Bibionet.
Questions de défense

La dernière bataille de France
Général
Vincent Desportes
Le Débat Gallimard 2015
Discussion par Jean-Paul Baquiast 03/11/2015
Version mise à jour au 09/11/2015
Le général
Desportes publie ici un nouveau livre consacré à
un thème qu'il a toujours jugé essentiel:
le désintérêt de la nation pour son
armée, et en conséquence, les manques de moyens
budgétaires, humains et matériels dont elle
souffre de plus en plus. Ceci en face de menaces qui ne
font que grandir, et qu'elle sera de moins en moins apte
à affronter.
Dans
un format inhabituel à notre rubrique Biblionet,
nous ne présenterons pas nous-même ici ce livre.
Nous citerons en fin d'article un entretien avec son auteur
publié par Les Echos qui le fait selon nous très
complètement 1)
Il nous
paraît plus important d'ouvrir un débat sur
la question de la Défense, tant de la France que
de l'Europe. Ce sujet est considérable, et ne saurait
être épuisé en quelques pages. Par ailleurs,
nous ne pouvons pas prétendre seuls l'aborder ici
convenablement, et moins encore proposer des réponses
convenables. Nous nous bornerons à proposer un cadre
de questions-réponses qui sera complété
progressivement en fonction des contributions que nous recevrons.
Ce cadre
déborde quelque peu celui adopté par le général
Desportes dans son livre. Les réponses pourront marquer
quelques différences avec celles qu'il offre ou offrirait.
Néanmoins nous pensons que dans l'ensemble la démarche
retenue ici devrait servir non seulement à encourager
la lecture du livre, mais encourager aussi la prise de conscience
des questions de défense.
Vincent Desportes. Présentation
par Wikipedia
Saint-cyrien
de la promotion De Linarès (1972-1974), issu
de l'arme blindée et cavalerie, sa carrière
a alterné affectations en unités de
combat, en états-majors et diverses activités
opérationnelles.
Ingénieur, titulaire d'un DEA de sociologie,
d'un DESS d'administration des entreprises (CAAE),
docteur en histoire, le général de division
Desportes est aussi breveté de l'École
supérieure de guerre et diplômé
de l'United States Army War College, équivalent
du Centre des hautes études militaires pour
l'armée de terre des États-Unis.
Attaché militaire près de l'Ambassade
de France aux États-Unis d'Amérique,
puis conseiller défense du Secrétaire
général de la défense nationale
(SGDN), il fut ensuite directeur du Centre de doctrine
et d'emploi des forces (CDEF) jusqu'en juillet 2008.
Vincent Desportes est aussi codirecteur avec Jean-Francois
Phelizon de la collection « Stratégies
& doctrines » aux éditions Economica1.
Le général Vincent Desportes prend la
tête du Collège interarmées de
défense (CID), de 2008 jusqu'à l'été
20102.
Conférencier, enseignant la stratégie
à HEC, il est aujourd'hui professeur associé
à Sciences Po Paris.
|
La
dernière bataille de France. Questions-Réponses
NB.
Ce texte a été modifié et complété
dans un dossier intitulé
Objectifs et moyens de la politique de défense de
la France, auquel il est conseillé de se reporter
11/11/2015
Le général Desportes publie ici un nouveau
livre consacré à un thème qu'il a toujours
jugé essentiel: le désintérêt
de la nation pour son armée, et en conséquence,
les manques de moyens budgétaires, humains et matériels
dont elle souffre de plus en plus. Ceci en face de menaces
qui ne font que grandir, et qu'elle sera de moins en moins
apte à affronter.
Dans un format inhabituel à notre rubrique Biblionet,
nous ne présenterons pas nous-même ici ce livre.
Nous citerons en fin d'article un entretien avec son auteur
publié par Les Echos qui le fait selon nous très
complètement 1)
Il nous paraît plus important d'ouvrir un débat
sur la question de la Défense, tant de la France
que de l'Europe. Ce sujet est considérable, et ne
saurait être épuisé en quelques pages.
De plus, il a fait l'objet en France de nombreux livres,
articles et discours que nous pouvons pas lire et moins
encore résumer ici. Pourquoi alors ce texte? Parce
que nous souhaitons donner ici un point de vue quelque peu
différent de celui des auteurs les plus connus.
Ces différences portent sur 4 points:
- l'identification de la menace principale. Pour nous, il
s'agit de l'hyper-terrorisme, pour reprendre le terme de
François Heisbourg ayant donné son titre à
un livre du même nom. Nous évidemment adapté
ce concept aux circonstances actuelles et prévisibles.
- l'identification de l'allié principal dans la lutte
contre cette menance. Pour nous, il s'agit principalement
de la Russie de Vladimir Poutine, éventuellement
alliée à la Chine.
- une prise de distance avec les Etats-Unis, dont il est
apparu qu'ils soutenaient le terrorisme, dans la mesure
où celui-ci pouvait mettre en danger la Russie. Les
Américains ne font par ailleurs aucun effort pour
combattre le terrorisme dans la mesure où celui-ci
contribue à déconstruire l'Union européenne,
considérée comme une rivale éventuelle
des Etats-Unis.
