Sciences politiques. Qui est derrière
les actions « Nuits debout » et que cherchent
ses participants?
Jean-Paul
Baquiast 15/04/2016
Les
actions « Nuits debout » (ou Nuit debout) qui
se répandent de plus en plus en France, ont tout
pour attirer la sympathie de ceux qui combattent le «
Système » c'est à dire l'entremêlement
des représentants des 5% les plus favorisés,
leurs mandataires politiques et les médias sous contrôle.
Elles rassemblent des manifestants jeunes ou relativement
jeunes, elles donnent la parole, dans certaines limites,
à tous ceux qui veulent la prendre, elles ne proposent
pas d'idéologies bien arrêtées jugées
démodées, par exemple de type marxiste ou
anarchique. Le point initial, qui avait présidé
à leur naissance, visait à lutter par des
mouvements de rue paisibles contre la Loi El Khomri dite
loi travail. Elles abordent aujourd'hui toute une série
d'autres questions politiquement importantes.
Certes
dans certains ces, des casseurs qui n'ont aucun lien avec
ces manifestants se joignent à eux, mais il s'agit
d'une pollution inévitable dans une démocratie
où la police ne contrôle pas systématiquement
les mouvements de rue.
Il a cependant été
remarqué que les manifestants ne rassemblent pas
de représentants des classes , qui sont les plus
victimes du Système, jeunes sans qualification, chômeurs,
habitants des banlieues dite défavorisées
ou ruraux menacés de disparition. Il faut dire aussi,
comme cela avait déjà été remarquée
en mai 1968, que manifester dans la rue de façon
relativement disciplinée, et plus encore prendre
la parole, fut-ce de façon confuse, suppose un minimum
d'éducation et de pratique. Les vrais exclus ne savent
évidemment pas comment s'exprimer de ces façons.
Mais cette constatation ne suffit pas à déconsidérer
le mouvement. Dans toutes les luttes sociales, il faut que
des minorités agissantes plus favorisées socialement
s'expriment et manifestent à la place de ceux qui
ne peuvent pas le faire.
Au delà de la sympathie
que les Nuits debout suscitent dans une partie de l'opinion,
à gauche mais même aussi à droite, les
critiques ne manquent pas pour faire valoir l'absence d'objectifs
politiques et économiques à long terme, ainsi
en conséquence que l'absence d'organisations susceptibles
de mettre en oeuvre ces objectifs. Là encore, dira-t-on,
c'est inévitable. Pour présenter des programmes
de type anti-Systéme crédibles, il faut faire
la synthèse de multiples revendications et désirs
de changement, en les organisant de façon viable
sur le long terme. Ceci que ce soit aux trois plans de l'action
économique, de l'exercice du pouvoir gouvernemental
ou plus encore en matière d'action internationale.
Si de telles organisations existaient, elles n'auraient
pu se préparer sans de nombreuses études et
discussions qui les auraient fait connaître. De plus
elles s'exprimeraient d'une façon bien mieux organisées,
utilisant toutes les ressources de l'action politique.
Le succès actuel
des Nuits debout tient simplement sans doute à la
propagation d'une action de type mémétique,
dont le principe avait été longuement étudié
sur ce site. Il suffit que les initiatives de quelques personnes
, correspondant à une attente vague de divers milieux
récepteurs potentiels, soient reprises et propagées
de façon virale, notamment aujourd'hui par l'intermédiaire
des réseaux multimédia, pour qu'une diffusion
de grande ampleur se produise. Mais celle-ci, en absence
de relais organisateurs, s'éteint le plus souvent
d'elle-même. Les gardiens de l'ordre ont avantage
en ce cas de ne pas la réprimer de façon plus
ou moins violente, mais la laisser s'épuiser d'elle-même.
Espérer en tous cas que d'un chaos sympathique puisse
naitre subitement un nouvel ordre constructif relève
un peu de l'illusion. Le concept d' « order from disorder
» est très difficile à vérifier,
même en sciences.
Ceci ne voudrait pas dire
que les manifestants, se persuadant de ces difficultés,
devraient renoncer à manifester et rentrer chez eux.
Mais il devraient sans doute s'attendre, comme lors des
mouvements précédents, Occypy Wall Street
ou Podemos, à ne pas trouver de relais sérieux
ou à être récupérés par
des forces politiques déjà bien installées,
n'ayant rien de révolutionnaire. Il n'est pas exclu
cependant que, de façon indirecte, ces manifestations
sans mots d'ordre ni objectifs précis, mais dynamiques,
soient considérées avec faveur par une partie
de l'opinion se voulant anti-système. Sans agir directement,
elles pourraient faire évoluer dans le sens d'un
changement plus ou moins profond diverses forces d'opposition
ou même certains éléments des partis
au pouvoir. Affaire donc à suivre, selon la formule.
