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Sciences
politiques. Peut-on sortir du Système ?
Jean-Paul Baquiast 28/09/2015
Cette question est de plus en plus posée, face aux
dégâts civilisationnels que provoque le Système,
et peut-être aux risques de guerres de grande ampleur
qu'il fait de plus en plus courir.
Ceux qui posent la question sont souvent découragés
d'aller plus loin, faute de pouvoir décrire avec précision
ce qu'ils proposeraient de mettre à la place du Système.
Or les humains sont ainsi faits, semble-t-il, qu'ils préfèrent
supporter une aliénation qu'ils connaissent à
un saut dans l'inconnu. Celui-ci, pensent-ils non sans raison,
pourrait entrainer des situations bien pires que celles dont
ils souffrent aujourd'hui.
Mais avant de préciser ce qu'ils proposent de mettre
à la place du Système, ils doivent décrire
avec autant de précision que possible ce en quoi selon
eux consiste ce Système. On ne combat bien que ce que
l'on connaît bien. Cette description n'est pas facile.
D'abord parce qu'elle suppose une analyse aussi précise
que possible de l'état du monde et des menaces pesant
sur lui. Ensuite parce que chacun, compte tenu de son appartenance
sociale, son âge et de nombreux autres facteurs spécifiques,
aura du Système une conception qui ne sera pas nécessairement
cohérente avec celles des autres.
Une définition du Système
En se limitant à la France, et plus précisément
aux discours politiques et aux écrits divers émanant
de ceux qui affichent une volonté claire de réformer
le Système, voire d'en sortir, il est possible cependant
de donner une définition de celui-ci. Il s'agit d'abord
de la différence radicale qui oppose, selon une image
désormais admise, le 1% des plus favorisés au
99% des autres. Cette opposition se retrouve dans toutes les
parties du monde et dans tous les régimes politiques.
Ceci aussi bien aux Etats-Unis que dans la Chine communiste
ou dans les pays en développement. Elle se retrouve
évidemment aussi en Europe, malgré les objectifs
visant à la réduire affichés par diverses
majorités politiques socio-démocrates.
Les 1% des plus puissants et des plus riches font en sorte,
par tous les moyens nombreux et efficaces dont ils disposent,
de conserver cet avantage, voire de l'étendre. Ils
ne reculent pas dans ce but devant le fait d'imposer à
la planète des risques auxquels nul n'échappera,
même pas eux. C'est le cas aujourd'hui en matière
de destruction des écosystèmes et de réchauffement
climatique. A l'inverse, ils se réservent, de fait
sinon de droit, les protections diverses pouvant résulter
du développement des sciences et des technologies.
Si un jour, comme il est probable, un « post-humain »
quelconque pouvait résulter des progrès scientifiques,
ils seront les seuls à en bénéficier.
Non seulement parce que ce passage au post-humain demandera
des investissements considérables qu'ils seront les
seuls capables de financer, mais parce qu'ils voudront même
en ce cas, se réserver les privilèges de domination
dont ils jouissent actuellement.
En approfondissant l'analyse, il apparaitra que la propriété
privée spéculative des facteurs de production
caractérise aussi le Système, même dans
des pays comme la Chine où certains de ces facteurs
sont restés sous un contrôle d'Etat. On emploie
aussi le terme de capitalisme néo-libéral, l'expression
désignant le fait qu'au contraire du capitalisme ancien
portant sur les facteurs matériels de production, le
seul en principe capable d'entrainer des retombées
positives pour toutes les classes sociales, les facteurs de
production sont désormais accaparés par des
intérêts financiers. Ce capitalisme ancien pouvait
être privé, mais aussi public, les Etats investissant
eux-mêmes dans des domaines jugés d'intérêt
général, à une époque où
les Etats n'étaient pas encore totalement pris en mains
par le 1%.
Les intérêts composant ce 1% ne recherchent que
des profits de court terme, obtenus généralement
par des spéculations en Bourse, et se faisant au détriment
des activités industrielles, économiques et
financières pouvant apporter des gains de productivité
sinon à tous, du moins à des classes de citoyens
plus étendues que celle correspondant au 1% précité.
Ces activité supposeraient des investissements de long
terme, aux résultats incertains. Le capitalisme financier
s'y refuse. Il en résulte que les immenses progrès
potentiels pouvant résulter d'un développement
systématique raisonné des sciences et des technologies
sont aujourd'hui devenus hors de portée. Seuls en bénéficient,
et encore sous couvert d'un secret-défense empêchant
leur diffusion au profit de tous, les forces armées
et les services de sécurité-espionnage dont
le 1% se dote pour réprimer les révoltes pouvant
apparaître contre lui au sein des 99% autres.
