L'astronomie européenne,
la première du monde
Jean-Paul Baquiast 30/06/2016
Nous avons plusieurs fois rappelé que l'astronomie
européenne avait progressivement conquis un statut
la situant au sommet des astronomies mondiales. L'astronomie
française y joue un rôle notable. Certes, l'astronomie
européenne avait toujours tenu une place importante
dans cette discipline, mais depuis quelques décennies,
elle avait quelque peu pâli des investissements considérables
faits aux Etats-Unis, notamment dans le domaine de l'observation
satellitaire (Hubble). De plus, comme toujours dans les
sciences avancées, les chercheurs et les gouvernements
européens ne savaient pas mettre assez en valeur
leurs investissements et leurs résultat.
Aujourd'hui cependant, cette période de relatif retrait
semble terminée. D'une part les crédits de
recherche américains sont de plus en plus affectés
aux systèmes militaires,dans lesquels règnent
un épais secret-défense. D'autre part, avec
en particulier le développement de l'internet qui
permet de communiquer des résultats précis
sur des thèmes qui continuent à passionner
le grand public, l'astronomie européenne sait mieux
qu'auparavant faire connaître ses découvertes
et communiquer sur ses projets et sur les financements publics
qu'ils exigent. L'ESO, Observatoire
Européen Austral a parfaitement joué son
rôle en ces domaines. Précisons que, comme
dans tous les domaines scientifiques civils importants,
des chercheurs de tous pays y participent, notamment américains
et russes.
A ce jour, deux actions de l'ESO mobilisent l'attention
mondiale, au moins chez les astronomes et cosmologistes
Gravity
De quoi s'agit-il? Il s'agit d'abord d'une augmentation
de performance due à l'addition prochaine au Very
Large Telescope (VLT) européen implanté dans
le désert d'Atacama d'un nouvel instrument dit Gravity.
Le VLT comprend 4 grands télescopes couplés
avec 4 autres plus petits. Les grands télescopes
sont généralement utilisés indépendamment,
mais les quatre petits forment le VLTI : Very Large
Telescope Interferometer. L'interféromètrie
à deux instruments consiste à positionner
deux télescopes vers une même étoile.
On obtient deux signaux lumineux distinct dont la recombinaison
fournit un signal doté de plus d'information. Dans
leur recombinaison apparaît un phénomène
de franges d'interférence dont l'interfrange limite
la résolution; celle-ci est proportionnelle à
la longueur d'onde et inversement proportionnelle à
la distance. Plus la distance entre les télescopes
sera grande; meilleure sera la résolution.
(Voir Wikipedia. Interférométrie
. Voir aussi Observatoire
de Paris sur le même sujet )
En l'espèce, au VLT, l'interféromètre
est un télescope virtuel, dessiné par les
quatre petits télescopes qui le constituent et observent
la même cible céleste. Le VLTI sera donc un
télescope géant, équipé dun
miroir virtuel dont le diamètre équivaut à
la distance séparant les télescopes entre
eux. Comme les petits télescopes sont mobiles, ils
peuvent synthétiser, selon les besoins, un télescope
de 20, 50, 100, 200 mètres de diamètre. Seul
inconvénient par rapport à un miroir réel,
la luminosité de linterféromètre
est limitée par la surface de ses miroirs et ne peut
donc pas observer des astres très faibles.
Linterférométrie
est une technique très complexe et précise,
difficile et longue à mettre en uvre. C'est
pour améliorer ses résultats que sera utilisé
le nouvel instrument Gravity. Celui-ci est installé
dans un réseau sous-terrain se trouvant sous les
huit télescopes du système VLT. Des dizaines
de miroirs et de fibres optiques amènent la lumière
des étoiles, via quatre télescopes, vers Gravity,
qui fusionne les quatre faisceaux lumineux. Gravity, associé
au réseau VLT, peut synthétiser un télescope
de 100 à 200 mètres de diamètre, capable
doffrir des images 20 fois plus précises que
celles offertes par le télescope spatial Hubble.
De plus, avec Gravity les astronomes vont pouvoir coupler
les quatre télescopes géants ensemble .
