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Africanistan.
L'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues?
Serge
Michaïlof
Fayard 14 octobre 2015
Commentaire par Jean-Paul Baquiast
29/03/2016
Présentation
par l'éditeur
En 2050, lAfrique sera plus peuplée que la
Chine, mais les jeunes en âge de travailler y seront
trois fois plus nombreux et les emplois manqueront encore
plus cruellement quaujourdhui. Or le chômage
massif de jeunes à demi scolarisés constitue
lune des principales explications de leffondrement
dramatique de lAfghanistan, la Syrie ou lIrak.
Le Sahel francophone est une zone dimmense fragilité,
dont les caractéristiques rappellent lAfghanistan.
Nous ne voulons voir que lAfrique en progrès,
celle qui offre de nouveaux marchés et regorge de
matières premières. Mais lAfrique en
crise existe toujours et se comporte comme un cancer, envoyant
ses métastases dans les pays voisins, et jusquen
Europe. Bien naïf celui qui croira que la charité
et les interventions militaires suffiront à éteindre
lincendie qui couve dans ces zones déshéritées.
Nous ne pourrons rester longtemps indifférents :
pour ne pas être nous aussi victimes de ces métastases,
tentons de comprendre la réalité, et réfléchissons
à ce qui peut encore être envisagé pour
endiguer le feu et éviter que lAfrique en crise
narrive dans nos banlieues.
Sur
l'auteur
Chercheur
à lIRIS, enseignant à Sciences Po et
conseiller de plusieurs gouvernements, Serge Michaïlof
a été lun des directeurs de la Banque
mondiale et le directeur des opérations de lAgence
française de développement (AFD). Son dernier
ouvrage, Notre maison brûle au Sud (Fayard,
2010), a reçu le prix Jean-Michel Gaillard.
Site personnel http://www.sergemichailof.fr/?page_id=70
Autres
références
* Nouvel
Obs
Ce livre est un cri d'alarme", écrit Serge Michailof,
chercheur à l'Iris dans son ouvrage "Africanistan,
l'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues
?" (Ed. Fayard, octobre 2015). Le titre est provocateur
à dessein. Le contenu est inquiétant.
Bien documenté, chiffres à l'appui, le
spécialiste s'inscrit en faux sur l'idée,
largement répandue, selon laquelle l'Afrique est
un nouvel eldorado économique. Certes, admet-il,
le continent a connu un essor considérable en matière
d'infrastructures, de développement des nouvelles
technologies et des secteurs financiers. Des classes moyennes
ont émergé, le niveau de vie s'est amélioré...
Mais pas partout. Des régions ont été
exclues et sont touchées par des cycles de violences
extrêmes qui déstabiliseront les zones les
plus prospères. Par ricochet, l'Europe pourrait être
confrontée à des vagues de réfugiés
encore plus importantes que celles issues des guerres en
Syrie et en Irak.
* Interview
par Pascal Boniface. A lire attentivement
*David
Thomson Tuer pour exister...et mourir
Notre
commentaire
Pour
celui qui se préoccupe de l'avenir, non seulement
de l'Afrique mais de l'Europe qui en est presque un prolongement
naturel, ce livre devrait être essentiel. En France
notamment il devrait être lu et compris par tous les
responsables politiques et administratifs, qui ont ou auront
une responsabilité en ce domaine: parlementaires,
membres du gouvernement, diplomates, enseignants, élus
locaux, représentants d'association et bien évidemment
électeurs et citoyens dont les choix en démocratie,
on peut l'espérer, peuvent éventuellement
orienter les grandes décisions.
L'auteur
a une expérience sans égale du terrain où
il a accompli de nombreuses missions. Expérience
non seulement de l'Afrique francophone et plus particulièrement
du Sahel, mais de l'Afghanistan et des institutions internationales
intervenant dans ce domaine: ONU et ses divers démembrements,
Banque mondiale, FMI. A ces postes, il a pu mesurer l'influence
souvent désastreuse des grandes puissances utilisant
l'Afrique comme instrument de leurs ambitions géopolitiques,
les Etats-(Unis tenant la tête en ce domaine, non
seulement en Afghanistan, mais en Afrique et bien évidemment
aujourd'hui au Moyen-Orient.