Sortir du Système
Compte tenu de références historiques, les 99%
des classes dominées pourraient espérer que
précisément, des révoltes se produisant
en leur sein ébranleraient la domination des super-riches
et des super-puissants. C'est ainsi qu'en France, la révolte
du Tiers-Etat a produit la Révolution française.
Certes de nouveaux dominants sont très vite apparus,
mais le pouvoir des anciennes élites de l'Ancien Régime
ne s'est pas retrouvé aux mêmes mains. Il a par
ailleurs été davantage partagé.
De telles révoltes sont-elles aujourd'hui envisageables?
La plupart des observateurs politiques pensent que, même
si elles se produisaient ici et là, elles seraient
vite neutralisées par le 1% des dominants, y compris
comme ce fut toujours le cas dans l'histoire des révoltes,
par des moyens militaires. Ce fut récemment le sort
du mouvement « Occupy Wall Street »
qui a sombré rapidement dans l'impuissance.
Cependant, dans des situations nécessairement complexes
et chaotiques, au sens scientifique, il est impossible d'exclure
que de nouvelles révoltes, cette fois-ci plus efficaces,
se produisent, en Europe et même en France, parmi des
populations cependant très largement lobotomisées.
A supposer que ces révoltes apparaissent, leur objectif
principal devrait être de récupérer la
propriété et donc l'usage des moyens de production
et de recherche, ainsi que des ressources financières.
On pourra parler de re-nationalisations.
Le mot de re-nationalisation fera peur à beaucoup.
Le 1% dominant expliquera que les abus et les erreurs des
nationalisations s'étant produites en URSS et en France
après la 2 guerre mondiale se renouvelleraient inévitablement,
avec l'apparition de nouveaux profiteurs, sinon de nouveaux
tyrans. Mais de telles nationalisation des moyens de production
devraient s'accompagner d'une vaste mobilisation au sein des
99%, visant à partager le pouvoir et surtout à
orienter les développements de la science et des technologies
au profit de tous, notamment au profit des intérêts
de survie de la planète.
Les réseaux numériques, en leur état
actuel et futur, faisant appel à des outils évoluées
d'intelligence artifielle coopérative, joueraient à
cet égard un rôle essentiel au profit des 99%.
Ils pourraient permettre, non seulement de partager la direction
des entreprises productives, mais de faire apparaître
des objectifs bénéficiant à tous. Pour
ce faire, les plus actifs et motivés des 99% devraient
relancer au sein des réseaux la coopération
des chercheurs, des citoyens et des épargnants, en
vue de créer les nouveaux produits et services écologico-compatibles
qui devraient en être la priorité. Si un jour
un post-humain devait apparaitre, seule cette version du post-humanisme
serait acceptable.
Références
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot La
violence des riches. Chronique d'une immense casse sociale,
Paris, La Découverte, coll. « La Découverte/Poche »,
2014, 272 p., 1re édition 2013
On lira une critique très pertinente de ce livre dans
https://lectures.revues.org/15952
La critique
débute de cette façon:
Les travaux de Michel Pinçon
et de Monique Pinçon-Charlot se concentrent essentiellement
sur les élites, par le biais denquêtes
ethnographiques. Leurs recherches sinscrivent dans la
tradition sociologique qui produit une analyse du système
social par le prisme des rapports de domination entre groupes
sociaux, renvoyant aux travaux de Karl Marx et de Pierre Bourdieu.
Ici, cest à travers le conflit entre classes
sociales que sont analysés les mouvements socio-économiques.
Leur approche remet au goût du jour les théories
marxistes : la guerre des classes est déclarée
car les rapports sociaux de classes sont violents dans le
capitalisme mondialisé. Cette violence est exercée
par les classes dominantes (la bourgeoisie qui se confond
avec les élites financières) sur le peuple (les
classes moyennes et populaires). Les auteurs tentent de déterminer
comment se produit cette violence, et comment elle est acceptée
par le plus grand nombre.
Pour aller
plus loin dans l'analyse, on lira de Agnès Rousseaux,
un Interview de Monique Pinçon-Charlot novembre
2013
Source : laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr
Repris récemment par Les Crises
http://www.les-crises.fr/la-violence-des-riches-par-michel-pincon-et-monique-pincon-charlot/
Comme l'indique Olivier Berruyer, responsable d'édition
de Les Crises: « Un article un peu ancien, mais
qui ne vieillit pas
"
Nous reprenons ici l'interview de Monique Pinçon-Charlot,
pour éviter toutes recherches inutiles au lecteur
Introduction
On lit à longueur déditoriaux des dénonciations
des dérives du « populisme ».
