Géopolitique.
Le Web. Interprétation technique. Interprétation
géopolitique
Jean-Paul
Baquiast 20/10/2015
La domination
américaine sur le monde était déjà
forte après la seconde guerre mondiale à la
suite de l'explosion industrielle ayant permis le succès
de la guerre contre l'Allemagne. Elle s'était renforcée
dès la mise en place de l'Union européenne,
expressément voulue par l'Amérique pour servir
de débouchés aux produits économiques
et financiers de ses activités. Mais elle se heurtait,
notamment en Europe, à la survivance de ce que l'on
avait défini en France comme l'esprit du Conseil
National de la Résistance: reconnaissance du rôle
des syndicats ouvriers, affirmation de droits sociaux et
de droits dans le travail, se concrétisant sous le
terme d'Etat-providence, renforcement du rôle de l'Etat
dans la vie économique et sociale, prenant notamment
la forme des nationalisations et du développement
de services publics industriels et commerciaux.
Cette tradition que l'on peut qualifier de social-démocrate,
s'était généralisé en Europe,
y compris en Grande Bretagne sous le Labour, pourtant obligé
de tenir compte dès la fin de la guerre du régime
dit« special relationship »
faisant du Royaume Uni une dépendance de l'Amérique.
La social démocratie s'opposait, bien imparfaitement,
aux exigences du capitalisme libéral. Celui-ci exige
de soumettre toutes les activités économiques
et social aux intérêts des actionnaires des
entreprises privées. Ces entreprises, dans le domaine
industriel et financier, avaient après la guerre
pris la forme de quasi-monopoles américains cherchant
à dominer l'ensemble du monde. Or le communisme en
Russie, la social démocratie en Europe, faisaient
obstacle, bien que de plus en plus faiblement, à
cette entreprise de domination.
L'Amérique
se devait d'inventer une révolution technologique
dont elle se donnerait entièrement la maîtrise,
et qu'elle pourrait imposer, au prétexte de nouveaux
services rendus, à l'ensemble du monde. Mais les
services rendus par cette révolution se devaient
d'être marginaux en ce qui concernait le reste du
monde. Ils devaient au contraire être entièrement
mis au service des objectifs de domination américains.
Cela aurait pu être le cas concernant la révolution
du nucléaire. Mais très vite d'autres Etats,
notamment la France de Charles de Gaulle, avaient décidé
de réagir et de se doter de la bombe atomique.
La
Silicon Valley
Ce fut
donc dès les années 1970 la révolution
informatique, suivie de celle des réseaux numériques
et de l'Internet, le tout symbolisé par le terme
de Silicon Valley. L'ensemble était conçu
pour donner à la domination américaine de
nouveaux domaines où s'imposer, cette fois-ci de
façon inéluctable. Les autres Etats, en Europe
notamment et même en Russie non communiste à
ses débuts, ne furent pas assez avertis technologiquement
ni indépendants politiquement pour favoriser chez
eux le développement de Silicon Valley non américaines
susceptibles de contrebalancer le poids des maîtres
américains de la révolution numérique.
Cette
révolution pris deux formes, toutes les deux dominées
aujourd'hui encore et pratiquement sans contreparties par
l'Amérique. La première fut l'informatique,
celle des grands, petits et mini-ordinateurs. Elle est suffisamment
connue, il est inutile d'y revenir ici. Ce que l'on connait
moins pourtant sont les multiples formes que prend aujourd'hui
l'informatique dans la vie sociale et celle des individus.
Un rapport
du Gartner Groupe en analyse les principales tendances
pour 2017.
Il s'agit
d'un véritable filet enserrant toutes les activités
humaines, de la naissance au cimetière. Personne
ne gouverne d'une façon centralisée la mise
en place des éléments de ce filet. Néanmoins
la source en est majoritairement dans la Silicon Valley,
pour reprendre le terme utilisé ci-dessus. Il s'agit
donc d'un élément majeur d'une domination
américaine polymorphe et universelle. Actuellement,
seule la Chine et marginalement la Russie entreprennent
de s'en affranchir.

La seconde
domination américaine s'exerce dorénavant
dans le champ des réseaux numériques, que
l'on appelle pour simplifier le web. Nous l'avons également
analysée ici depuis ses origines. Elle est désormais
bien connue, notamment sous la forme de l'emprise qu'exerce
dans la vie quotidienne le poids des grandes plateformes
du web, dites GAFA, le terme désignant : Google,
Apple, Facebook, Amazon. Mais des dizaines d'autres gravitent
dans l'orbite de celles-ci.
Aux origines, ces firmes vivaient de la revente aux régies
publicitaires des données personnelles qu'elles prélevaient
sur leurs clients. Mais elles ont considérablement
diversifié leurs activités, notamment dans
les domaine de l'intelligence artificielle visant à
devenir autonome. Comme personne ne l'ignore désormais,
elles sont intimement liées aux agences de renseignement
et de défense de l'Etat américain. Cela ne
décourage pas leurs milliards d'utilisateurs qui
continuent à leur convier leurs intérêts.