Maidan
Une hypothèse beaucoup
plus inquiétante serait que les « Nuits debout
» ou leurs homologues soient organisées systématiquement
de façon clandestine par des pouvoirs cherchant au
plan géopolitique à provoquer des changements
de régime radicaux dans les démocraties européennes.
Il s'agirait de mettre en difficulté devant l'opinion
les gouvernements actuels, jugés trop mous dans leur
engagement à l'égard de puissances mondiales
en lutte pour la suprématie. Ces puissances, pour
simplifier, seraient la Russie et les Etats-Unis. Du temps
de l'URSS, il n'aurait pas fallu attendre longtemps pour
voir les faiseurs d'opinions attribuer ces mouvements à
« la main de Moscou » visant à déstabiliser
les régimes dits « du monde libre » .
Mais aujourd'hui l'hypothèse d'une intervention déterminée
du Kremlin ou moins encore de Pékin, ne serait guère
crédible.
Beaucoup plus vraisemblable
serait l'intervention de services américains (la
diplomatie des services secrets et du dollar) visant à
déstabiliser les gouvernements européens,
à l'ouest comme à l'est. Ceux-ci dira-t-on
ne représentent guère de menaces pour Washington
et ses politiques hégémoniques. Mais ce serait
une erreur de le croire. Aussi soumise qu'elle soit aux
politiques américaines, la France par exemple représente
une certaine résistance potentielle à l'engagement
anti-russe ou plus généralement aux entreprises
des pouvoirs financiers dominant à Wall Street et
à Londres. Faire peur aux classes favorisées
pour contribuer à les jeter de façon plus
affirmée qu'aujourd'hui dans les bras du Département
d'Etat et du Pentagone ne peut pas, si l'on peut dire, faire
de mal.
Pour cela les services américains
ou ceux qui leur sont proches en Europe peuvent s'appuyer
sur des agitateurs quasi professionnels mais discrets. formés
depuis longtemps pour provoquer des changements de régime
là ou Washington peur regretter un certain manque
d'enthousiasme. Ces agitateurs ne se présentent évidemment
pas en ce cas comme des « agents de l'impérialisme
américain », mais comme des défenseurs
des droits de l'homme et autres grandes valeurs démocratiques,
si souvent attribuées, évidement à
tort, à la société américaine.
Aujourd'hui le Réseau
Voltaire, animé par Thierry Meyssan, voit dans un
certain Gene Sharp et dans ses réseaux droit de l'hommistes
l'acteur principal des actions qui ont provoqué la
chute de gouvernements jugés insuffisamment collaborateurs
par Washington. Nous ne prenons pas systématiquement
au pied de la lettre les articles publiés sur ce
site, mais nous refusons à l'inverse de les rejeter
systématiquement comme « conspirationnistes
». Or un texte récent de Thierry Meyssan publié
sur ce site: « Nuit debout », un mouvement à
dormir debout ( voir références ci-dessous)
mentionne une liste impressionnante de pays où les
gouvernements, à la suite d'actions déstabilisatrice
provoquées par les organisation se revendiquant de
Gene Sharp, ont été renversés. Mais
tout attribuer à Gene Sharp serait sans doute naïf
Des organisations sur ce modèle peuvent apparaître
à tous moments discrètement, en résultat
de la « diplomatie des services secrets et du dollar
».
Les jeunes militants des
Nuits debout en France s'indigneraient de pouvoir être
soupçonnés de tels agissements. Mais évidemment,
ils le seraient à « l'insu du de leur plein
gré », selon la formule célèbre.
Il n'est pas exclu d'ailleurs que des actions en retour
se produisent, non prévues par les pouvoirs manipulateurs
représentant l'Etat profond américain. Il
s'agirait alors d'un retour de gifle bien mérité.
On pourrait imaginer par exemple que les millions de jeunes
américains s'organisant derrière les candidats
« contestataires » à la Maison Blanche,
que sont chacun en ce qui les concerne Donald Trump ou Jeremy
Sanders, se saisissent sans même rendre compte des
exemples offerts par les militants sincères des Nuits
debout en France ou ailleurs en Europe. Dans ce cas, ils
pourraient peut-être, sauf à être férocement
réprimés, provoquer un « regime change
» aux Etats-Unis eux-mêmes.
Alors leurs effectifs bien
plus considérables que ceux mis en oeuvre par les
Nuits debout pourraient inquiéter sensiblement les
défenseurs des pires aspects du pouvoir américain,
dont Hillary Clinton est aujourd'hui la meilleure représentante.
Références
* Nuit
debout Site
* Thierry Meyssan :«
Nuit debout », un mouvement à dormir debout
* Gene Sharp
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gene_Sharp