Or il
se trouve que le livre, même s'il a été
mentionné épisodiquement par certains médias,
s'est heurté en France, depuis sa parution en 2015,
à un épais silence. Sans doute était-il
profondément dérangeant pour certains acteurs
de terrain. Mais plus en profondeur il soulève des
questions si importantes pour notre futur à tous,
il remet en cause tant de préjugés optimistes
derrière lesquels s'abritent et vivent d'innombrables
idéologues, notamment droits-de-lhommistes, qu'il
ne pouvait qu'être rejeté. Il est typique qu'ici
même, notre comité rédactionnel qui
aborde souvent ces questions, n'avait pas entendu parler
de l'ouvrage, pourtant paru depuis plus de 6 mois. Honte
à nous dira-t-on, mais cette réaction n'est
pas suffisante pour expliquer l'ignorance que nous avions
jusqu'ici d'un livre pourtant essentiel.
En fait,
malheureusement, le livre est occulté parce qu'il
heurte trop d'idées reçues, menace trop d'intérêts,
pour recevoir l'écho qu'il mériterait.
Il n'est
pas trop tard cependant pour réagir à notre
niveau, en appelant tous nos lecteurs, réguliers
ou occasionnels, a se procurer le livre et bien entendu
à le méditer et en discuter. Le coût
de l'ouvrage, élément souvent évoqué
par les ignorants volontaires, est infime. De plus il peut
être acquis par internet, non seulement auprès
de l'éditeur mais auprès de divers distributeur
en ligne. Pour le moment encore, il ne s'agit pas d'un ouvrage
totalement interactif. Les très nombreuses sources
citées par l'auteur, qui enrichissent considérablement
le livre, ne sont pas assorties de liens permettant de les
consulter dans le cours de la lecture. Mais en ce cas, dira-on,
le lecteur attentif n'arriverait jamais, faute de temps,
à tout consulter et comprendre. Si dans un premier
temps il pouvait s'imprégner des enseignement du
livre proprement dit, il n'aura pas perdu son temps.
Nous
n'entreprendrons pas ici de résumer et moins encore
commenter les nombreux chapitres du livre. La tâche
serait impossible vue la multiplicité des informations
et des réflexions qu'il propose. De plus il ne faudrait
pas décourager d'éventuels futurs lecteurs
de lire vraiment l'ouvrage en leur donnant par un résumé
nécessairement sommaire l'impression qu'ils en connaissent
les thèmes et les idées.
Quelques
problèmes majeurs
Evoquons
seulement ici quelques problèmes, largement exposés
dans le livre, qui justifient le pessimisme de l'auteur.
Face à ces problèmes, les quelques remèdes
qu'il propose en fin d'ouvrage paraissent impuissants.
Une
natalité incontrôlable
Ce sujet
est bien connu. Néanmoins beaucoup d'experts, pour
des raisons étranges, peut-être religieuses,
refusent d'en tenir compte. Dans les prochaines décennies,
et dans tous les pays où l'auteur à travaillé,
les naissances continueront à atteindre ou dépasser
les 6 enfants par femme. La « transition démographique »
désormais établie dans toutes les autres parties
du monde, n'y surviendra pas, car aucun des facteurs qui
la permettent ne seront accessibles. L'Afrique à
elle seule comptera selon l'Unicef en 2100 environ 4,2 milliards
d'habitants, sa population actuelle étant de 1,2
milliard.
Le
changement climatique
Les
ressources naturelles, déjà très largement
surexploitées, subiront directement l'impact du changement
climatique, dont nul climatologue sérieux ne se hasarde
aujourd'hui à contester les manifestations : désertification,
cyclones, disparition de la biodiversité, multiplication
des épidémies.
Le Sahel est déjà victime de ces phénomènes.
Il le sera de plus en plus, y compris sur ses franges côtières.
L'impossibilité
de mettre en place des Etats modernes
Malgré
leurs défauts, les Etats, grands et petits, présents
dans d'autres parties du monde, ne verront pas le jour en
Afrique avant des décennies, à supposer que
leurs rudiments actuels ne soient pas balayés d'ici
là. On peut parler, à part quelques exception,
dont la Côte d'Ivoire avait été jusqu'aux
dernières années, un exemple, d'Etats faillis
ou incapables de se relever.
