Platform-M,
le robot combattant russe
30/09/2015

La question
des forces respectives militaires terrestres dont disposent
respectivement les Etats-Unis et la Russie en Europe est
rarement évoquée. Par forces terrestres, on
évoque évidemment celles susceptibles de s'affronter
dans un combat au sol, avec ou sans l'appui de l'aviation.
Le sol désigne en premier lieu le territoire russe
proprement dit, mais peut inclure celui de divers Etats
européens si la Russie décidait d'y engager
des troupes. La présence au sol est indispensable
pour dominer vraiment l'adversaire, comme le montrent aujourd'hui
les débats concernant les modalités de la
lutte contre Daesh au Moyen-orient,. Par ailleurs, l'hypothèse
exclut tout recours par l'une ou l'autre des parties à
des moyens nucléaires, qu'ils soient stratégiques
ou seulement tactiques (limitées à un affrontement
local). L'intervention des armes nucléaires change
radicalement la dimension du conflit. Elle préfigure,
même lorsque elle se limite aux armes tactiques, une
3e guerre mondiale qui serait catastrophique pour la planète
entière.
Aujourd'hui, à la suite des menaces visant la Russie
formulées par les Etats-Unis et relayées par
l'Otan à l'occasion du rôle prêté
à Moscou dans la crise ukrainienne, un certain nombre
de « personnes autorisées »
envisagent que, la crise s'aggravant, des combats au sol
surviennent entre les deux « partenaires »
(pour reprendre le terme affectionné par Vladimir
Poutine). Du côté des Occidentaux, ce sont
moins d'ailleurs les responsables militaires américains,
beaucoup prudents, qui recommandent d'étudier cette
éventualité, que des hommes politiques européens,
provenant d'ailleurs presque exclusivement de la Pologne,
des Etats Baltes et d'autres pays frontaliers, s'estimant
menacés d'une invasion russe éventuelle. Ils
escomptent évidemment une supériorité
américaine qui imposerait à la Russie un retrait
dont les conséquences politiques pourrait être
désastreuses pour le Kremlin.
Or en étudiant objectivement la question du rapport
des forces terrestres, un certain nombre d'experts militaires
font valoir que contrairement aux illusions des jusqu'au-boutistes
de l'Otan, la supériorité escomptée
des moyens américains se révèlerait
illusoire. Au contraire, dans cette perspective, la Russie
disposerait d'atouts tels qu'elle gagnerait la guerre terrestre
ainsi engagée. Ceci tiendrait à plusieurs
facteurs.
Le premier et le plus essentiel est qu'une guerre en Europe
ou sur les frontières européennes de la Russie
imposerait aux Etats-Unis de déployer à partir
du territoire américain lui-même, des moyens
militaires considérables. Les troupes américaines
occupant les nombreuses bases encerclant la Russie ne pourraient
en effet fournir que des forces accessoires. Or il faut
plusieurs mois pour préparer une opération
transatlantique d'ampleur, comme l'avait montré l'exemple
du débarquement des Alliées sur le sol européen
durant la 2e guerre mondiale. Au contraire, la Russie pourrait
mobiliser très rapidement un nombre considérable
de divisions au plus près des opérations envisagées.
La disproportion des forces aériennes entre les Etats-Unis
et la Russie est moins évidente. En effet, directement
ou par Otan interposée, l'US Air Force peut faire
appel rapidement à un nombre non négligeable
d'appareils, certes anciens mais suffisants pour mener des
combats au sol. Par ailleurs, elle dispose dans les mers
proches de porte-avions et navires d'accompagnement (carrier
groups) représentant des moyens jugés
considérables. Ne mentionnons pas les drones qui
désormais accompagnent toutes les opérations.
Cependant, là encore l'armée russe pourrait
aujourd'hui engager très rapidement de nombreux avions
modernes (les fameux Sukhoi 30 et 35) susceptibles d'enlever
toute supériorité aérienne aux forces
américaines. Les « carrier groups »
sont efficaces en cas de conflits maritimes, mais bien moins
dans des combats terrestres, ou la proximlité de
bases terrestres bien protégées donnerait
aux Russes un avantage non négligeable.