- la volonté de sortir de l'Otan, dont il est apparu
que celle-ci visait finalement à priver l'Union européenne
d'une défense qui ne soit pas directement au service
des intérêts géostratégiques
américains.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas prétendre aborder
seuls ici convenablement ces sujets, et moins encore préciser
des réponses convenablement argumentées. Nous
nous bornerons à proposer un cadre de questions-réponses
qui sera complété progressivement en fonction
des contributions que nous recevrons.
Ce cadre déborde quelque peu celui adopté
par le général Desportes dans son livre. Les
réponses pourront marquer quelques différences
avec celles qu'il offre ou offrirait. Néanmoins nous
pensons que dans l'ensemble la démarche retenue ici
devrait servir non seulement à encourager la lecture
du livre, mais encourager aussi la prise de conscience des
questions de défense à laquelle il s'est consacré
depuis quelques années.
Référence.
* Loi de programmation militaire 2014- 2019 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?
cidTexte=JORFTEXT000028338825&categorieLien=id
* Discussion au Sénat sur la LPM http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl12-822.html
et
La dernière bataille de
France. Questions-Réponses
Ce texte présente, comme indiqué en introduction,
des suggestions qui seront précisées ici dans
les prochaines semaines. Elles tiendront compte notamment
des critiques et contributions que nous pourrons recevoir.
A la suite de ce travail, une première note de synthèse
sera rédigée par Jean-Paul Baquiast et Jean-Claude
Empereur
Première partie. Menaces
dans une perspective géostratégique
1. Quelles sont les menaces actuelles ou prévisibles?
Domaine. Ordre d'urgence.
- La première menace, à
la fois prévisible et imprévisible, est l'hyper-terrorisme.
Terrorisme visant les sites stratégiques et plus
généralement le terrain. Armes de plus en
plus sophistiquées. Ce terrorisme émane essentiellement
pour le moment de la nébuleuse des mouvements djihadistes
identifiés sous le terme d'Emirat islamique. Il est
principalement soutenu par l'Arabie saoudite et par différents
Etats musulmans sunnites.
Des sources fiables ont identifié les USA comme ayant
financé Daesh et continuant à l'armer. L'objectif
est de contribuer à la chute de Bashar al Assad,
considéré comme un partenaire fidèle
de la Russie. Au delà, le terrorisme islamiste représentera
une menace dangereuse pour la Russie elle-même et
ses alliés du caucase. D'où l'intérêt
qu'y attache Washington.
2. Ordre d'importance en termes de pertes prévisibles.
Moyens de défense à déployer pour y
faire face . Relations armée-police. La question
de la cyber-guerre. Menaces concernant l'outre-mer.
- Des pertes à court terme
pouvant se chiffrer en France par milliers ou plus. L'armée
de terre, équipée de moyens modernes de détection,
prévention, répression et secours, est la
mieux à même d'y faire face. Mais la coopération
étroite avec la gendarmerie (arme à rétablir)
et la police est indispensable. Ces trois corps devraient
sur 5 ans (?) voir leurs effectifs être multipliés
par 2 ou 3. Il en sera de même des moyens matériels
dont ils disposent, aujourd'hui vieillis et techniquement
obsolètes.
- On associera à l'hyper-terrorisme
des opérations délibérées d'immigration
massive, comportant des éléments terroristes.
Cette immigration, à elle seule, et abstraction faite
du terrorisme, entrainerait une destruction de la nation
si elle dépassait un seuil approximatif de (non chiffré
ici). D'ores et déjà, elle est en grande partie
provoquée par des intérêts visant à
détruire l'ordre européen. Pour la prévenir,
une dissuasion armée active aux frontières
ou aux sources s'imposera. Là encore l'armée
sera la seule capable de mener cette tâche.
- On cessera de considérer la Russie comme ne menace,
non plus que la Chine. Dans le pire des cas, la dissuasion
nucléaire devrait suffire à modérer
le risque, comme ce fut le cas depuis 50 ans. Au contraire,
dans la lutte contre l'hyper-terrorisme, la coopération
avec la Russie, et de plus en plus la Chine, deviendra essentielle.
- On cessera par contre de considérer les Etats-Unis
comme un allié indiscutable. Des milieux très
actifs aux USA (néocons...) considèrent au
contraire la France comme une rivale à abattre. La
première chose à faire sera de reprendre une
autonomie militaire complète vis-à-vis des
USA, y compris et surtout dans le domaine des matériels
militaires.
La tâche sera très difficile Elle supposera
des investissements autonomes massifs bénéficiant
aux industries d'armement.
- Concernant la cyber-guerre, il faudra développer
une défense tous azimuts, supposant là encore
des investissements massifs dans le domaine des technologies
concernées. Là encore, il sera très
difficile de se libérer de l'emprise américaine.
- La défense de l'outre-mer français sera
également indispensable, pour que la France conserve
son rang géostratégique global. Elle supposera
de renforcer considérablement les moyens maritimes
et aériens.
Référence
- Sur le concept d'hyper-terrorisme musulman, on lira avec
profit un article de Pepe Escobar
Le caliphe aux portes de Vienne (autrement dit de Europe)
http://atimes.com/2015/10/the-caliph-at-the-gates-of-vienna/
Version française http://lesakerfrancophone.net/le-calife-de-bagdad/
L'auteur, excellent connaisseur, fournit des éléments
qu'il conviendra de reprendre dans la note de synthèse.
2. Quelles sont les menaces actuellement non prévues
mais auxquelles il faudrait se préparer. Domaines.