Que ne déploie-t-on pas la même énergie
à épingler son double, bien plus actif et bien
plus installé : le « bourgeoisisme »
du Figaro, le « richissisme » des
chroniqueurs de la Bourse ou l« oligarchisme »
du Whos Who ? Avec le luxe, lélégance,
les journaux people, les exhibitions caritatives et les
expositions duvres dart, les riches se construisent
dans une mascarade sociale en bienfaiteurs de lhumanité
quil convient de flatter alors quils nont
bien souvent que le mérite de leur naissance
Lidée dun changement radical peut faire
peur, mais à tort. Tout au contraire, puisque le chaos
cest maintenant et quil est installé dans
une spirale infernale. Il ny a pas dautre solution
que de rompre avec un capitalisme devenu irresponsable, lappât
du gain immédiat faisant perdre le sens du possible
et de la solidarité. Il faut faire rendre raison à
ce système économico-politique qui a fait son
temps.
Interview
Agnès
Rousseau (AR.): Quest-ce
quun riche, en France, aujourdhui ?
Monique Pinçon-Charlot } : Près de
10 millions de Français vivent aujourdhui en-dessous
du seuil de pauvreté. Celui-ci est défini très
précisément. Mais il nexiste pas de « seuil
de richesse ».
Cest très relatif, chacun peut trouver que son
voisin est riche. Et pour être dans les 10 % les
plus riches en France, il suffit que dans un couple chacun
gagne 3000 euros. Nous nous sommes intéressés
aux plus riches parmi les riches. Sociologiquement, le terme
« riche » est un amalgame. Il mélange
des milieux très différents, et regroupe ceux
qui sont au top de tous les univers économiques et
sociaux : grands patrons, financiers, hommes politiques,
propriétaires de journaux, gens de lettres
Mais
nous utilisons délibérément ce terme.
Car malgré son hétérogénéité,
ces « riches » sont une « classe »,
mobilisée pour la défense de ses intérêts.
Et nous voulons aujourdhui contribuer à créer
une contre-offensive dans cette guerre des classes que mènent
les riches et quils veulent gagner
.A
R. Pourquoi est-il si difficile de définir cette classe ?
La richesse est multidimensionnelle. Bourdieu parlait très
justement de capital capital économique,
culturel, symbolique , cest ce qui donne du pouvoir
sur les autres. A côté de la richesse économique,
il y a la richesse culturelle : cest le monde des
musées, des ventes aux enchères, des collectionneurs,
des premières dopéra
Jean-Jacques
Aillagon, président du comité des Arts décoratifs,
vient dêtre remplacé par un associé-gérant
de la banque Lazard. Dans lassociation des amis de lOpéra,
on retrouve Maryvonne Pinault (épouse de François
Pinault, 6ème fortune de France), Ernest-Antoine Seillière
(ancien président du Medef, 37ème fortune de
France avec sa famille)
A cela sajoute la richesse sociale, le « portefeuille »
de relations sociales que lon peut mobiliser. Cest
ce qui se passe dans les cercles, les clubs, les rallyes pour
les jeunes. Cette sociabilité mondaine est une sociabilité
de tous les instants : déjeuners, cocktails, vernissages,
premières dopéra. Cest un véritable
travail social, qui explique la solidarité de classe.
La quatrième forme est la richesse symbolique, qui
vient symboliser toutes les autres. Cela peut être le
patronyme familial : si vous vous appelez Rothschild,
vous navez pas besoin den dire davantage
Cela peut être aussi votre château classé
monument historique, ou votre élégance de classe.A.R.
Il existe aussi une grande disparité entre les très
riches
Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH,
est en tête du palmarès des grandes fortunes
professionnelles de France, publié chaque année
par la revue Challenges. Il possède 370 fois la
fortune du 500ème de ce classement. Et le 501ème
est encore très riche ! Comparez : le Smic
à 1120 euros, le revenu médian à 1600
euros, les bons salaires autour de 3000 euros, et même
si on inclut les salaires allant jusque 10 000 euros,
on est toujours dans un rapport de 1 à 10 entre ces
bas et hauts salaires. Par comparaison, la fortune des plus
riches est un puits sans fond, un iceberg dont on ne peut
pas imaginer létendue.