Ceci permettra de mesurer, avec une précision
jamais obtenue encore celle offerte par un télescope
de 100 à 200 mètres de diamètre !
la surface de certaines étoiles, les jets
de matière qui jaillissent des étoiles naissantes
ou de certaines galaxies, et surtout, cest sa vocation
première, mesurer avec une extraordinaire précision
le mouvement des astres : mouvement des étoiles
au sein des couples stellaires, mouvements de certaines
exoplanètes, et enfin, et surtout, mouvement des
étoiles
autour du trou noir qui se trouve au
cur de la Voie lactée. La résolution,
cest à dire la capacité à discerner
des détails, du Very Large Telescope équipé
de Gravity sera environ 20 fois meilleure que celle du télescope
spatial Hubble.
Les astronomes espèrent ainsi pouvoir
observer, à 26 000 années-lumière de
nous, au cur de notre galaxie, le trou noir géant,
dune masse égale à environ quatre millions
de masses solaires. Bien sur, il ne sera pas possible d'observer
l'intérieur du trou noir lui-même, puisqu'aucun
rayon n'en ressort. Mais celui-ci imprime par sa masse et
sa densité exceptionnelles, un mouvement très
rapide aux étoiles qui lentourent. L'espace-temps
est tellement courbé par la masse du trou noir galactique
que la théorie de la relativité générale
dEinstein peut être testée directement
et précisément en observant le mouvement des
étoiles qui gravitent autour de lui. Létoile
S2, par exemple, gravite en quinze ans autour du trou noir,
et, lorsque son orbite elliptique approche lastre
au plus près du trou noir, sa vitesse atteint 3000
kilomètres par seconde, soit 1 % environ de la vitesse
de la lumière.
Nous avons présenté dans un
article
précédent les travaux du cosmologue français
Thomas Buchert. Il met en question l'argument selon lequel
les effets gravitationnels forts inexplicables par la cosmologie
classique, notamment au sein des galaxies et amas de galaxies,
ne pourraient se comprendre qu'en invoquant une hypothétique
« matière noire » jusqu'ici non observée.
Pour lui, au moins une partie pourrait résulter d'une
courbure accentuée de l'espace-temps autour des masses
importantes, la courbure étant fonction de la masse.
L'hypothèse est conforme aux principes de la relativité
d'Einstein. Mesurer avec un instrument tel que Gravity l'accélération
précise des astres autour d'un trou noir massif permettrait
peut-être de mesurer la courbure de l'espace- temps
en résultant afin d'apporter des éléments
d'observation aux hypothèses de Thomas Buchert et
de ses collègues, étendues à l'échelle
de l'univers tout entier 1).
Le Télescope
géant européen ( European Extremely Large
Telescope 1 ou E-ELT1
Il s'agit d'un télescope terrestre, faisant partie
de la série des trois télescopes géants
en cours de construction, qui doit être inauguré
en 2025 ( Voir
Wikipedia ) Construit par l'ESO, il doit permettre des
avancées majeures dans le domaine de l'astronomie
grâce à son miroir primaire d'un diamètre
de 39 mètres. Un miroir plus grand encore, celui
du projet européen OWL, a du malheureusement être
abandonné faute de crédits suffisants.
L' E-ELTI1 sera situé au nord du Chili, sur le Cerro
Armazones (3 060 mètres d'altitude) qui
fait partie de la cordillère de la Costa (Andes centrales)
et à vingt kilomètres à l'est du Cerro
Paranal, site des quatre télescopes du VLT de l'ESO.
Pour pouvoir effectuer des percées décisives,
telles que l'observation des premières galaxies ou
des exoplanètes, il sera capable de collecter quinze
fois plus de lumière que le VLT, ce qui en fera le
télescope le plus puissant au monde. Il est prévu
que l'E-ELT entre en service au cours de l'année
2024.
Il faut regretter que les pays européens, malgré
ces réalisations remarquables, n'y consacrent pas
plus de moyens, sous prétexte de dette publique à
couvrir. Quand on sait qu'une grande partie de ces dettes
ont été provoquées par des mouvements
spéculatifs, il serait indispensable à la
survie même de l'Europe, face non seulement aux Etats-Unis,
mais à la Chine et la Russie, de prélever
sur lesdites « dettes » les quelques
milliards supplémentaires nécessaires au financement
des projets de l'ESO, ou d'autres analogues
1)
Thomas Buchert nous met cependant en garde. L'interprétation
de ces observations reste dépendant du modèle,
soit on peut "mesurer" la matière noire,
ou bien la loi MOND, ou bien, indirectement, la courbure.
On risque alors de mélanger la puissance de l'instrument
avec l'hypothèse d'interprétation. Cependant,
si les données sont meilleures, la précision
des modèles le sera aussi.