Moyens de défense à déployer pour y
faire face. La question de la cyber-guerre.
Quels sont les théâtres métropolitains
où il faudrait déployer des forces? Les territoires?
Les objectifs. Les moyens.
- Cf le 1. ci-dessus. Il s'agira de
l'hyper-terrorisme, imprévisible par définition.
Il affectera en priorité, outre les intérêts
français à l'étranger, le territoire,
les activités nationales et les populations. Le combattre
supposera une large gamme de moyens de défense et
d'intervention dont certains ne seront pas affectés
a priori, c'est-à-dire pouvant être mobilisés
rapidement et portés sur des théâtres
inattendus. Des projections à l'étranger (Europe,
Afrique) seront nécessaires si les Etats concernés
le demandent, en appui de leurs propres forces.
3. Quels sont les théâtres non métropolitains
où il faudrait déployer des forces? Les territoires.
Les objectifs. Les moyens.
- Cf. le 2 ci-dessus: Europe. Afrique.
A développer.
4. Sur ces différents points, la France pourrait-elle
s'appuyer sur une défense européenne? En Europe.
Hors Europe.
- Aujourd'hui il n'existe pratiquement
pas de défense européenne commune. Les Etats
européens disposant de moyens sont rares et pas nécessairement
disposés à coopérer avec la France.
Celle-ci devra donc compter sur ses propres moyens, et engager
seule, au moins au début, les dépenses de
mise à niveau correspondantes.
Sur la défense européenne, reprenons ici les
suggestions intéressantes, bien qu'un peu optimistes
pensons nous, du général Favin Lévèque:
Quoiqu'il en soit, , il me semble
nécessaire en dépit du peu de motivation
de nos partenaires européens de raisonner non pas
en défense nationale, mais en défense européenne.
Certes les pays de l'Union Européenne vivent
depuis plus de 60 ans sur l'idée que la paix
leur est acquise une fois pour toutes et que si , par
un concours de circonstances totalement improbable, des
menaces d'ordre militaire devenaient séreuses,
les USA , pilier de l'Otan et partenaire omnipuissant, résoudraient
rapidement la question à leur profit...
Le réveil de cette Europe assoupie dans sa torpeur
et son irresponsabilité interviendra tôt
ou tard et d'ores et déjà, on commence à
sentir un frémissement , car nos amis découvrent
avec stupeur la dangerosité du monde . Ils avaient
éliminé le concept de guerre de leurs pensées
et découvrent tétanisés et incrédules
la réalité des conflits et leurs conséquences
sur leur havre de paix. Ils découvrent notamment
que la guerre peut avoir des causes démographiques,
économiques , idéologiques , ethniques , religieuses
Cela ne les a pas encore amenés à sauter le
pas d'un changement de paradigme et nous sommes encore
loin des mesures drastiques à prendre pour faire
face à l'évolution de la situation internationale.
Toutefois il n'est plus exclus qu'à terme pas si
lointain, les possibilités offertes par le traité
de Lisbonne voient le jour, notamment celle que constitue
la Coopération Structurée Permanente,, terme
dramatiquement abscon et technocratique qui désigne
simplement celui de noyau dur en matière de défense.
Michel Barnier, actuellement conseiller défense du
Président Juncker, est un ardent promoteur de ce
noyau dur qui pourrait comporter outre la France, l'Allemagne
dont Barnier pense qu'elle y est prète, l'Espagne,
l'Italie, la Pologne, la Belgique et le Luxembourg. Pas
la Grande-Bretagne, avec laquelle cependant un accord de
défense pourrait être passé par ce noyau
dur.
5. Des pays européens, à l'inverse, pourraient
ils espérer un soutien de la France? Les domaines.
Les moyens. Les financements ou contre partie de leur part?
- Oui, s'ils demandent, et en fonction
des moyens français disponibles. Une armée
française forte pourrait accepter de jouer en partie
le rôle de gendarme de l'Europe, mais en restant sous
son propre commandement. Par ailleurs, des contributions
correspondant aux dépenses devront être obtenues
des pays européens demandeurs.
6. Comment se situer par rapport aux Etats-Unis ? Dans l'Otan
. Hors Otan
Le général Favin-Lévèque nous
écrit (comme indiqué ci-dessus nous ne partageons
pas nécessairement ce pont de vue) :
Cette Europe de la défense, restreinte mais volontariste,
pourrait parfaitement coexister avec l'Otan dont elle
constituerait le pilier européen. Les USA se sont
toujours opposés à une telle structure au
sein de l'Otan, préférant jouer sur chacun
des membres plutot que sur un bloc européen au sein
de la structure, mais il n'est pas exclus, compte tenu de
leur volonté bien réelle de voir les Européens
prendre leur destinée en mains, de faire aboutir
ce concept de pilier européen, notamment si la Grande-Bretagne
en est écartée et reste un partenaire individuel
des USA dans l'Alliance.
7. Comment se situer dans la perspective d'une convergence
stratégique avec l'Eurasie ? Russie . Autres Brics.
- Cf le 1. ci-dessus. Une coopération stratégique
s'imposera dans certains domaines, notamment la lutte anti-terrorisme
et la lutte contre les dégâts du réchauffement
climatique. De même que des mises en commun de recherches
industrielles innovantes. Ceci y compris dans le domaine
des technologies de défense nouvelles, techniques
dites de Déni d'accès et missiles (voir ci-dessous).