Un deuxième argument en faveur d'une éventuelle
supériorité russe dans des combats au sol
tient à l'effort considérable engagé
par la Russie depuis quelques années pour doter ses
forces terrestres de moyens intégrant des technologies
de la dernière génération. Il ne s'agirait
plus de chars poussifs tels que ceux engagés, avec
succès d'ailleurs, en riposte à l'agression
géorgienne en 2008 1). Les annonces faites par Moscou
sont nombreuses. Elles sont étudiées attentivement
par les experts américains et européens. Beaucoup
des armes nouvelles envisagées ne pourraient pas
être rapidement déployables aujourd'hui, car
elles supposent des investissements technologiques et humains
concernant l'emploi des forces très importants. Néanmoins,
certaines de ces armes sont déjà considérées
comme présentant en cas de conflit un risque à
prendre sérieusement en considération.
Parmi elles figurent les unités de robots de combat
dites Platform-M. Thierry Berthier, expert en cyber-guerre
et technologies associées, a bien voulu présenter
cette arme à nos lecteurs. Nous l'en remercions.
1) Le
7 août 2008, l'armée géorgienne attaquait
l'Ossétie-du-Sud, après plusieurs jours d'accrochages
avec les séparatistes alliés de Moscou. La
contre-attaque russe fit au moins 390 morts, en cinq jours,
parmi les civils et entraînant le déplacement
forcé de plus de 100.000 personnes,
Jean-Paul
Baquiast, pour Automates Intelligents
L'unité
de robots de combat Platform-M
Thierry Berthier 30/09/2015
Une
unitée de robots Platform-M a été intégrée
pour la première fois avec succès à
un dispositif opérationnel russe déployé
à loccasion dune campagne dexercices
militaires. Le robot se présente sous la forme d'un
petit engin blindé de campagne. Mais il s'agit de
tout autre chose, une plate-forme robotisée « télécommandée »
de combat dédiée au renseignement, à
la détection et à la neutralisation de cibles
fixes et mobiles. Très polyvalente, elle peut être
utilisée en soutien, en appui feu, en défense
dune base militaire, ou dans une mission plus offensive
de prise de contrôle dune zone urbaine tenue
par lennemi. Ces robots sont apparus publiquement
le 9 mai 2015 à Kaliningrad lors des défilés
de la grande parade militaire célébrant la
victoire russe de 1945.
La dernière campagne de manoeuvres russe a permis
de mesurer lefficacité réelle dun
groupe de combat robotisé engagé aux côtés
de forces conventionnelles. Chaque robot Platform-M peut
être doté de fusils dassauts de type
Kalachnikov, de quatre lance-grenades ou de missiles antichar
en fonction de la nature de la mission. Selon le scénario
retenu pour lexercice, des commandos parachutistes
russes, appuyés par des troupes de marine, des avions
de combat SU34, SU24 et des hélicoptères MI-24,
devaient reprendre au plus vite le contrôle dune
zone géographique tombée aux mains dinsurgés
disposant eux aussi darmements lourds.
A lissue de lexercice, le bureau de communication
de la région militaire ouest précisait
que lunité de robots Platform-M avait reçu
comme objectif principal la neutralisation des groupes armés
insurgés engagés en contexte urbain et quelle
avait procédé au traitement des cibles fixes
et mobiles. Le groupe de Platform-M a également construit
un passage sécurisé dans un champ de mines
laissé par lennemi.
Drones
Durant sa mission, lunité de robots a été
accompagnée et a collaboré avec une escadrille
de petits drones de reconnaissance de type Grusha BPLA déployés
à proximité de la zone dintervention.
Au niveau fonctionnel, ce dispositif savère
très cohérent : des drones de petit format
apportent de lagilité en milieu urbain puis
fournissent des renseignements et de la reconnaissance aérienne
en temps réel. Des algorithmes de traitement dimages
détectent et localisent les cibles fixes et mobiles
puis transmettent leurs positions aux Platform-M pour traitement.
Coûteux en vies humaines, le combat urbain peut tirer
grand avantage dun tel dispositif. Les gains sont
potentiellement importants et variés : baisse
de la létalité, économie deffectifs
engagés, optimisation des munitions, vitesse de déplacements
accrues, agilité en milieu encombré ou en
environnement dégradé (nucléaire, bactériologique,
chimique), résilience du dispositif (la panne dun
des robots ne stoppe pas lintervention des autres),
baisse du stress des personnels, effet psychologique sur
un adversaire équipé darmes conventionnelles
et affrontant une unité robotisée. Dotés
doutils de vision nocturne (infrarouge, thermique),
les robots Platform-M sont utilisables de jour comme de
nuit sans perte des capacités opérationnelles.
