Note
stratégique
La sortie de la France de l'Union européenne pourrait-elle
lui permettre de relancer sa recherche scientifique?
Jean-Paul Baquiast 13/07/2016

Une fusée russe Soyuz
sur le pas de tir du Centre Spatial Guyanais
Nul
n'ignore que la recherche scientifique française
manque actuellement cruellement de financements. Cela tient
en grande partie à l'incompréhension des enjeux
par les Pouvoirs Publics. La décision récente
irresponsable du gouvernement visant à supprimer
3 milliards de crédits de recherche pour alléger
prétendument le poids de la dette publique en fut
le dernier exemple. Il a fallu une protestation générale
des chercheurs pour que cette décision soit (en principe)
annulée de justesse.
Mais
le mal est plus profond. Nous sommes bien placés
sur ce site pour constater quotidiennement le manque de
crédits publics qui ne permet pas à nos chercheurs
de mener les recherches tant fondamentales qu'appliquées
qui leur permettraient d'approfondir les nombreux atouts
dont ils disposent. Ce n'est le cas, ni des Etats-Unis,
suivant en cela une longue tradition, ni aujourd'hui de
la Russie et de la Chine. Pour eux l'investissement dans
les sciences, que ce soit dans le domaine militaire ou civil,
leur permet de figurer au rang des grandes puissances mondiales.
Ces
pays financent essentiellement leurs projets de recherche
par ce que l'on nommait jadis de la création de monnaie,
dite plus techniquement du quantitative easing. C'est
grâce à ces avances qu'ils peuvent se doter
des programmes de recherche et des retours sur investissement
pas lesquels les Etats-Unis ont toujours supplanté
l'Europe, ce que la Russie et la Chine, sans mentionner
d'autres pays, sont par ailleurs en train de faire à
une très grande vitesse.
Si la Banque centrale européenne n'était pas
pratiquement aux mains des intérêts américains,
elle devrait ouvrir, non pas aux banquiers d'affaires de
Wall Street et autres places, mais aux Etats europens, des
crédits remboursables à long terme 1) Pour
éviter toute démagogie gaspilleuses, ces crédits
devraient être gérés par un ou plusieurs
fonds stratégiques d'investissement opérant,
autant que possible, sous un contrôle démocratique.
En France,
les laboratoires et équipes qui comptent sur les
Programmes Cadres de Recherche et Développement (PCRD)
de l'Union européenne, et autres instances, verraient
sans doute très mal un Franceexit. Ils seraient ainsi
en partie coupés des financements européens
comme, plus généralement, des nombreuses coopérations
interdisciplinaires intereuropéennes qu'impose la
participation à ces programmes.
Mais un examen rapide montre que la recherche française
n'en souffrirait pas, au contraire, si du moins un gouvernement
un peu volontariste décidait de lui affecter en remplacement
les quelques dizaines de milliards supplémentaires
dont elle manque actuellement. Ceux-ci seraient prélevés
sur la dette mais avec un taux de retour, autrement dit
de remboursement, bien supérieur à celui des
autres dettes, lesquelles favorisent principalement la consommation,
sans mentionner la spéculation financière
internationale.
Il s'agirait
en effet d'investissements d'avenir, pour reprendre le terme
employé par le Commissariat général
à l'investissement chargé de la mise en uvre
d'un programme de ce nom. Mais leur nombre et leur niveau
devraient être bien supérieurs, sur quelques
années, à ceux envisagés par ce Commissariat
(et d'ailleurs encore aujourd'hui en mal de financement)
pour un tel programme.
Si l'on
rapprochait en effet le coût final payé par
la recherche française pour participer aux PCRD,
ne fut-ce qu'en interminables démarches bureaucratiques,
avec ce que leur apporte la participation aux programmes
européens, le bilan serait sans doute très
négatif. Certes, il ne faut pas sous-estimer leurs
résultats, mais il faudrait évaluer ceux-ci
au regard de ce que permettraient des procédures
nationales.
Les
programmes européens permettent, diraient les chercheurs,
de nécessaires contacts et collaborations avec leurs
homologues européens. Or l'objection ne tient pas.
La recherche a toujours été internationale
et le travail en commun avec d'autres chercheurs en fait
obligatoirement partie. Ne plus disposer des PCRD obligerait
les chercheurs français à renforcer leurs
efforts de coopération internationales, y compris
hors de l'Union, en dehors de tout temps perdu en formalités
bureaucratiques.
Ajoutons
que, plus en profondeur, la France sortie de l'Union européenne
devrait mobiliser toutes ses ressources scientifiques et
techniques pour survivre et prospérer. Le Royaume
Uni est aujourd'hui confronté à un défi
de même nature. Il fera appel à ses ressources
financières et commerciales. La France sera bien
mieux armée que lui, compte tenu de son potentiel,
certes diminué mais encore important, dans les sciences
et industries à forte valeur ajoutée scientifique.
