Article.
Inventer d'autres formes de vie. Perspectives de l'ARN synthétique
Jean-Paul Baquiast 26/11/2015
Structure moléculaire de
l'ARN
Dans
un article du NewScientist daté du 21 novembre 2015,
Steven Benner expose comment la biologie synthétique
pourrait permettre d'inventer de nouvelles formes de vie.
Steven Benner est un des fondateur de ce champ de recherche.
Il a crée le Westheimer Institute of Science and
Technology et la Foundation for Applied Molecular Evolution
(FfAME). Il participe à deux start-up(s) qui en proposent
des applications dans certains domaines, notamment en thérapeutique.
On objectera que son point de vue risque de perdre l'objectivité
scientifique nécessaire au profit de certains intérêts
économiques. Mais il va de soi que l'objection ne
peut être reçue, dans le cadre de cet article.
Les bases théoriques de ses travaux font en effet
l'objet d'une large diffusion dans le monde académique.
Steven
Benner rappelle dans son article des points que les biologistes
évolutionnistes et les généticiens,
ne fussent-ils pas experts en biologie synthétique,
ne contestent pas. La plupart des hypothèses concernant
les premières formes de vie sur Terre admettent que
celles-ci se sont initialement développées
à partir de ce qui a été nommé
un « monde de l'ARN » (DNA world).
Initialement
l'ADN qui est à la base de tous les mécanismes
génétiques n'existait pas. Sa structure était
trop complexe pour avoir été « inventée »
par les premières formes de vie. Il s'est progressivement
développé, sur le mode darwinien, à
partir des molécules d'ARN qui constituait les seules
formes d'information génétique existantes,
notamment chez les virus.
L'ADN,
que chaque géniteur transmet à sa descendance,
est indispensable pour permettre à l'embryon de produire
les différentes variétés de protéines
indispensables au métabolisme. Mais compte tenu de
son peu d'efficacité en ce domaine, l'ADN fait appel
à l'ARN pour catalyser les réactions chimiques
nécessaires. On parle d'ARN messager pour désigner
les molécules d'ARN qui, à travers une structure
cellulaire spécifique, le ribosome, vont faire ce
travail. Le ribosome est un mélange d'ARN et de protéines
et joue le rôle de machine moléculaire nécessaire
à la fabrication des milliers de protéines
utilisées par les cellules pour remplir leur rôle
dans l'organisme.
L'ARN
n'agit pas seulement à travers les ribosomes, structures
complexes n'existant pas dans les cellules primitives. On
le rencontre aujourd'hui partout en biologie pour aider
les protéines à catalyser les réactions
métaboliques nécessaires à la vie.
Si cependant l'ARN est généralement remplacée
par l'ADN dans les grands processus biologiques, c'est qu'il
n'est pas une molécule stable et d'autre part ne
comporte pas assez d'éléments pour être
un catalyseur efficace.
Les
mécanismes darwiniens considérés comme
facteurs essentiels de l'évolution biologique ont
fait que l'invention, sans doute par hasard, de l'ADN par
certaines cellules a donné à ces cellules
un avantage compétitif considérable, faisant
ainsi disparaitre le monde de l'ARN primitif. L'ARN n'a
survécu que comme vestige, limité essentiellement
au rôle de messager à travers les ribosomes.
Imaginer
d'autres formes de vie
Si l'on
s'interroge sur ce qu'aurait pu être l'évolution
de la vie sur Terre sans l'apparition de l'ADN, sous la
seule action de l'ARN, ou sur ce que pourraient être
des formes exobiologiques (existant sur d'autres planètes)
n'ayant pas « inventé » « l'ADN,
toutes les suppositions sont possibles concernant ces formes
de vie. On pourrait, à une autre échelle,
se demander quelles auraient été les espèces
animales si certaines d'entre elles n'avaient pas « inventé »
l'aile. Elles n'auraient pas disparu pour autant, mais elles
se seraient développées en s'adaptant aux
seuls milieux terrestres et maritimes.
Pour
limiter l'exploration du champ des possibles, le laboratoire
de Steven Benner a montré que l'ARN aurait pu évoluer
différemment de ce qu'il a fait dans l'histoire de
la vie. L'ARN (cf wihipedia référencé
ci-dessous) ne comporte que quatre bases nucléiques,
l'adénine, la guanine, la cytosine et l'uracile.