8. Comment se situer par rapport à l'Afrique? Pays.
Moyens.
- Cf le 2. ci-dessus. Plus généralement,
on ne pourra pas envisager que la France devienne un gendarme
de l'Afrique, même à la demande de certains
pays. Par contre des coopérations techniques et des
interventions ponctuelles seront nécessaires, si
le relais en est pris par les pays.
Deuxième partie. Capacités
de défense et moyens
9.
Capacités à privilégier ? Armée
de terre, effectifs, équipement. Armée de
l'Air, effectifs, équipement. Marine, effectifs,
équipement . Spatial, effectifs, équipements.
Cyber guerre, effectifs, équipement.
- Les réponses proposées
ici devraient viser à satisfaire les besoins des
5 à 10 prochaines années. Au delà,
des adaptations seront nécessaires. L'ensemble des
armes devra recevoir des batteries de missiles modernes
et de matériels électroniques du type « Déni
d'accès » adaptés aux types d'engagement
qu'elles assumeront. Il en sera de même des technologies
de communication, observation et transmission par satellites,
drones et matériels terrestres robotisés.
- C'est l'armée de terre qui devra bénéficier
des principaux renforcements. Ses effectifs devraient sur
5 ans être multipliés par 3 environ. Dans le
même temps les matériels divers nécessaires
à son engagement sur le terrain et à son déploiement,
actuellement hors d'âge, devront être entièrement
renouvelés et augmentés en proportion des
effectifs. Il en sera de même des moyens de transport
aérien nécessaires à la projection
des forces.
- Concernant l'armée de l'air, des renforcements
de moindre ampleur pourront être acceptés.
A côté des avions et hélicoptères
de combat, à renforcer en nombre, des lacunes graves
devront être comblées, par exemple dans le
domaine des avions ravitailleurs et des drones polyvalents
. ( A noter que les hélicoptères sont
pour la plupart disposés au sein de l'ALAT, aviation
légère de l'armée de terre, et non
pas au sein de l'armée de l'air, qui, comme la Marine
, possède relativement peu d'appareils)
- Concernant la marine, dans la perspectives de la protection
des côtes métropolitaines et surtout de l'outre-mer
lointain, il sera souhaitable de doubler le PA. Charles
de Gaulle et de mettre en place des groupes d'escorte et
de combats conséquents. Par ailleurs, la formule
des BPC porte-hélicoptères Mistral et de leurs
escortes devra être étendue, avec la construction
de 5 unités complémentaires sur 5 à
10 ans. Deux SMN d'attaque supplémentaires seront
sans doute nécessaires, complétés d'un
nombre difficile à évaluer aujourd'hui de
SM diesel sur le modèle du Kilo russe.
Mais pourquoi ces matériels destinés en principe
à conduire une guerre navale de grande ampleur? Parce
que, dans le cas de la protection du domaine maritime mondial
dont dispose la France, celle-ci pourra avoir à se
défendre contre des agressions provenant d'un grand
nombre de pays n'ayant pas la capacité de mener des
offensives importantes, mais pouvant désorganiser
localement les implantations et les voies maritimes nécessaires
à la France.
- La force de frappe nucléaire actuelle sera conservée
et modernisée, sans augmentation globale des capacités.
- En matière de spatial, en fonction d'une évolution
rapide des matériels, il est difficile de faire aujourd'hui
des propositions. Constatons seulement que les satellites
d'observation sont notoirement insuffisants et devront être
renforcés. Ils joueront un rôle important dans
la lutte contre l'hyper-terrorisme.
10. Moyens humains à mettre en place et effectifs?
Non-gradés. Sous-officiers. Officiers supérieurs;
Techniciens et ingénieurs militaires. Techniciens
et ingénieurs d'origine civile.
- Sans entrer dans le détail, on pourra considérer,
comme indiqué dans le 9. ci-dessus concernant l'armée
de terre, que les effectifs de ces diverses catégories
devront être multipliés par 3 dans les 5 ans.
La part des techniciens et ingénieurs militaires
devra s'accroitre relativement.plus rapidement Le recours
à des personnels civils contractuels ne sera envisagé
que par défaut. Il faudra par ailleurs décourager
sauf urgences le recours à des sociétés
privées
11. La question du statut. Engagés. Volontaires d'un
service civil. Volontaires d'un service militaire. Service
militaire obligatoire (SMO) . Contractuels civils .
- Les 3 premières formules ainsi que la dernière,
peuvent coexister. Le SMO pose problème. Il est certes
très intégrateur et donc souhaitable, mais
pour être efficace il doit durer au moins 18 mois.
Le coût paraitra excessif, compte tenu des autres
dépenses recommandées ici. On peut préférer,
comme indiqué ci-dessus, augmenter les effectifs
professionnels actuels.
12. Domaines d'armements ? Réservé aux forces
nationales. Exportables . Duals (civils et militaires)
- Il faut considérer que, pour
développer une industrie innovante au plan national,
seules les commandes militaires permettent de le faire sans
avoir à respecter l'ouverture des marchés
imposées pour les commandes civiles. Il s'agit d'un
avantage considérable, dont les retombées
bénéficient aux entreprises nationales, qu'elles
travaillent pour le secteur militaire ou civil, au plan
national ou à l'exportation.
