surpeuplée
et dont les dimensions se réduisaient. Ils devaient
quitter la forêt ou traverser dimmenses surfaces
incendiées ou désertes. Tiraillés par
la faim, ils se précipitaient sur tout ce qui pouvait
les nourrir. Parmi les restes de lincendie se trouvaient
des milliers de petites boules carbonisées quils
finirent par décortiquer. Et, oh surprise, il y avait
à lintérieur une pâte blanche
délicieuse, bien meilleure que cette Pomme en lair
crue dont ils avaient tous un mauvais souvenir.
Nos amis les singes venaient de découvrir les pommes
cuites à la cendre. Et il y en avait beaucoup, de
quoi nourrir toute la tribu pendant longtemps. Et puis la
vie reprend son cours. Nos amis frugivores repartent à
la conquête des arbres porteurs de fruits et de toutes
sortes de baies dont ils font leur ordinaire. A la première
fumée, pourtant, le souvenir de ces agapes de pommes
cuites leur revient. Les flammes à peine éteintes,
que font-ils ? Ils se précipitent sur ces petites
boules noires et sen régalent à nouveau.
Dans certaines régions dAfrique, cela devient
une habitude de plus en plus fréquente. Il arriva
même que certains tubercules crus soient projetés
(volontairement ou pas) dans la cendre encore fumante.
Le temps
passe et le singe se creuse de plus en plus souvent la tête
: « Y aurait-il donc un moyen daméliorer
mon alimentation ? » Toujours est-il que, chaque fois
quil aperçoit une fumée au loin, il
se précipite vers ce nouvel aliment décidément
plein de saveur. De plus en plus souvent, il projette dans
la cendre ces tubercules crus quil récupère
un fois cuits. Le temps passe et lintelligence du
singe augmente. En effet, consommer cuit demande moins defforts
à lorganisme que consommer crus. Les mâchoires
moins sollicités, rapetissent, les intestins soumis
à un travail moindre, raccourcissent, le cerveau
augmente de volume (2). De nombreuses années passent
encore. Puis un beau jour, le singe qui commence vraiment
à réfléchir, se demande sil ne
serait pas préférable damener le feu
chez lui plutôt que de toujours courir après.
Pour
ne pas se brûler, il dispose un peu de braise rougeoyante
entre deux pierres et amène le tout devant sa tanière
(dautres se contentent de transporter le feu au moyen
dun bâton à lextrémité
encore enflammée). Le nouveau feu installé,
il ne leur reste plus quà jeter les pommes
crues dans le feu. Des années sécoulent
ainsi au cours desquelles la première tribu dhommes-singes
maîtrise le feu et la cuisson des aliments. Et puis
dautres tribus dhommes-singes passent par là
et, morts de jalousie devant ce miracle, décident
de voler le feu. Ainsi débute la guerre du feu. Vous
connaissez la suite (3).
La
Pomme en l'air et les migrations des hominidés
Plus
tard, bien plus tard, la Pomme en lair accompagna
lhomme dans toutes ses migrations à travers
le Monde. On dit même que cest grâce à
elle que les tribus asiatiques dhommes-singes purent
traverser locéan pacifique. Embarquée
dans leurs frêles esquifs, la Pomme en lair
servait de nourriture pendant la traversée. Plantée
en arrivant dans les iles, elle permettait de survivre et
de continuer indéfiniment, dile en ile, le
voyage.
Voici
donc lhistoire merveilleuse de la Pomme en lair.
Quelque millions dannées plus tard les hommes
se souviennent encore de ce fruit tropical qui a permis
à lanimal de devenir humain et de peupler la
Terre. Ils ont encore du mal à y croire. Ce miracle
dépasse lentendement. Alors ils inventent une
histoire, celle du fruit défendu, le fruit qui les
rendit intelligent et maître du Monde. Et ils se disent
: « Prenons garde de bien utiliser cette intelligence,
car si nous ne le faisons pas, nous ne connaîtrons
plus jamais le Paradis qui a vu naître notre espèce
».
François
MAUGIS
Notes
1) A La Réunion, « Pomme en lair »
et « Hoffe » sont les noms vernaculaires de
Dioscorea
bulbifera, une des angiospermes les plus primitives.
Deux sou-variétés existent mais à ce
jour nont pas été distinguées
par le monde scientifique. Certains ont cependant baptisé
la forme africaine (hoffe noire) : Dioscorea bulbifera antropophagum
ou hoffa, et la forme asiatique (hoffe blanche) : Dioscorea
bulbifera bulbifera.
2) Théorie
émise par le CNRS (Analyse de Marcel Hladik en 1985,
des travaux de laméricain Wrangham, R. Voir
louvrage : Catching Fire. How Cooking Made Us
Human«, republié aux éditions
Basic Books (Perseus Books Group), New York, 309 pages.
ISBN 978-0465-01362-3 en 2009).
3) On
le voit, ligname est probablement lun des premiers
aliments cuits, consommé par les pré-hominidés,
mais cest aussi, probablement lune des premières
plantes cultivées. Cest en tout cas lidée
de E. Dounias qui pense que ces lianes à tubercules
ont permis la subsistance des hominidés en forêt
tropicale, avant lavènement de lagriculture.
Selon certains auteurs (« Lalimentation en forêt
tropicale » pages 953 à 957 Edition
UNESCO), certaines tribus primitives, encore aujourdhui,
replantent sur place la tête du tubercule sauvage
après sa récolte. Ce geste est à la
fois une appropriation de la plante nourricière et
la première étape vers une véritable
agriculture. Ce processus ayant été observé
dans de très nombreux pays (les Akas de Centrafrique,
les Chenchus de la Krisna River en Inde, les Aborigènes
en Australie, les Adamans aux Philippines, etc.) on peut
estimer que cette pratique est universelle et très
ancienne. La deuxième étape vers une véritable
agriculture serait ce que E. Dounias appelle « les
jardins cachés », pratique des Kubus de Sumatra
qui regroupent en forêt des pieds sauvages dignames
(Dioscorea hispida et D. piscatorum) dont ils font ainsi
une réserve de nourriture. La troisième étape
serait ce que Chevalier appelle la « protoculture
», pratique des Bongos dOubangui Chari qui déterrent
les pieds sauvages de Dioscorea dumetorum pour les replanter
à proximité de leur habitat.
A La
Réunion, comment expliquer, sur une terre occupée
très récemment par lhomme, la présence
de 3 variétés de ce tubercule (Dioscorea alata,
D. bulbifera antropophagum et D. bulbifera bulbifera), autrement
que grâce à un attachement viscéral
de lhomme à cette plante ? Cest probablement
au gré des migrations desclaves africains puis
des engagés asiatiques que, malgré les difficultés
dune telle entreprise ces tubercules, la seule richesse
de ces hommes, sont arrivés sur lile. La présence
sur cette ile des deux variétés de Dioscorea
bulbifera (africaine polyédrique et asiatique arrondie)
semble en témoigner. Limportation par les premiers
esclaves de la forme africaine est plus ancienne que limportation
de la forme asiatique par les premiers engagés indiens
(vers 1820). Ceci expliquerait que, même si elle est
marginale, seule subsiste la culture de la forme asiatique.
La forme africaine ayant été abandonnée
(probablement bien avant labolition de lesclavage)
on ne la retrouve plus quà létat
sauvage, ce qui expliquerait sa dégénérescence,
son amertume et peut-être même sa toxicité.