A R. Malgré lhétérogénéité
de cette classe sociale, les « riches »
forment, selon vous, un cercle très restreint.
On trouve partout les mêmes personnes dans une consanguinité
tout à fait extraordinaire. Le CAC 40 est plus quun
indice boursier, cest un espace social. Seules 445 personnes
font partie des conseils dadministration des entreprises
du CAC 40. Et 98 dentre eux détiennent au total
43 % des droits de vote . Dans le conseil dadministration
de GDF Suez, dont lÉtat français possède
36 % du capital, il y a des représentants des
salariés. Ceux-ci peuvent être présents
dans divers comités ou commissions, sauf dans le comité
des rémunérations. Cela leur est interdit. Qui
décide des rémunérations de Gérard
Mestrallet, le PDG ? Jean-Louis Beffa, président
de Saint-Gobain, notamment. Cest lentre-soi oligarchique
.A
R. Cela semble si éloigné quon peut avoir
limpression de riches vivant dans un monde parallèle,
sans impact sur notre vie quotidienne. Vous parlez à
propos des riches de « vrais casseurs ».
Quel impact ont-ils sur nos vies ?
Avec la
financiarisation de léconomie, les entreprises
sont devenues des marchandises qui peuvent se vendre, sacheter,
avec des actionnaires qui exigent toujours plus de dividendes.
Selon lInsee, les entreprises industrielles (non financières)
ont versé 196 milliards deuros de dividendes
en 2007 contre 40 milliards en 1993. Vous imaginez à
quel niveau nous devons être sept ans plus tard !
Notre livre souvre sur une région particulièrement
fracassée des Ardennes, avec lhistoire dune
entreprise de métallurgie, qui était le numéro
un mondial des pôles dalternateur pour automobiles
(les usines Thomé-Génot). Une petite entreprise
familiale avec 400 salariés, à qui les banques
ont arrêté de prêter de largent,
du jour au lendemain, et demandé des remboursements,
parce que cette PME refusait de souvrir à des
fonds dinvestissement. Lentreprise a été
placée en redressement judiciaire. Un fonds de pension
la récupéré pour un euro symbolique,
et, en deux ans, a pillé tous les savoir-faire, tous
les actifs immobiliers, puis fermé le site. 400 ouvriers
se sont retrouvés au chômage. Cest un exemple
parmi tant dautres ! Si vous vous promenez dans
les Ardennes aujourdhui, cest un décor
de mort. Il ny a que des friches industrielles, qui
disent chaque jour aux ouvriers : « Vous êtes
hors-jeu, vous nêtes plus rien. On ne va même
pas prendre la peine de démolir vos usines, pour faire
des parcs de loisirs pour vos enfants, ou pour planter des
arbres, pour que vous ayez une fin de vie heureuse. Vous allez
crever. »
A R. Comment sexerce aujourdhui
ce que vous nommez « la violence des riches » ?
Cest une violence inouïe. Qui brise des vies, qui
atteint les gens au plus profond de leur corps, de leur estime,
de leur fierté du travail. Être premier dans
les pôles dalternateur pour automobiles, cest
faire un travail de précision, cest participer
à la construction des TGV, à lune des
fiertés françaises. Casser cela est une violence
objective, qui nest ni sournoise ni cachée, mais
qui nest pas relayée comme telle par les politiques,
par les médias, par ces chiens de garde qui instillent
le néolibéralisme dans les cerveaux des Français.
Pour que ceux-ci acceptent que les intérêts spécifiques
des oligarques, des dominants, des riches, deviennent lintérêt
général.
A R. Comment cette violence objective
se transforme-t-elle en assujettissement ?
Cest une forme desclavage dans la liberté.
Chacun est persuadé quil est libre dorganiser
son destin, dacheter tel téléphone portable,
demprunter à la banque pendant 30 ans pour sacheter
un petit appartement, de regarder nimporte quelle émission
stupide à la télévision. Nous essayons
de montrer à quel système totalitaire cette
violence aboutit. Un système totalitaire qui napparaît
pas comme tel, qui se renouvelle chaque jour sous le masque
de la démocratie et des droits de lhomme. Il
est extraordinaire que cette classe, notamment les spéculateurs,
ait réussi à faire passer la crise financière
de 2008 une crise financière à létat
pur pour une crise globale. Leur crise, est
devenue la crise. Ce nest pas une crise, mais
une phase de la guerre des classes sans merci qui est menée
actuellement par les riches. Et ils demandent au peuple français,
par lintermédiaire de la gauche libérale,
de payer. Et quand on dit aux gens : « Ce
nest quand même pas à nous de payer ! »,
ils répondent : « Ah, mais cest
la crise »
A R. Pourquoi et comment les classes
populaires ont-elles intégré cette domination ?
