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Biblionet
The
Evolution of Everything: How New Ideas Emerge
Matt Ridley
Harper Collins
15 Février 2016
Commentaire par Jean-Paul Baquiast
22/02/2016
Matt
Ridley est aussi l'auteur, entre autres ouvrages, de The
Rational Optimist et de Genome
Sur l'auteur, voir son blog
http://www.mattridley.co.uk/
Dans son
dernier livre Matt Ridley explique que l'étude de l'histoire
récente, telle que nous croyons pouvoir l'observer,
contredit l'argument selon lequel les sociétés
dites avancées peuvent contrôler et orienter
l'évolution du monde. Il montre que l'évolution,
y compris en politique, ne découle pas de décisions
prises au sommet (top down) mais de phénomène
émergents (selon le terme désormais bien connu).
Ce terme, souvent utilisé , signifie que ces phénomènes
apparaissent à tous moments sans avoir été
prévus par personne, et surprennent de ce fait tout
le monde.
Nul ne discute ce postulat en ce qui concerne l'évolution
du monde, et du monde vivant en particulier. Mais il n'est
pas accepté, selon l'auteur, dans tous les autres domaines
de la vie des sociétés humaines contemporaines,
science, économie, politique, philosophie. L'opinion
considère généralement que leur évolution
découlent de décisions prises explicitement,
non pas évidemment par le « peuple »
proprement dit, mais par des « décideurs »
bien placés.
On les retrouverait partout, dans le gouvernement, dans les
affaires, dans les universités, dans les médias.
Ce sont ces décideurs également qui formulent
les grands objectifs structurant les sociétés,
notamment dans le domaine des croyances, de la morale et des
finalités à donner au « progrès ».
Emergence
Pour Ridley au contraire, ces choix découlent d'évolutions
en profondeurs, inobservées ou incomprises à
leur origine, dont les causes restent longtemps ignorées.
Elles se structurent d'elles mêmes de façon organisée
(pattern). Ces structures orientent ensuite l'évolution
des sociétés, sans qu'elles soient détectées
initialement et moins encore prévues de même
que des termites édifient des termitière par
le simple jeu de structures biologiques ou génomiques
élémentaires.
Depuis quelques décennies, il en fut ainsi des évolutions
technologiques (internet, le téléphone mobile)
ou géopolitiques, le recul de l'Amérique et
la montée en puissance de l'Asie. Pour éviter
de découvrir trop tard des bouleversements se déroulant
en profondeur, il n'y a pas par définition de remèdes,
puisqu'une veille même attentive n'a pas de chance de
percevoir ce dont elle n'a pas encore pris conscience. Il
faudrait, pour bien faire, multiplier les hypothèses
sur l'avenir, autrement dit les « idées
nouvelles », avant d'essayer de vérifier
leur pertinence. Mais vu l'étendue des occurrences
possibles, il s'agirait d'une tâche hors de portée.
Le livre est bien intentionné, et procède à
des critiques et suggestions fort utiles, notamment concernant
le rôle des décideurs et la pertinence de leurs
suggestions. Il est certain qu'il oblige à remettre
en question beaucoup de croyances naïves, notamment celles
relatives aux choix politiques et au rôle du volontarisme
en ces domaines. Sa lecture sera donc utile, car ces croyances
sont universellement répandues, à tous les niveaux
des sociétés, y compris des médias, et
parmi les décideurs eux-mêmes. Concernant ces
derniers, on objectera non sans raison qu'ils ne s'illusionnent
généralement pas sur la portée ou l'efficacité
des choix qu'ils proposent. Beaucoup cependant se prennent
à leur propre jeu. Un rappel au réalisme est
alors utile.
Mais, concernant une approche quelque peu scientifique de
la façon dont apparaissent émergent -
de nouvelles idées sociales, et de nouvelles structures,
on peut penser que Matt Ridley enfonce, selon l'expression,
des portes ouvertes. Quel sociologue ou politologue ne reconnaitrait
pas que la règle de l'émergence s'applique à
l'apparition des nouvelles organisations et opinions...de
même qu'elle s'est toujours appliqué à
toutes les évolutions intéressant le monde naturel
et biologique, c'est-à-dire sans l'intervention de
volontés externes ou grands ordonateurs, fussent-ils
de nature divine? Il existe dorénavant suffisamment
d'études et d'expériences essayant de déchiffrer
les mécanismes de l'émergence et de la complexification
pour s'en convaincre.
Il serait peut-être par contre utile d'approfondir les
mécanismes par lesquels de telles émergences
se sont produites, travail auquel Matt Ridley ne se livre
que superficiellement. Ainsi étudiera-t-on, aussi en
profondeur que possible, le monde des termites pour comprendre
comment à partir d'individus apparemment tous identiques,
et sans grand cerveau capable de décision, peuvent
se construire des termitières dépassant en complexité
les cathédrales humaines.
Il faudra aussi se poser la question de la façon dont
fonctionnent les cerveaux humains en société.
Ce que l'on nomme des décisions conscientes et volontaires
provenant en principe du cerveau associatif et des centres
sensori-moteurs qui l'informent en permanence, proviennent
nécessairement de mécanismes beaucoup plus profonds
et systémiques.
Rappelons que nous avons pour notre part formulé l'hypothèse
que les choix humains, même se disant volontaires, émergent
au sein de structures bien plus complexes, que nous avons
nommé anthropotechnique 1). Ces structures, qu'elles
s'organisent en grands groupes ou à de bien plus petites
échelles, résultent du fonctionnement en symbiose
des contraintes biologiques, anthropologiques et technologiques
aux évolutions desquelles les décideurs conscients
eux-mêmes ne peuvent échapper.
1) Jean-Paul Baquiast. Le paradoxe du sapiens 2010