Il a de nombreuses similitudes avec l'ADN, avec cependant
quelques différences importantes : d'un point
de vue structurel, l'ARN contient des résidus de
ribose là où l'ADN contient du désoxyribose,
ce qui rend l'ARN chimiquement moins stable, tandis que
la thymine de l'ADN y est remplacée par l'uracile,
qui possède les mêmes propriétés
d'appariement de base avec l'adénine. Sur le plan
fonctionnel, l'ARN se trouve le plus souvent dans les cellules
sous forme monocaténaire, c'est-à-dire de
simple brin, tandis que l'ADN est présent sous forme
de deux brins complémentaires formant une double-hélice.
Enfin,
les molécules d'ARN présentes dans les cellules
sont plus courtes que l'ADN du génome, leur taille
variant de quelques dizaines à quelques milliers
de nucléotides, contre quelques millions à
quelques milliards de nucléotides pour l'acide désoxyribonucléique.
Par ailleurs, dans la cellule telle qu'elle a résulté
de l'évolution, l'ARN est produit par transcription
à partir de l'ADN situé dans le noyau. L'ARN
est donc une copie d'une région de l'un des brins
de l'ADN.
Cependant
rien n'interdit de penser qu'un ARN comportant un plus grand
nombre de bases nucléiques, lesquelles auraient pu
résulter d'un appariement différent entre
nucléotides, n'aurait pu apparaître. Il aurait
pu en ce cas devenir un aussi bon catalyseur que l'ADN,
produisant donc autant sinon davantage de protéines.
L'ADN serait resté nécessaire, du fait de
sa grande stabilité, mais de nouveaux métabolismes,
et donc finalement de nouveaux types de cellules et d'organismes;
auraient pu apparaître.
La
biologie synthétique
On ne
peut évidemment pas en laboratoire reconstruire une
évolution hypothétique qui, sur des bases
biologiques différentes, se seraient déroulées
pendant des millions d'années. Mais la toute récente
biologie synthétique pourrait en principe le faire.
Elle peut dorénavant produire en laboratoire des
ARN et ADN de synthèse utilisant des alphabets génétiques
plus larges que ceux de leurs homologues naturels. Il est
possible de provoquer par ailleurs des processus évolutifs
considérablement accélérés.
Autrement dit, il devient possible de reproduire en laboratoire
le cycle darwinien bien connu : mutation, compétition,
sélection et expansion, fut-ce encore à très
petite échelle.
Ceci
ne veut pas dire qu'à horizon prévisible la
biologie darwinienne synthétique puisse faire apparaître
de nouvelles espèces, par exemple comportant une
douzaine de paires d'ailes. Mais elle a pu déjà
produire, dans le laboratoire de Steven Benner, en collaboration
avec une équipe dirigée par Weihong Tan à
l'université de Floride, des molécules nouvelles
ayant la propriété de se lier à des
cellules cancéreuses de façon à mieux
les combattre.
Sur d'autres planètes, il serait possible d'imaginer
que des formes de vie ayant évolué dans un
monde exclusivement à ARN auraient pu naitre et se
développer de façon darwinienne, sans avoir
besoin de protéines. En ce cas, elles pourraient
être si différentes de la vie telle que nous
la connaissons que les premiers explorateurs pourraient
les côtoyer sans, au moins dans un premier temps,
les identifier comme vivantes.
On n'oubliera
pas cependant que la vie ne résulte pas seulement
d'interactions entre un génome et un environnement.
Beaucoup d'autres facteurs sont à prendre en considération,
qu'il est inutile de rappeler ici. La vie synthétique
devra organiser ces interfaces, fort complexes d'ailleurs.
Il en sera de même de la vie totalement artificielle,
celle que l'on cherche à incarner dans des robots
en cours d'étude actuellement.
Références
* Article
de Steven Benner
https://www.newscientist.com/article/mg22830480-200-drop-the-proteins-alien-life-might-be-radically-different/
* Steven A. Benner https://en.wikipedia.org/wiki/Steven_A._Benner
* Domaines de recherche
http://www.ffame.org/sbenner.php
*
ARN Acide ribonucléique Wikipedia
* ADN
Acide désoxyrubonucléique Wikipedia
* Ribosome.
Wikipedia
* Biologie
synthétique. Wikipedia