Téléguidés par un opérateur
humain depuis un poste de contrôle distant, ils possèdent
toutefois une forme dautonomie durant la phase de
combat lors de lacquisition des cibles. On peut supposer
quil existe, en marge de lexploitation de lunité,
une intense activité de Recherche/Développement
algorithmique afin de créer une coopération
de type multi-agents (peu supervisée ou quasi-autonome)
entre les robots du groupe. Dune façon générale,
les progrès de lintelligence artificielle orientent
les dispositifs vers plus dautonomie et de coopération
non supervisée.
Un savoir-faire ancien
La Russie possède un savoir-faire important dans
le domaine de la robotique civile et militaire. La guerre
froide et la conquête spatiale ont contribué
à forger cette expertise nationale mise en sommeil
durant presque deux décennies mais réactivée
aujourdhui par des tensions internationales que certains
considèrent comme une guerre froide 2.0. Les premiers
rovers lunaires soviétiques contenaient déjà
les racines technologiques des actuels robots russes. Dès
1964, les forces aériennes russes disposaient dun
appareil de reconnaissance longue portée DBP-1 sans
pilote capable de mener des missions dobservation
en Europe occidentale. En 1973, lUnion Soviétique
lançait un vaste programme de recherche et développement
de robotique industrielle. Douze ans plus tard, en 1985,
lURSS possédait plus de 40 % des robots
industriels mondiaux dépassant le score du leader
américain.
On peut donc parler dune véritable tradition
de robotique russe qui sest transmise aujourdhui
malgré les turbulences géopolitiques et budgétaires.
Les transferts de technologies du secteur spatial russe
vers celui de la robotique militaire ont permis de limiter
le retard de développement par rapport aux concurrents
américains, japonais et coréens. Selon lAmiral
Aleksandr Vitko, commandant la flotte de la Mer Noire, il
est question de diminuer fortement le volume de soldats
issus de la conscription pour les remplacer par des soldats
professionnels hautement qualifiés, capables de superviser
des unités robotisées. La « technologisation »
de larmée russe est bien en marche et elle
induit une course à lintelligence artificielle
dans les systèmes darmes.
Vers l'autonomie?
A lheure actuelle, Platform-M est un système
darmes télécommandé par des superviseurs
humains donc doté de très peu dautonomie.
Ses concepteurs (les chercheurs du Progress Scientific ResarchTechnological
Institute of Izhevsk) souhaitent que les robots évoluent
vers davantage de capacités dadaptation
au terrain et au contexte de combat. Les machines devront
pouvoir coopérer entre elles et savoir se réorganiser
de manière autonome en cas de neutralisation dune
partie de lunité. Lobjectif est de rendre
lunité de combat adaptative et résiliente.
Loptimisation globale en temps réel des actions
de chaque robot sous-entend un système de calcul
centralisé puissant embarquant un haut niveau dintelligence
artificielle (IA).
Lévolution dun système darme
vers plus dautonomie requiert plus dIA. Il est
aujourdhui évident que ce principe simple va
provoquer une course au développement de lIA
au sein de tous les grands laboratoires engagés dans
des programmes de robotique militaire. Cest déjà
le cas aux États-Unis avec lhyperactivité
de la Darpa et des sociétés avec lesquelles
elle travaille comme par exemple la célèbre
Boston Dynamics, filiale de Google.
Laugmentation de lautonomie et de lIA
dans les systèmes darmes suscite quelques inquiétudes
dans la communauté scintifique, dont votre site avait
rendu compte (voir http://www.automatesintelligents.com/edito/2015/juil/lettre_ouverte
_contre_armes_letales_autonomes.htmlPour autant, la
course à lIA darmement ne sera pas ralentie
par ce type dinitiative Si une réflexion éthique
globale sur lautonomie des armes semble aujourdhui
nécessaire, les enjeux stratégiques, militaires,
politiques et économiques portés par ces technologies
de rupture demeurent hautement prioritaires pour les États.
Ajoutons que, dans le domaine de la « conquète
spatiale », notamment concernant des planètes
plus éloignées de la Terre que ne l'est la
Lune, les essaims de robots autonomes seront inévitablement,
pendant les 20 ou 30 prochaines années, ans, les
précurseurs de débarquements humains. L'autonomie
leur permettra de réagir en temps réel sans
requérir les délais de plusieurs heures nécessaires
aux échanges avec des contrôleurs humains restés
terrestres.