Cest une domination dans les têtes : les
gens sont travaillés en profondeur dans leurs représentations
du monde. Cela rend le changement difficile, parce quon
se construit en intériorisant le social. Ce que vous
êtes, ce que je suis, est le résultat de multiples
intériorisations, qui fait que je sais que joccupe
cette place-là dans la société. Cette
intériorisation entraîne une servitude involontaire,
aggravée par la phase que nous vivons. Avec le néolibéralisme,
une manipulation des esprits, des cerveaux, se met en place
via la publicité, via les médias, dont les plus
importants appartiennent tous à des patrons du CAC
40.
A
R. Sommes-nous prêts à tout accepter ? Jusquoù
peut aller cette domination ?
Dans une chocolaterie quil possède en Italie,
le groupe Nestlé a proposé aux salariés
de plus de cinquante ans de diminuer leur temps de travail,
en échange de lembauche dun de leurs enfants
dans cette même entreprise. Cest une position
perverse, cruelle. Une incarnation de ce management néolibéral,
qui est basé sur le harcèlement, la culpabilisation,
la destruction. Notre livre est un cri dalerte face
à ce processus de déshumanisation. On imagine
souvent que lhumanité est intemporelle, éternelle.
Mais on ne pense pas à la manipulation des cerveaux,
à la corruption du langage qui peut corrompre profondément
la pensée. Le gouvernement français pratique
la novlangue : « flexi-sécurité »
pour ne pas parler de précarisation, « partenaires
sociaux » au lieu de syndicats ouvriers et patronat,
« solidarité conflictuelle ».
Le pouvoir socialiste pratique systématiquement une
pensée de type oxymorique, qui empêche de penser.
Qui nous bloque.
A R. Les riches entretiennent une fiction
de « surhommes » sans qui il ny
aurait pas travail en France, estimez-vous. Menacer les riches
signifie-t-il menacer lemploi ?
Cette menace est complètement fallacieuse. Dans la
guerre des classes, il y a une guerre psychologique, dont
fait partie ce chantage. Mais que les riches sen aillent !
Ils ne partiront pas avec les bâtiments, les entreprises,
les autoroutes, les aéroports
Quand ils disent
que largent partira avec eux, cest pareil. Largent
est déjà parti : il est dans les paradis
fiscaux ! Cette fiction des surhommes fonctionne à
cause de cet assujettissement, totalitaire. Quand on voit
le niveau des journaux télévisés, comme
celui de David Pujadas, il ny a pas de réflexion
possible. En 10 ans, les faits divers dans les JT ont augmenté
de 73 % !A R. Certains se plaignent dune stigmatisation des
« élites productives ». Les riches
ont-ils eux aussi intériorisé ce discours, cette
représentation ?
Notre livre souvre sur une citation extraordinaire de
Paul Nizan [5]:
« Travaillant pour elle seule, exploitant pour
elle seule, massacrant pour elle seule, il est nécessaire
[à la bourgeoisie] de faire croire quelle travaille,
quelle exploite, quelle massacre pour le bien
final de lhumanité. Elle doit faire croire quelle
est juste. Et elle-même doit le croire. M. Michelin
doit faire croire quil ne fabrique des pneus que pour
donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans
lui ».
Cest pour cela que cette classe est tout le temps mobilisée :
les riches ont sans cesse besoin de légitimer leur
fortune, larbitraire de leurs richesses et de leur pouvoir.
Ce nest pas de tout repos ! Ils sont obligés
de se construire en martyrs. Un pervers narcissique, un manipulateur,
passe en permanence du statut de bourreau à celui de
victime, et y croit lui-même. Cest ce que fait
loligarchie aujourdhui, par un renversement du
discours économique : les riches seraient menacées
par lavidité dun peuple dont les coûts
(salaires, cotisations
) deviennent insupportables. On
stigmatise le peuple, alors que les déficits et la
dette sont liés à la baisse des impôts
et à loptimisation fiscale
.A R. Depuis que le parti socialiste
est au pouvoir, quest-ce qui a changé ?
Y a-t-il eu des améliorations concernant cette violence
des riches que vous dénoncez ?
On ne peut pas parler damélioration : nous
sommes toujours dans un système oligarchique. Nos dirigeants
sont tous formés dans les mêmes écoles.
