Sciences politiques . Faire taire la lutte des classes
Jean-Paul Baquiast 26/05/2016
Nous
présentons ici en hors texte la conclusion de
l'analyse que nous faisons par ailleurs du livre de
Paul Jorion "Le dernier qui s'en va éteint la
lumière..

Philippe Martinez, secrétaire
général de la CGT. Voir ci-dessous
On
peut penser que la majorité des visiteurs de nos
sites sont informés des risques que fait courir à
la survie de l'humanité la poursuite des politiques
de consommation d'énergie fossiles provoquant un
réchauffement climatique d'ores et déjà
profondément destructeur. Ils sont également
conscients du danger d'un développement de systèmes
robotiques et d'intelligence artificielle évolués,
tendant vers l'autonomie et pouvant de plus en plus se substituer
à l'homme. Ceci dans le domaine militaire où
ils vont devenir la règle mais aussi dans le domaine
civil. Le livre de Paul Jorion, « Le dernier
qui sort éteint la lumière » donne
d'intéressantes précisions dans ces deux domaines,
il est donc à lire. Mais ce n'est pas sur ces points
que nous voudrions insister ici.
Pour notre part, nous recommandons plus particulièrement
les pages du livre qui mettent en garde contre le pouvoir
que se sont donnés les intérêts financiers
internationaux sur le monde et son avenir. Beaucoup d'auteurs
dits anti-systèmes abordent ces thèmes. Nous
mêmes nous nous y référons constamment.
On peut donc penser qu'ils sont connus et que Paul Jorion,
dans ce livre comme d'ailleurs dans certains de ses précédents
ouvrages, n'apporte pas d'éléments particulièrement
originaux.
Ce
serait une erreur. L'auteur de ces lignes, qui se croyait
de par ses activités professionnelles antérieures
convenablement informé sur ces points, a découvert
en lisant Paul Jorion qu'il connaissait mal en profondeur
les mécanismes permettant à ce que l'on nomme
désormais les 3% des plus riches de dominer les 97
autres %. Ces 3% ont mis au point progressivement, mais
plus particulièrement dans les dernières années,
des systèmes financiers et boursiers à l'échelle
du monde, qui sont organisés pour capter à
leur profit les plus values résultant du travail
productif des salariés, des petits entrepreneurs
et des entreprises associatives.
Il
en résulte une spoliation à grande échelle,
qui ne cesse de s'accroitre avec les progrès technologiques.
Ceci du fait que les 3% se sont donné le monopole
quasi exclusif des sciences et technologies innovantes,
au service d'activités de recherche/développement
dont ils se sont assurés le contrôle, notamment
rappelons le dans les domaines de l'information et de la
surveillance en réseau consacrés à
la protection de leurs intérêts de classe.
Nous
avons ici souvent évoqué le rôle joué
en ce sens, au service des 3 %, qui sont principalement
liés aux centres de pouvoir de Wall Street et de
Washington, par l'association de plus en plus néfaste
pour l'avenir de l'humanité, de Google et ses homologue,
avec la NSA, la CIA et leurs homologues se consacrant à
l'espionnage et aux actions clandestines de destruction
des efforts de démocratie pouvant apparaître
dans le monde.
Le silence
organisé
Paul Jorion insiste plus particulièrement sur ces
questions, plus complexes qu'elles n'en ont l'air. Ce qui
est pour nous une raison de plus pour recommander la lecture
du livre et les appels implicites à la révolte,
pour ne pas dire à la révolution, qu'il suggère.
Mais sur ce dernier point, l'auteur lui-même reconnaît
qu'il ne faut pas se faire d'illusions.
Les pouvoirs dominants ont depuis longtemps maitrisé
les canaux de la recherche universitaire, des débats
publics, de l'utilisation des médias et plus généralement
de l'action politique de terrain. Tout est fait, plus particulièrement
dans les pays occidentaux où se concentre la richesse,
pour éviter que les populations prennent conscience
des mensonges multiples dont ils sont inondés pour
les empêcher d'ouvrir les yeux.
Au plan des sciences humaines, il insiste plus particulièrement
sur la forfaiture ayant consisté à imposer
sous le terme de « science économique »
les façons les plus savantes et les moins détectables
par lesquelles le néolibéralisme financier
prétend décrire l'économie au service
de ses objectifs. Les néolibéraux éliminent
de cette façon toute les questions relatives par
exemple à l'étude de la lutte des classes
ce que faisait , bien qu'avec timidité une
« économie politique » de plus
en plus rejetée dans les ténèbres..