Ceci
tient notamment au fait qu'ils se heurtent aux innombrables
hétérogénéités politiques,
culturelles, religieuses et souvent tribales que l'Afrique,
contrairement à ce qu'a fait l'Europe, n'a pas pu
transcender. S'y ajoute un grand vide administratif, aggravé
par une corruption généralisée, l'insuffisance
de cadres convenablement formés et souvent des antagonismes
inter-religieux incontrôlables. La colonisation en
a longtemps été la cause. Sous des formes
plus moderne, elle existe encore. Elle est suivie aujourd'hui
d'une néocolonisation économique (à
laquelle il faut désormais ajouter celle de la Chine)
qui profite du désordre pour exploiter les ressources
disponibles au détriment des populations. Mais accuser
la colonisation de tous les maux n'est qu'un artifice de
discours.
L'inadéquation
des aides extérieures
Celles-ci,
qu'elles prennent la forme d'interventions militaires comme
celles auxquelles la France procède actuellement
dans une partie du Sahel, ou les aides économiques
bilatérales (provenant de certains Etats non africains)
ou multilatérales, provenant des institutions internationales
ou d'Organisation non Gouvernementales, seront de plus en
plus impuissantes à endiguer les difficultés,
et moins encore à initier un développement
quelconque.
De toutes
façons, les donateurs seront de plus en plus pauvres
et préoccupés par leurs propres problèmes.
L'expérience montre par ailleurs que ces aides ignorent
très largement les vrais problèmes, ceux auxquels
l'auteur a été confronté. Etant mal
adaptées, elles aggravent les difficultés.
Des
objectifs de développement devenus irréalisables
Le
document proposé par l'ONU sous le titre
« Programme de développement durable à
l'horizon 2030 » entraineront peut-être
des résultats pour d'autres parties du monde. Mais
l'Afrique y échappera, pour les raisons présentées
ci-dessus.
La
prolifération des djihadismes islamiques
Même
si ceux-ci commencent à se répandre en Europe
(voir David Thomson cité ci-dessus)) ils sont déjà
établis dans la plupart des pays où l'Islam
occupe des positions traditionnelles, comme le Nigéria.
Partout, à l'exemple de ce que fait Boko Aram, des
projets de califats terroristes verront le jour. Ils s'appuieront
sur les innombrables ramification de par le monde, y compris
en Europe, de Al Qaida surtout de l'Emirat islamique (EI)
Les
banlieues des villes européennes, comme l'évoque
le titre du livre, en seront des réceptacles de plus
en plus impossibles à maîtriser
L'explosion
des migrations
Déjà très sensibles au niveau régional
dans de nombreux pays africains, elles prennent actuellement
et prendront de plus en plus des dimensions jamais vues
sur Terre jusqu'ici. On peut prévoir que, du fait
de la conjonction des différents facteurs résumés
ici, elles représenteront cumulées d'ici la
fin du siècle des effectifs de centaines de millions
d'Africains.
L'Europe
en sera la première victime. Comparativement très
riche, incapable de se défendre, elle verra sans
doute disparaitre ce que l'on peut encore appeler la civilisation
européenne. Déjà envahie au niveau
des villes, elle sera de plus en plus combattue de l'intérieur
par des djihadistes devenus incontrôlables, que ce
soit par la police ou l'armée.
Que
faire?
L'auteur,
nous l'avons dit, se pose comme il se devait la question,
mais ses propositions restent très inadéquates.
Ceci d'ailleurs simplement parce que devant l'ampleur des
problèmes évoqués, nul esprit, fut-il
doté de la plus grande intelligence de la question,
ne peut présenter de solutions.
Est-à-dire
que, tant en Europe qu'en Afrique, les responsables et les
populations devraient admettre que les problèmes
qui entraineront à terme la destruction de l'Europe
et des parties européanisées de l'Afrique,
devraient être considérés comme des
phénomènes évolutifs incontrôlables
parce que d'ampleur trop vaste, face auxquels il faudra
se résigner, analogues à ce qu'est en géologie
le glissement des plaques continentales?
Nous
le pensons volontiers pour notre part, même si l'auteur
se refusera à partager cette conclusion, Pourtant
tout dans son livre, basé nous l'avons dit sur une
expérience personnelle hors pair, ne peut permettre
d'y échapper.
Mais
que les autres parties du monde ne se réjouissent
pas trop, notamment en Chine, en Inde et en Russie, sans
mentionner le continent américain. Les mêmes
maux, moins évidents mais sous-jacents, y produiront
sans aucun doute les mêmes effets. Les sciences et
technologies n'y pourront rien. Ce serait en fait un effondrement
de l'humanité, telle envisagée aujourd'hui,
qui en résultera.
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