Article. La malédiction
de l'intelligence
Jean-Paul Baquiast 23/05/2016

Dans
notre
éditorial du 16/05/2016 intitulé « L'intelligocène »
nous proposons ce terme plutôt que celui d'anthropocène,
pour désigner l'ère dans laquelle est entrée
la Terre depuis l'apparition d'animaux dits intelligents,
aujourd'hui nommés les humains. Nous indiquons également
que cette ère risque d'être très courte,
au mieux quelques siècles à venir, du fait
que l'intelligence, qui a déjà profondément
transformé la Terre, est semble-t-il en voie de la
détruire. Précisons ici certaines assertions
de cet éditorial.
Non
seulement l'intelligence des humains, mis au service de
leur volonté inépuisable d'extension et de
conquête, les a déjà conduits à
provoquer une nouvelle grande Extinction des espèces
vivantes, mais elle les met sur la voie de générer
des changements climatiques majeurs. Ceux-ci, qui ne se
limitent pas au réchauffement mais à d'autres
effets annexes comme la désertification, seront les
principaux acteurs de la disparition des espèces
vivantes ayant encore survécu à ce jour.
On peut
penser qu'en quelques siècles, ces changements affecteront
d'une façon si profonde l'ensemble de la Terre qu'ils
la transformeront en une planète semblable à
ce que sont aujourd'hui Vénus ou Mars, totalement
incompatible avec le maintien de la vie. Vénus est
un astre surchauffé, à l'atmosphère
dense, soumis à un effet à un puissant effet
de serre. Au contraire Mars, pratiquement sans eau de surface
et presque dépourvue d'atmosphère, subit avec
une telle intensité les rayonnements solaires qu'elle
se présente aujourd'hui comme un désert aride,
soit très chaud soit très froid, selon les
expositions.
Il
est impossible aujourd'hui de prévoir ce que deviendra
la Terre avec la fin de la vie terrestre, qui marquerait
le terme de l'intelligocène. Les deux voies semblent
possibles, dépendant notamment de ce que deviendront
les eaux océaniques. Soit elles s'évaporeront
en partie produisant avec d'autres gaz à effet de
serre un confinement analogue à celui régnant
sur Vénus. Soit elles se disperseront dans l'espace
interspatial. Ces hypothèses peuvent permettre de
penser que Vénus comme Mars, situées toutes
les deux comme la Terre dans la zone habitable, et ne semblant
pas présenter de différences géologiques
majeures par rapport à la Terre, ont pu être
il y a quelques milliards d'années des planètes
habitéess, où la vie serait apparue et surtout
se serait transformée et complexifiée, bien
avant ce qu'elle a fait sur Terre.
Cette
vie aurait permis très rapidement, pour des raisons
contingentes, l'apparition d'espèces complexes puis
intelligentes. Les conséquences désastreuses
de cette intelligence aurait provoqué en quelques
millénaires leur disparition. Les deux planètes
pourraient donc être la préfiguration de ce
que deviendra la Terre sous les effets néfastes de
l'intelligence humaine.
Mais
peu importent les causes ayant donné à Vénus
ou Mars leur visage actuel. Il suffit de s'interroger sur
le risque de voir la Terre, détruite à long
terme par les effets de l'intelligence, devenir semblable
à elles. Ceci soulève immédiatement
la question de savoir pourquoi, l'émergence chez
l'homme d'un cerveau capable d'intelligence pourrait avoir
de tels effets catastrophiques. L'intelligence humaine,
comme semblent encore le croire quelques « humanistes »
bien-pensants, ne permettrait-elle pas de prévoir
l'apparition de tels effets catastrophiques et de faire
en sorte qu'ils ne se développent pas de façon
destructrice non seulement pour l'homme, mais pour la vie
terrestre en général.
L'intelligence
et ses effets
Il est
nécessaire de se poser la question de ce que l'on
désigne par le terme d'intelligence. En simplifiant
beaucoup, on peut dire qu'il s'est agi d'une mutation apparue
dans les cerveaux de certains primates leur permettant de
transformer le milieu naturel avec des outils provenant
de ce même milieu naturel. Ce phénomène,
comme nous l'avions rappelé dans notre essai « Le
paradoxe du Sapiens » serait apparu des la
fin de l'histoire des australopithèques et n'aurait
cessé de se complexifier depuis de façon évolutionniste.