Mentionnons l'économiste Alain Supiot, que l'on peut
lui aussi qualifier d'anti-Système, significativement
très ignoré en France. Nous y reviendrons
1)
Nous
avons pour notre part dénoncé ici l'escroquerie
intellectuelle que représente le Prix Nobel d'économie,
particulièrement illustrée récemment
par l'attribution de ce prix à un français
pour qui l'économie doit soigneusement éviter
l'étude des luttes de pouvoir entre exploitants et
exploités, afin de se consacrer à une économie
mathématique entièrement au service des calculs
d'optimisation financière, autrement
dit des meilleurs façons de renforcer le pouvoir
des exploitants.
Les débats actuels sur la Loi Travail en France,
et les résistances syndicales inattendues que soulève
le passage en force sur ce texte d'un gouvernement se disant
socialiste, donnent de nombreux exemples de la pertinence
des analyses de Paul Jorion. Comment les dominants osent-ils
imposer aux salariés, par une « flexibilité »
accru des rémunérations de base, ce que les
marxistes appelaient en leur temps la « Loi d'airain
des salaires ».
Ceci
au moment où plus que jamais les entreprises du CAC
40 et le Medef qui les représente font tout ce qu'ils
peuvent pour cacher les centaines de milliards de profits
indus qui se dissimulent dans les paradis fiscaux. Ceux-ci,
que les gouvernements prétendent combattre tout en
poursuivant en justice les rares lanceurs d'alerte, ne cessent
de se reconstituer sous de nouvelles formes et de renforcer
partout dans le monde, y compris en Europe.
La même question est posée par Paul Jorion
à propos de la dette des Etats. Celles-ci sont généralement
attribuées par les « voix autorisées »
à un laxisme des gouvernements face aux revendications
sociales et aux demande de financement public en matière
d'investissement productif et de recherche scientifique.
Paul Jorion rappelle ce que le grand public ignore, le fait
que ces dettes sont essentiellement dues à des engagements
spéculatifs des intérêts nationaux et
transnationaux, ainsi qu'aux exigences de ces derniers pour
que les Etats réparent leurs erreurs de gestion quand
ces dernières se produisent régulièrement.
Nous avons ici souvent évoqué le cas de la
Grèce, dont les populations travailleuses sont actuellement
étranglées par les exigences de « rigueur »
imposées par la troïka Union européenne,
Banque centrale européenne et FMI, alors que les
dettes publiques grecques résultent essentiellement
d'emprunts fait au profit de spéculateurs grecs et
non-grecs représentants des 3% de dominants. La question
plus générale du remboursement des dettes
publiques, dont les dominants prétendent ne pas vouloir
charger les « générations futures »
mais au contraire imposer aux classes travailleuses actuelles
seules productrices de valeur dans l'économie réelle,
illustre bien les analyses de Paul Jorion.
Mais que peuvent faire les exploités?
Paul Jorion sur ce plan n'est pas très optimiste.
Les résistances organisées par les dominants
et les institutions publiques et privées à
leur service pour faire taire les opprimés sont telles
que rien ne pourra permettre à ces dernières
de se faire entendre. Ainsi les quelques décennies
qui restent selon lui pour assurer la survie de l'espèce
humaine ne seront pas consacrés à lutter contre
les comportements destructeurs et finalement auto-destructeurs
imposés au monde par les intérêts dominants.
Il cite à cet égard, petit exemple, le cas
de la production-consommation d'énergie fossile,
charbon et pétrole, qui ne cesse d'augmenter malgré
les recommandations pourtant bien timides de la récente
COP 21. Les prétendues politiques d'économie
d'énergie et de production d'énergie verte
restent globalement lettre morte. Elles le resteront jusqu'aux
catastrophes finales mais alors il sera trop tard.
Le silence imposé aux dominés, et le désarmement
de leurs velléités de résistance, trouve
une bonne illustration en France dans la façon dont
la CGT et les syndicats résistants à la Loi
Travail, citée plus haut, ont été attaqués
par le gouvernement et les médias aux ordres. Philippe
Martinez a été quasiment présenté
comme un ennemi du peuple, au prétexte des quelques
grèves organisées par la CGT dans le secteur
de l'énergie, où ce syndicat a conservé
une certaine représentation. Les usagers de véhicules
ont été appelés par le gouvernement
à la révolte, alors que c'est contre l'exploitation
autrement plus massive que leur imposent les grands intérêts
financiers qu'ils devraient se révolter.
Ne concluons pas pour notre part que les 97 % de dominés
devraient se résigner. Au contraire, ils devraient
plus que jamais se battre, notamment au sein des médias
« alternatifs » et de mouvements de
résistance spontanés. Mais à titre
personnel nous restons sceptiques. La fin de l'humanité
nous paraît, comme sauf erreur à Paul Jorion,
quasiment inévitable.
Note
1) .Mentionnons l'économiste Alain Supiot, que l'on
peut lui aussi qualifier d'anti-Système, significativement
très ignoré en France. Nous y reviendrons
Sur Alain Supiot, voir Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Supiot
ainsi que son site au Collège de France http://www.college-de-france.fr/site/alain-supiot/