Par ailleurs, la haute technicité imposée
sur le marché mondial des matériels militaires
permet aux entreprises nationales bénéficiant
de commandes importantes des armées d'acquérir
sans coûts excessifs les compétences avancées
nécessaires. Les matériels et les technologies
développés par eux, doivent viser aussi le
marché national civil, y compris à l'exportation.
- Une Agence de Défense pour les Recherches Avancées
ADRA sera créée pour encourager et coordonner
les recherches scientifiques et techniques intéressant
la défense. Elle opérera, sous réserve
de confidentiel-défense, tant au profit des laboratoires
et industriels de défense que pour les laboratoires
académiques et industriels civils.
- L'importante croissance des responsabilités des
armées recommandée dans ce document permettra
par ailleurs d'augmenter le nombre des utilisateurs de matériel
militaire au plan national et d'améliorer considérablement
la compétitivité de ceux-ci au plan international.
- Si rien de cela n'est fait, le poids
écrasant des matériels et technologies américaines,
militaires ou civiles, continuera à décourager
tout investissement important provenant des industries nationales
d'armement.
13. Budgets.
- L'augmentation considérable
des dépenses envisagées dans ce document augmentera
considérablement le volet Dépense des budgets
militaires et les pourcentage de PIB correspondants. Il
sera donc irréaliste d'espérer couvrir ces
dépenses par des recettes analogues à celles
utilisées dans les finances publiques actuelles:
impôts, emprunts, redevances affectées.
- Nous reviendrons ultérieurement sur ces points.
Disons seulement ici qu'il faudra considérer que
la France soumise notamment à l'hyper-terrorisme
et menaces associées, devra se considérer
comme en état de guerre. Elle devra donc recourir
à des méthodes proches, toutes choses égales
par ailleurs, de celles de l'économie de guerre s'étant
imposées à l'ensemble des belligérants
lors des deux dernières guerres mondiales.
L'exemple de l'économie américaine durant
ces guerres montre que, sous réserve de respecter
des conditions drastiques visant à empêcher
les gaspillages et les spéculations, une économie
de guerre peut très bien acquérir de nouvelles
capacités se traduisant par un enrichissement global.
Surtout si celles-ci permettent dans le même temps
d'adapter le pays aux crises de reconversion nées
du réchauffement climatique et de la destruction
des éco-systèmes (à développer).
14. Crédibilité des préconisations
qui précèdent
Il est évident que, dans un pays tel que la France
encore trop soumis aux pressions américaines et aux
lobbies transatlantiques, comme au sein d'une Union européenne
définitivement soumise à ces mêmes influences,
rien de ce que nous préconisons ici n'aura la moindre
chance d'être pris en considération, et à
plus forte raison d'être mis en oeuvre.
Une profonde révolution politique serait nécessaire,
accompagnée d'une sortie presque complète
de l'Union européenne. L'aggravation très
probable des agressions et risques divers qui frapperont
la France dans un proche avenir , rendra sans doute possible
des évolutions relevant aujourd'hui de l'inconcevable.
Le général Favin-Lévèque
ajoute ceci, conclusion que nous partageons :
En fait, en s'en tenant à nos seuls besoins
de défense territoriale contre la menace terroriste,
il faudrait reconstituer sous une forme adaptée un
dispositif s'inspirant de la DOT des années
70 dans lequel la gendarmerie constituerait le pilier,
les armées, et notamment l'armée de terre
et les forces spéciales , y apportant leur contribution
plus dans la détection des menaces et l'apport de
moyens techniques que dans une surveillance statique
des points sensibles sur le terrain. Mais pour tout cela,
il faut des crédits et accepter de redonner
à la défense la priorité qu'elle avait
, notamment sous la présidence du Gal de Gaulle.
Le redressement à opérer est considérable
en France, mais encore plus chez nos partenaires européens,
ce n'est pas lorsque la menace devient réalité
qu'il faut prendre des mesures, c'est bien en amont qu'il
faut les anticiper: Il faut une bonne décennie pour
construire un outil de défense crédible tant
au plan des hommes qu'à celui des moyens.
Note
1) Article de Les Echos
Entretien avec le Général Desportes
Propos
recueillis par Anne Bauer et Jacques Hubert-Rodier
Q.
Larmée française a-t-elle aujourdhui
les moyens de faire face aux menaces?
R. Nous sommes dans une situation extrêmement critique.
Dun côté, les menaces saccroissent,
le feu a pris tout autour de lEurope, de lUkraine
au Sahel en passant par le Moyen-Orient. De lautre,
les capacités de notre défense sont constamment
réduites?: moins 25?% sous Nicolas Sarkozy et à
peu près la même chose sous François
Hollande, selon lactuelle loi de programmation militaire,
même après la légère rectification
décidée par le Président. Vérifiez
vous-même. Si cette pente vertigineuse nest
pas sérieusement redressée, les armées
françaises vont tout simplement disparaître?:
le dernier soldat français défilera sur les
Champs-Elysées le 14 juillet 2040.
Ce qui est terrible, cest que linstitution militaire,
silencieuse par nature, est incapable de se défendre
elle-même, comme peuvent le faire dautres corps
sociaux, médecins, architectes, avocats disposant
«?dOrdres?» dont cest la mission.
Des voix citoyennes doivent sélever, au nom
de la Nation. Mon devoir était de pousser un cri
dalarme. Cest lobjet de cet ouvrage, hélas
plus réaliste que pessimiste.