Deux
ouvrages récents à lire
Cependant,
si les activités de ces plate-formes sont à
peu près connues du grand public, celui-ci ignore
pratiquement les secrets de leurs techniques, recherches
et activités nouvelles. Cette ignorance est partagée
par les services publics et gouvernements censés
dans certains cas exercer une tutelle sur elles afin de
protéger certaines activités publiques et
privées de leur pouvoir de plus en plus envahissant.
Le domaine il est vrai est très technique, sous une
apparente facilité d'accès.
En France, deux ouvrages récents ont tenté
d'en déchiffre les arcanes. Il s'agit de « La
Gouvernance par les nombres » (Fayard, 2015)
d'Alain Supiot et de « A quoi rêvent
les algorithmes » (Seuil 2015) de Dominique
Cardon. Tous deux sont d'excellents connaisseurs des aspects
nouveaux du web mondial et des nouvelles formes de contrôle
s'y exerçant, notamment provenant des Etats-Unis,
dont l'on a beaucoup parlé à l'occasion de
la découverte de l'existence des Big Data.
Le premier
est un gros ouvrage de près de 500 pages, le second
ne dépasse pas la centaine de pages. Nous ne pouvons
que recommander à nos lecteurs de les lire. Cependant,
il faut savoir qu'ils sont tous les deux difficiles à
comprendre pour un non professionnel. Les auteurs considèrent
comme acquises des connaissances qui ne le sont pas, et
ne prennent pas le temps de les expliquer. Ils font référence
par ailleurs, et c'est tout leur mérite de scientifiques,
à un nombre considérable d'auteurs que le
lecteur ne pourra évidemment pas consulter. Si nous
devions cependant conseiller la lecture d'un seul de ces
deux livres, ce serait celle de « A quoi rêvent
les algorithmes ».
Les
deux auteurs n'évitent pas de situer leurs analyses
dans une perspective géopolitique, marquée
notamment par ce que nous nommons ici la domination américaine
sur le monde. Néanmoins, ils restent très
mesurés dans leurs criques et analyses. En explorant
les sources américaines dites alternatives, il est
possible de trouver des analyses beaucoup plus virulentes.
Elles n'ont pratiquement pas d'équivalent en France.
Critique
politique
Grâce
à Rue89, relayée par le site Les Crises, on
peut trouver ces jours-ci un exemple
très parlant de telles analyses critiques, souvent
virulentes, mais frappant juste. Il s'agit de celle de Evgeny
Morozov chercheur et écrivain américain d'origine
biélorusse, spécialiste des implications politiques
et sociales du progrès technologique et du numérique
.
Nous
pouvons en retenir ici deux passages:
La
Silicon Valley va au-delà de tout ce quon avait
connu auparavant en termes dimpérialisme économique.
La Silicon Valley dépasse largement ce quon
considérait auparavant comme les paragons du néolibéralisme
américain McDonalds par exemple
car elle affecte tous les secteurs de notre vie.
Cest pourquoi il faut imaginer un projet politique
qui rénove en fond notre conception de la politique
et de léconomie, un projet qui intègre
la question des infrastructures en garantissant leur indépendance
par rapport aux Etats-Unis.
Mais si je suis pessimiste quant à lavenir
de lEurope, cest moins à cause de son
impensée technologique que de labsence flagrante
desprit de rébellion qui lanime aujourdhui.
Ainsi
que
..
Il faut considérer la Silicon
Valley comme un projet politique, et laffronter en
tant que tel. Malheureusement il nexiste pas dalternative
à Google qui puisse être fabriquée par
Linux (lechampion des logiciels libres). La domination de
Google ne provient pas seulement de sa part logicielle,
mais aussi dune infrastructure qui recueille et stocke
les données, de capteurs et dautres machines
très matérielles. Une alternative ne peut
pas seulement être logicielle, elle doit aussi être
hardware.
Donc, à lexception peut-être de la Chine,
aucun Etat ne peut construire cette alternative à
Google, ça ne peut être quun ensemble
de pays.
Mais cest un défi gigantesque parce quil
comporte deux aspects :
- un aspect impérialiste : Facebook, Google,
Apple, IBM sont très liés aux intérêts
extérieurs des Etats-Unis. En son cur même,
la politique économique américaine dépend
aujourdhui de ces entreprises. Un réflexe dordre
souverainiste se heurterait frontalement à ces intérêts
et serait donc voué à léchec
car il nexiste aucun gouvernement aujourdhui
qui soit prêt à affronter les Etats-Unis ;
- un aspect philosophico-politique : on
a pris lhabitude de parler de « post-capitalisme »
en parlant de lidéologie de la Silicon Valley,
mais on devrait parler de « post-sociale-démocratie ».
Car quand on regarde comment fonctionne Uber sans
embaucher, en nassumant aucune des fonctions de protection
minimale du travailleur , quand on regarde les processus
dindividualisation des assurances de santé
où revient à la charge de lassuré
de contrôler ses paramètres de santé
, on saperçoit à quel point le
marché est seul juge.
LEtat non seulement laccepte, mais se contente
de réguler. Est complètement oubliée
la solidarité, qui est au fondement de la sociale-démocratie.
Qui sait encore que dans le prix que nous payons un taxi,
une part minime certes sert à subventionner
le transport des malvoyants ? Vous imaginez imposer
ça à Uber
.