Mais il lui faudra renoncer à espérer équilibrer
son PIB par ses seules capacités touristiques ou
d'aide à la personne.
La coopération avec d'autres pays, européens
et non européens, pourrait se faire dans un cadre
multilatéral, comme c'est le cas déjà
dans un certain nombre de structures internationales à
configuration variable. La France peut y jouer un rôle
correspondant à ses capacités, sans avoir
à demander l'autorisation de l'Union européenne
et moins encore celle des Etats Unis. C'est le cas en ce
qui concerne l'Agence Spatiale européenne (ESA pour
European Space Agency), évoquée par l'image
illustrant le présent article.
Coopération
avec la Russie
Sortir
de l'Union et bien évidemment de l'euro permettrait
par ailleurs à la recherche française de s'affranchir
des interdits imposés par Washington, sous prétexte
de « sanctions », à toute coopération
avec la science russe, comme plus généralement
avec la science dite aujourd'hui eurasiatique, dont la Russie
est avec la Chine un des pivots. Cette attitude américaine
est un des moyens par lesquels les Etats-Unis veulent priver
la Russie de tout apport européen à son développement.
La Russie est présentée par eux comme une
ennemie de plus en plus menaçante pour l' « occident »,
en fait pour les intérêt géostratégiques
du lobby militaro-industriel américain et plus généralement
de ce que l'on appelle « l'Etat profond »
américain.
Aujourd'hui,
un regard un peu attentif montre les nombreux domaines dans
lesquelles les sciences françaises et russes pourraient
coopérer, sans compromettre en rien leur indépendance
respective. On pense évidemment au spatial, où
la coopération franco-russe demeure essentielle pour
chacune des deux parties. Mais d'autres exemples, moins
bien connus, pourraient être cités. Mentionnons
en désordre l'astronomie, la robotique, la médecine,
les sciences biologiques et humaines, les sciences océaniques
et polaires...
Du fait
de l'embargo imposé par les Etats-Unis et accepté
sans murmure par l'actuel gouvernement français,
ces coopérations ne sont pas développées
comme elles pourraient l'être. Mais plus gravement
encore, de nombreux autres domaines de recherche ne sont
pas explorés, alors que, tant en France qu'en Russie,
de nombreux chercheurs seraient prèts à s'y
investir, suivant une tradition plus que centenaire.
La propagande
anti-russe fait valoir que, si cela était le cas,
les laboratoires et industries françaises seraient
soumises à un espionnage intensif, hérité
du stalinisme. Mais c'est oublier que dans les secteurs
de pointe, tout le monde espionne tout le monde. De toutes
façons, l'espionnage le plus dommageable dont souffrent
la science et l'industrie françaises, civiles et
militaires, provient des services de renseignements américains
et des grands de l'internet mondial, tous américains.
Malheureusement, aujourd'hui, compte tenu des moyens considérables
dont ils disposent, essayer de s'en protéger est
nécessaire mais souvent illusoire.
Evoquons
pour terminer un dernier point. Ceux qui en France proposent
d'approfondir les contacts et le travail en commun avec
la Russie se font répondre que celle-ci n'a aucun
besoin de telles perspectives, compte tenu de l'importance
de ses moyens propres. C'est oublier que la Russie, dans
les perspectives de coopération avec Pékin,
par exemple au sein de la Nouvelle Route de la Soie, n'a
pas encore nécessairement les moyens de se présenter
en partenaire de même force que la Chine, compte tenu
de la puissance croissante de ce pays. Elle accueillerait
donc avec beaucoup d'intérêts des perspectives
d'action conjointe scientifique et technique avec la France
chacun des deux partenaires, répétons
là, n'aliénant pas pour autant son indépendance
stratégique.
Les
deux pays disposeraient alors ensemble d'une puissance approchant
celle des Etats-Unis. Toutes les perspectives de coopération,
tant avec la Chine qu'avec les pays dits encore du Brics
et plus généralement avec les membres de l'Organisation
de Coopération de Shanghai, pourraient être
envisagés sans danger mais au contraire pour le plus
grand bien de tous.
Il y
a tout lieu de penser que les autres Etats européens
qui feraient le choix d'une sortie de l'Union européenne,
bravant à leur tour les interdits américains,
rejoindraient sans doute la France dans une perspective
de coopération avec la Russie dans de grands programmes
scientifiques
Note
1)
ou bien non remboursables, sous la forme des Obligations
à Durée Indéterminée, (ODI)
défendues depuis longtemps par l'un de nous sur nos
sites.