Il aurait provoqué les transformations prodigieuses
subies par la Terre et en conséquence par l'humanité,
notamment depuis l'ère industrielle. Mais il aurait
parallèlement provoqué une croissance démographique
et finalement un épuisement des ressources terrestres
disponibles.
Comme
l'indique l'anthropologue Paul Jorion dans son dernier ouvrage
« Le dernier qui sortira éteindra la
lumière », la science et la technique
ne paraissent pas pouvoir, contrairement aux rêveries
des tenants de la Singularité, permettre dans un
horizon de temps prévisible, l'apparition d'humains
tellement augmentés qu'ils en deviendraient artificiels
et moins encore la survie de ceux-ci sur une autre planète.
Par
contre, elles ont toutes les ressources nécessaires
pour se mettre au service des instincts les plus destructeurs
de l'humanité. Il en résulte d'ailleurs qu'aujourd'hui,
la science et la technique ont toujours été
utilisées davantage par les militaires que par des
« humanistes » ou des philosophes.
Or il
faut rappeler que si le cerveau humain, dans certaines des
aires de son cortex supérieur, est capable de générer
des comportements intelligents qui sont notamment à
la source des connaissances scientifiques désintéressés,
il est encore plus capable de faire naître et entretenir
chez l'homme des compétitions économiques
mortelles, l'agression et la guerre. Les facultés
de l'intelligence se sont dès les origines mises
au service de ces pulsions mortifères. Avec l'épuisement
des ressources naturelles, ces dernières ne pourront
que se renforcer.
Comme
il s'agit de ce que l'on pourrait appeler d'un terme peu
scientifique des instincts profonds, bien plus marqués
chez l'homme que chez les autres espèces supérieures,
il est légitime de penser que si certains scientifiques,
s'appuyant sur leur intelligence, prévoient déjà
les conséquences catastrophiques de la poursuite,
« business as usual », des
comportements destructeurs actuels, ils n'auront pas de
poids suffisants pour contrer les pulsions destructrices
présentes chez le reste de l'humanité.
Il
n'est d'ailleurs pas inutile de rappeler que celle-ci comportant
actuellement plus de 7 milliards d'individus, en comportera
prochainement une dizaine de milliards. Sans céder
au « racisme » on peut pronostiquer
que ceux-ci, poussés par le besoin et n'ayant ni
le temps ni les facilités matérielles pour
accéder à une science humaniste, obéiront
davantage aux impulsions irrationnelles souvent religieuses
qu'aux effets de raisonnement globaux rationnels. On en
arrivera à la prévalence de mouvements suicidaires
du type: « Peu importe que je meure si mes
adversaires meurent avant moi. Je n'en arriverai que plus
vite au paradis ».
D'où
la courte duré de vie à venir que certains
prévoient pour l'intelligocène et la vie terrestre
en général.Est-il possible d'affirmer que
ce disant ils se trompent. Nous ne voyons pas pour notre
part d'arguments solides à leur opposer.
Comme
quoi la course actuelle pour la « conquête »
de Mars pourrait s'avérer inutile. Nous ferons nous-mêmes
de la Terre, sans dépenses coûteuses en matière
de voyages interplanétaires, une planète semblable
à ce qu'est notre proche voisine.
Note
On peut lire dans le New Scientist un article intitulé
Swansong Earth qui décrit les différentes
phases d'extinction de la vie au fur et à mesure
du réchauffement du à la transformation du
soleil en boule de feu. Ceci sera inévitable mais
ne surviendra que dans quelques milliards d'années.
Dans l'hypothèse évoquée ici, l'augmentation
de température serait seulement due aux activités
dites intelligentes. Elle serait moins importante, mais
se produirait infiniment plus tôt. Ses effets sur
la vie seraient les mêmes.
Voir
https://www.newscientist.com/article/mg23030722-700-last-days-of-earth-life-in-7-billion-years-ad/