Q. Pourquoi ce grand écart entre missions et moyens??
R. LEurope a tué lidée de guerre
dans lesprit des citoyens européens. Ils ont
cru que le «soft power» pourrait remplacer le
«hard power». Nous avons intellectuellement
«?quitté lhistoire?» en imaginant
être parvenus dans un monde post-moderne qui avait
définitivement éliminé la guerre et
la barbarie.
Si la guerre a disparu, pourquoi conserver des armées??
Les citoyens se sont désintéressés
de la défense dont les investissements sont devenus
peu à peu illégitimes. En aval, on a pu, sans
coût politique, rogner sur les budgets de défense
pour redistribuer aux corps sociaux qui, eux, descendent
dans la rue.
Q. Le 29 avril, le président Hollande a annoncé
une rallonge budgétaire de 3,8 milliards deuros
sur quatre ans pour la défense. Est-ce suffisant??
R. Cest un frémissement positif mais insuffisant.
Il sagit simplement dun ralentissement de la
diminution du budget des armées
et surtout
dune manuvre de communication. Mais ce geste
symbolique - qui doit être salué - ne rétablit
pas loutil militaire à la hauteur des menaces
et des ambitions de la France. Il est vrai quen 2016,
on va recruter, et que le budget a été renforcé
de 600 millions pour passer de 31,4 milliards
deuros dans la Loi de programmation initiale à
32 milliards. Mais la déflation des effectifs
reste programmée et va reprendre. Les hausses sérieuses
de budget ne sont prévues quaprès 2017?!
Autant dire que le gouvernement fait des promesses pour
un avenir que personne ne connaît.
Q. Quel serait le budget militaire idéal??
R. Il ny a évidemment pas de jauge absolue,
tout dépend des ambitions, des menaces et de la façon
dont on emploie le budget. Ce que lon sait aujourdhui,
cest que larmée française est
largement suremployée par rapport à ses capacités.
Elle suse. Elle ne peut plus se reconstituer (formation,
entraînement, remise en condition
) entre deux
engagements. Elle risque de se retrouver dans la même
situation que larmée britannique qui, malgré
un budget supérieur au nôtre (plus de 40 milliards
deuros), est aujourdhui incapable daller
opérer au sol sur les théâtres extérieurs.
Q. Pourquoi la Grande-Bretagne est-elle dans cette situation??
R. Son armée a été surengagée
par rapport à sa capacité. Presque simultanément,
elle a déployé jusquà 40.000
soldats à Bassora en Irak et jusquà
10.000 dans le Helmand en Afghanistan, un effort très
au-delà de ses possibilités et qui la
profondément usée. Résultat, si larmée
britannique bombarde encore ici et là, il ny
a plus désormais aucun contingent britannique significatif
engagé dans des opérations extérieures.
Larmée britannique sest détruite
par sur-emploi et mettra a minima quatre ou cinq ans à
se reconstruire. Pour tenir dans la durée, les armées
américaines considèrent quon ne peut
déployer au maximum quun soldat sur sept, sans
épuiser le capital.
Q. Et larmée française, est-elle
épuisée??
R. En France, on applique un ratio de un sur six, largement
dépassé aujourdhui. Au rythme actuel,
elle sera bientôt épuisée, particulièrement
dans les forces terrestres. Nous sommes toujours capables
de réussir des opérations coup de poing comme
lopération Serval, lancée en janvier 2013
au Mali pour arrêter la percée djihadiste.
Mais on ne sait plus sengager efficacement sur le
long terme alors que tous les conflits auxquels nous prenons
part sont des conflits longs.
Il y a des choix à faire?: de la présence
sous la Tour Eiffel, ou de lefficacité opérationnelle
en Syrie et au Sahel?? Les 7.000 soldats français
déployés dans le cadre de lopération
Sentinelle nont quune plus-value très
limitée au regard des inconvénients majeurs
de ce déploiement avant tout politique. Employer
un soldat, dont la formation est très onéreuse,
dans le rôle dun employé de société
de gardiennage est un véritable gâchis, au
plan opérationnel et au plan budgétaire. Impôts
dilapidés, dégradation continuelle des capacités
opérationnelles individuelles et collectives
Sentinelle casse un outil quon regrettera très
vite. Il est tout à fait légitime dutiliser
les soldats français pour la protection du territoire
national, mais à condition de tirer le meilleur parti
de leurs compétences spécifiques. Larmée
nest pas un stock de vigiles à déployer
devant les lieux de culte?!
La France a la chance davoir une belle armée,
capable du meilleur. Cest la seule qui puisse encore
défendre lEurope. Il faut précieusement
prendre soin de ce capital inestimable sans oublier que
reconstruire une armée est extrêmement long
et complexe. Larmée irakienne formée
à coup de milliards de dollars par les Américains
sest «?débandée?» face à
Daech. De même, larmée malienne formée
par la Mission européenne na guère résisté
aux premiers coups de feu des Touaregs. Idem pour larmée
afghane, on la encore vu récemment à
Kunduz devant les talibans
Q. Mais avec lEurope de la Défense, ne peut-on
pas mutualiser les moyens militaires??