Quelle différence entre Dominique Strauss-Kahn et Nicolas
Sarkozy ? Je ne suis pas capable de vous le dire. Lhistoire
bégaye. Un exemple : le secrétaire général
adjoint de lÉlysée est actuellement Emmanuel
Macron, qui arrive directement de la banque daffaires
Rothschild. Sous Nicolas Sarkozy, ce poste était occupé
par François Pérol, qui venait aussi de chez
Rothschild. Les banques Lazard et Rothschild sont comme des
ministères bis et conseillent en permanence
le ministre de lÉconomie et des Finances. La
mission de constituer la Banque publique dinvestissement
(BPI) a été confiée par le gouvernement
à la banque Lazard
Et la publicité sur
le crédit dimpôt lancé par le gouvernement
a été confiée à lagence
Publicis. Qui après avoir conseillé Nicolas
Sarkozy conseille maintenant Jean-Marc Ayrault. On se moque
de nous !
Pierre Moscovici et François Hollande avait promis
une loi pour plafonner les salaires de grands patrons}. Ils
y ont renoncé. Pierre Moscovici a annoncé, sans
rire, quil préférait « lautorégulation
exigeante ». Des exemples de renoncement, nous
en avons à la pelle ! Le taux de rémunération
du livret A est passé de 1,75 % à 1,25 %,
le 1er août. Le même jour, Henri Emmanuelli, président
de la commission qui gère les livrets A [8], a
cédé au lobby bancaire, en donnant accès
aux banques à 30 milliards deuros supplémentaires
sur ces dépôts. Alors quelles ont déjà
reçu des centaines de milliards avec Nicolas Sarkozy !
Elles peuvent prêter à la Grèce, au Portugal,
avec un taux dintérêt de 8 ou 10 %
Avec le crédit dimpôt pour la compétitivité
et lemploi (CICE), entré en vigueur le 1er janvier
2013, cest encore 20 milliards deuros de recettes
fiscales en moins chaque année, offerts aux entreprises,
et qui plombent le déficit public de façon absolument
considérable.
A
R. Le Front national a un discours virulent contre les « élites »
françaises. Navez-vous pas peur que votre analyse
soit récupérée par lextrême-droite ?
Nous ne disons pas que les politiques sont « tous
pourris », comme le fait le FN. Nous proposons
une analyse en terme de classes, pour donner à voir
des mécanismes sociaux. Nous cherchons à dévoiler
le fonctionnement de cette caste qui casse le reste de la
société, dans une logique de prédation
qui va se poursuivre dans une spirale infernale. Le Front
National désigne comme bouc émissaire limmigré
ou le Rom, donnant en pâture ce qui est visible. Le
Rom est dailleurs devenu un bouc émissaire transversal
à léchiquier politique, depuis la gauche
libérale avec Manuel Valls jusquau Front National.
Si on doit pointer précisément un responsable
à la situation actuelle, cest plutôt une
classe sociale les riches et un système
économique, le néolibéralisme. Puisquil
faut des formules fortes : le banquier plutôt que
limmigré !
A R. Vous parlez dans votre ouvrage
dune guerre des classes qui nest pas sans visage.
Ny a-t-il pas un enjeu justement à « donner
des visages » à cette classe, comme vous
le faites ?
Cest une nécessité absolue. Il faut simposer
dacheter chaque année ce bijou sociologique quest
le palmarès du magazine Challenges. Et sefforcer
dincarner, de mettre des visages sur cette oligarchie
Cest une curiosité nécessaire, les gens
doivent être à laffût de cette consanguinité,
de cette opacité, de la délinquance financière.
Nos lecteurs doivent se servir de notre travail pour organiser
une « vigilance oligarchique » :
montrer aux puissants que leur pouvoir nest pas éternel,
empêcher ce sentiment dimpunité quils
ont aujourdhui, car ils savent que personne nira
mettre son nez dans leurs opérations financières
totalement opaques.
Nous avons aussi expérimenté des visites ethnographiques
dans les quartiers riches, pour vaincre nos « timidités sociales ».
Se promener dans les beaux quartiers, leurs cinémas,
leurs magasins, leurs cafés, est un voyage dans un
espace social. Il faut avoir de lhumilité pour
accepter dêtre remis à sa place, ne pas
se sentir à laise, se sentir pauvre car vous
ne pouvez pas vous payer une bière à six euros.
Mais cest une expérience émotionnelle,
existentielle, qui permet des prises de conscience. Une forme
de dévoilement de cette violence de classe.