R. Notre horizon doit être lEurope de la Défense.
Mais, à ce jour, nous ne sommes parvenus à
rien de sérieux. Le meilleur exemple de linanité
de lEurope de la défense, ce sont les Groupements
tactiques de 1.500 hommes, parfaitement équipés
et entraînés
mais qui nont jamais
été utilisés, ni au Mali, ni en République
centrafricaine alors que loccasion en était
clairement donnée.
A lheure de la montée des dangers, la France
ne doit surtout pas se départir des moyens de défense
quelle possède encore. Cest pourquoi
ces questions ne sont pas de nature budgétaire mais
dabord un problème de vision, de sens de lEtat
et de volonté politique.
Q.
Et lOtan??
R. Malheureusement, aujourdhui, il faut le dire, lOtan
est préjudiciable aux intérêts de la
défense européenne?: la survie de cette organisation
dun autre âge est la première cause de
leffondrement des budgets européens de défense.
Les Européens rêvent toujours du soldat Ryan
qui ne reviendra jamais plus les défendre. Le «?pivot?»
américain vers le Pacifique nest pas une vue
de lesprit?: il est une tendance lourde, irréversible.
Lintérêt bien compris des Américains
serait dimposer lautonomie aux Européens,
mais, par courte vue, ils craignent une Europe-puissance
quil faudrait admettre à part entière
dans la gestion des affaires du monde. LOtan?? Oui,
mais profondément transformée, sans «?primus
inter pares?» et dans laquelle les Européens
seraient au minimum «?lactionnaire majoritaire?».
Q. La France est-elle vraiment menacée??
R. Ce nest pas parce que la France, tout au bout de
sa péninsule européenne, se croit protégée,
quelle lest. Au contraire. Après les
Etats-Unis, elle est pour les djihadistes le deuxième
«?Grand Satan?». Les menaces sont concrètes.
Quand larmée française sengage
au Mali, elle va détruire des djihadistes qui ont
lintention de semer la terreur en France. Lintention
de Daech est de perpétrer des attentats de masse
sur le territoire national?: la destruction de lEtat
islamique est dans lintérêt immédiat
des Français. Cela rend bien secondaires beaucoup
dautres considérations.
Q. Mais ces menaces ne sont-elles pas avant tout du domaine
de la police??
R. Il y a un continuum entre sécurité et défense,
mais lune et lautre sont complémentaires
et nécessaires. Nos frontières sont poreuses,
et plus on traitera la menace «?à lavant?»,
moins on aura à le faire sur le territoire national.
Ne rêvons pas dune ligne Maginot antiterroriste?:
toutes les forteresses ont vocation à être
détruites ou contournées. Cette «?défense
de lavant?», il faut sans relâche en expliquer
la nécessité aux Français?: plus les
théâtres dopérations sont lointains,
moins le citoyen les relie à sa propre sécurité.
Pourtant, il ny a pas dautre solution que daller
là où se trouvent les sources de la violence,
et les tarir. Lerreur majeure serait de confondre
«?continuum?» et «?fusion?». Il
faut consolider la coopération entre défense
et sécurité, mais les missions et les moyens
doivent rester spécifiques.
Q. Vous êtes donc daccord avec les opérations
lancées de lautre côté de la Méditerranée??
R. Ce nest pas la multiplication des interventions
qui fait une stratégie. La France sengage partout,
mais on a du mal à identifier clairement une stratégie
dans toutes ses dimensions. Elle pare au plus pressé,
basculant ses efforts au gré des départs de
feu sans jamais parvenir à traiter les problèmes
«?au fond?». Faute de pouvoir envoyer sur les
théâtres des contingents adaptés aux
enjeux, on projette des forces, on sactive au mieux,
mais on ne travaille pas dans la durée?; souvent,
on perd la nuit ce quon avait gagné dans les
combats du jour.
Cest le Sisyphe interplanétaire, version casque
lourd. On le voit en République centre-africaine,
en Afghanistan et dans le désastre de Libye. Dans
mon livre, jaffirme quon a transformé
nos armées en «?kit expéditionnaire?»,
toujours à la peine pour transformer les gains tactiques
en succès stratégique. Faute de budget, de
moyens, larmée française est capable
de gagner des batailles, mais plus des guerres, car cela
supposerait dassurer la permanence des effets. Pensez
quau Sahel, 3.500 soldats sont mobilisés sur
un territoire plus vaste que lEurope?!
Q. Alors que cest un point fort de la France, vous
remettez aussi en cause linflation technologique militaire.
Pourquoi??
R. Parce que leffet délétère
des coupes budgétaires sur nos forces est dautant
plus violent quil se couple avec un armement toujours
plus sophistiqué et donc toujours plus coûteux.
Or, cette inflation technologique - par elle-même
réductrice des parcs et flottes - se traduit in fine
par la contraction des formats et déflation des effectifs,
une logique perverse
La technologie est utile. Cependant,
lhyper-sophistication produit des armées excellentes
dans la bataille, au niveau technique, mais médiocres
dans la guerre, au niveau stratégique. Quel triste
exemple que lAfghanistan, où la coalition internationale
mobilisait les deux-tiers des budgets militaires du monde,
où le différentiel technologique était
le plus élevé de toute lhistoire militaire,
sans quaient pu être vaincus quelque 30.000
talibans équipés de kalachnikovs?!
La technologie ne confère pas hélas le don
dubiquité qui serait fort utile vu la multiplicité
de nos théâtres dopération. Quand
la France acquiert une frégate de dernière
génération pour un milliard deuros,
elle se prive de quelque 10 navires plus modestes mais qui
seraient plus efficaces pour surveiller son espace maritime,
le deuxième du monde?!
Q. Faut-il alors remettre en question la dissuasion nucléaire??
R. Du moins faut-il veiller à ce quelle ne
devienne pas notre nouvelle ligne Maginot. Cette arme de
non-emploi nest utile que si on dispose dune
armée demploi, seule à même de
prévenir son contournement et de faire face aux multiples
enjeux sécuritaires infra-nucléaires. Or,
le nucléaire, qui mobilise environ 20?% du budget
dinvestissement des armées, est une des premières
victimes de linflation technologique?; il pourrait
rapidement atteindre 30?% des dépenses militaires
compte tenu des renouvellements de programmes prévus
dans les dix ans à venir.
Il est temps de maîtriser une dérive perverse
pour la défense française et denvisager
enfin la défense de manière globale. En ce
sens, la sacralisation actuelle du nucléaire est
une des plus graves menaces sur la sécurité
des Français.
Q. Pourra-t-on gagner la lutte contre Daech??
R. Seulement si on trouve la stratégie commune, donc
le but à atteindre. Pour lheure, faute de savoir
ce quon veut faire dans un Moyen-Orient qui a enterré
les accords Sykes-Picot [délimitant une frontière
entre lIrak et la Syrie, NDLR], on mène une
guerre de «?containment?» pour gagner du temps,
le temps nécessaire pour déterminer le compromis
possible entre les différentes parties prenantes,
Iran, Arabie Saoudite, Irak, Turquie, Israël, etc.
Mais sans accord entre Obama et Poutine, sans reconnaissance
des intérêts légitimes des uns et des
autres, on ne pourra pas définir un objectif commun
et donc nous continuerons à perdre du terrain comme
nous le faisons, malgré toute notre force militaire,
depuis lété 2014.
Q. La Russie nest donc pas notre adversaire?? Fallait-il
alors lui vendre les navires Mistral??
R. Je pense quil ne fallait pas lui livrer les Mistral,
car il faut fixer des limites à Vladimir Poutine?:
il nen respectera la France que davantage. Cest
important?! Dautant plus que cest le même
Poutine qui fixe à présent le tempo des relations
internationales.
Et lui, il a une vision?: replacer la Russie au cur
du jeu international, préserver ses intérêts
au Sud de la Méditerranée et sa base militaire
de Tartous en Syrie, et enfin se défendre des mouvements
djihadistes sur la frontière sud de la Russie. Son
intervention a rebattu les cartes. Vendre ces navires à
lEgypte nest pas un mauvais choix?: cet Etat
doit rester solide et ne pas devenir une zone de guerre
comme ses voisins.
Q. Le gouvernement a-t-il tort de réclamer le
départ de Bachar al-Assad??
R. La première vertu du stratège, cest
le réalisme. La mission première dun
chef dEtat est dassurer la sécurité
de ses citoyens, pas de faire de la morale. Désormais
les choses sont cependant plus claires?: Bachar al-Assad
est militairement soutenu par la Russie et il fera donc
partie du compromis à trouver pour sortir de cette
crise.
Le rendez-vous de New-York lors de lassemblée
générale de lONU a été
un grave échec. Il aurait fallu que les Etats-Unis,
la Russie, la France fassent cause commune pour éteindre
le feu, et donc lutter contre Daech. Après, il sera
toujours temps de négocier, sachant que le président
russe est évidemment plus attaché à
sa base de Tartous quà Assad.
Q. Faut-il envoyer des troupes au sol??
R. Eventuellement, mais seulement quand on aura clairement
déterminé létat final recherché?:
en stratégie, la question des moyens est toujours
une question de deuxième ordre, même si elle
interagit avec la question de la finalité. Des troupes,
mais quelles troupes?? Quelles nationalités?? Quelles
religions?? Questions complexes. Quel volume de forces et
quels risques, pour un engagement forcément très
long, dans de vastes espaces??
En 2003, larmée américaine en Irak a
mis un an pour reconquérir le Tigre et lEuphrate
avec 150.000 hommes. Elle a mis finalement neuf mois pour
faire tomber Falloujah avec 40.000 hommes, dont 15.000 Américains.
En comparaison, larmée française a pu
mobiliser un maximum de 5.000 hommes au Mali?!
Q. La France devait-elle en 2011 contribuer au renversement
du colonel Kadhafi?? A part Nicolas Sarkozy, qui défend,
encore aujourdhui, cette intervention??
R. Cet engagement nétait pas nécessaire.
Je suis très critique quant à cette opération,
mais pas plus que ceux qui savent que, dans la guerre, ce
qui compte ce nest pas lintention initiale mais
le résultat final. Et les conséquences de
cette intervention, cest non seulement la destruction
de la Libye, mais aussi les migrants et le chaos que lon
a installé durablement au Sahel, et, pour bonne part,
la consolidation de Boko Haram.
Autant, clairement, le 31 août 2013, il fallait
lancer lopération prévue contre les
troupes de Bachar al-Assad, autant en Libye, il eut été
infiniment plus sage de sarrêter au but initialement
fixé - arrêter la poussée blindée
devant Benghazi et ne pas laisser dériver
dramatiquement la mission.