Géopolitique.
Octobre 2015. France. Nouveau contexte politique
Jean-Paul Baquiast 05/10/2015
Il semble qu'à l'automne 2015 se dessine un nouveau
contexte politique dont ceux qui se préoccupent de
l'avenir de la France devront tenir compte. Il s'est précisé
très récemment, dans certains cas au cours
des premières semaines d'automne. Ce nouveau contexte
est double, international et national
Contexte international
Trois
faits majeurs ont été enregistrés en
2015. Ils bouleversent des rapports de force qui semblaient
être devenus définitifs du temps de la Guerre
froide.
Le premier est un recul décisif
de l'influence américaine au Moyen-Orient et en Europe.
Au Moyen-Orient, à la suite des interventions et
guerres conduites par les Etats-Unis depuis les évènements
du 11 septembre, il semblait acquis que l'influence américaine
dans la région devait se prolonger indéfiniment.
L'objectif en était double: maîtrise des ressources
pétrolières, contrôle des voies de communication
en Méditerranée orientale et en mer d'Arabie.
Le tout se faisant par l'intermédiaire de nombreux
Etats arabes soumis. Or les échecs successifs des
guerres et pressions politiques menées par les Etats-Unis
se sont traduits par ce que l'on constate aujourd'hui: une
incapacité quasi-complète de Barack Obama
et du Département d'Etat à peser sur les évènements
au sein d'une zone déchirée par le terrorisme
et les guerres résultant de leurs interventions précédentes.
On ne voit pas comment ils pourraient redevenir les maitres
d'ouvrage au Moyen-Orient.
Le second fait découle
directement du premier. La Russie, qui a joué sans
hésiter la carte chiite en maintenant contre vents
et marées sa présence dans la Syrie de Bashar
al Assad, est dorénavant au coeur de la mise en place
d'une alliance Iran-Irak chiite- Hezbollah qui lui donnera
directement ou indirectement, un rôle d'arbitrage
considérable dans les conflits entre Etats et communautés.
Israël est avec son réalisme habituel en train
de s'en rendre compte et commence à ménager
ses futures relations avec la Russie.
Depuis
quelques jours par ailleurs les frappes russes contre les
adversaires de Bashar al Assad ont eu un fort écho
dans le monde. Que la Russie puisse tarir à la source
les mouvements djihadistes menaçant non seulement
ses propres territoires mais l'Europe lui donnerait une
autorité considérable. Ce n'est pas encore
fait. Repoussée en Syrie et Irak, l'hydre Daesh se
reconstituera sûrement ailleurs, en Turquie et en
Europe notamment, où selon certaines informations
un émirat serait en train de se constituer en Scandinavie
dans l'indifférence générale. Cependant,
dans l'immédiat ces alliés indéfectibles
de l'Amérique qu'étaient l'Arabie saoudite
et les Emirats regardent vers la Russie afin de préparer
leur avenir.
Le troisième fait découle
de ce que l'Allemagne semble se révéler incapable
d'assumer seule en Europe le leadership que ses propres
ambitions et surtout les pressions américaines voulaient
lui donner. Comme l'avait expliqué fort clairement
Georges Friedman patron du think tank Stratfort, les Etats-Unis,
dans leur lutte permanente contre la Russie, devaient s'assurer
d'une domination sur l'Allemagne pour permettre ensuite
à celle-ci de dominer l'Europe pour leur compte.
Or si la domination américaine sur l'Allemagne semble
assurée pour longtemps encore, le leadership allemand
sur l'Europe semble en difficulté. Cela tient aux
erreurs dont a fait preuve Angela Merkel face à la
crise des migrants et dans l'affaire Volkswagen. Cela tient
aussi, plus en profondeur, au fait que l'Allemagne se révèle
dépourvue d'une diplomatie et de forces armées
dignes de ce nom comme d'une industrie militaire et spatiale
sérieuse. L'essentiel de ses atouts économiques
repose sur des industries mécaniques productrices
de biens de consommation dont le marché ne cessera
de se réduire Enfin, au contraire de la France, elle
ne dispose pas de territoires d'Outre-mer.
Contexte
national
Dans ce domaine le fait le plus
important est le désamour croissant que manifeste
la France dans ses relations avec l'Union européenne.
Celle-ci apparaît de plus en plus aux Français
comme ce qu'elle avait toujours été, un instrument
mis en place par l'Amérique pour s'assurer un glacis
défensif et offensif contre la Russie. Ceux qui en
France avaient depuis des années espéré
voir l'Union se constituer en Puissance autonome et indépendante
au sein de la compétition entre les grands blocs
s'aperçoivent qu'il n'en sera jamais rien. L'Union
restera semble-t-il indéfiniment dotée d'un
Parlement non représentatif, d'une Banque centrale
incapable de financer les grands investissements, d'un exécutif,
la Commission, sans moyens d'action en propre et ravagée
par des lobbies notamment non européens, d'un Conseil
des ministres incapables d'arbitrer entre intérêts
nationaux. Les nouveaux entrants, parce qu'ils crient le
plus, avec le soutien américain, couvrent de leur
voix celle des Etats fondateurs. Dans la crise dite ukrainienne
très largement provoquée par les Etats-Unis,
l'Union s'est révélée incapable de
se doter d'une diplomatie et de moyens de défense
lui permettant de disposer d'un quelconque poids, sauf anecdotique.
Or en France, deuxième
fait, en conséquence de cette impuissance européenne,
les forces politiques et économiques voulant récupérer
le droit à l'initiative et à l'intervention
sont tentées de s'affranchir de la tutelle inefficace
de l'Union pour reprendre la défense de leurs intérêts.
On parle de souverainisme. Le mot est peut-être mal
adapté, car il suggère un enfermement égoïste
dans des intérêts archaïques. En fait,
pour le moment, aucun mouvement politique européen
ne présente de programmes souverainistes crédibles.
Aucun leader charismatique n'est capable encore de chevaucher
cette vague. Mais ceci se produira certainement, y compris
en France, vu l'aggravation de l'impuissance européenne
face à ceux qui veulent détruire la société
et la civilisation européennes, au rang desquels
en premier lieu se trouvent aujourd'hui les mouvements djihadistes.
Le climat d'incertitude concernant la possibilité
pour l'Union de faire face à ces dangers est de plus
en plus ressenti en France.
Un troisième point digne
mérite d'être signalé concernant le
contexte politique français récent. Il résulte
d'une impuissance gouvernementale de plus en plus invalidante,
amplifiant celle des institutions européennes. L'impuissance
française découle d'une constitution devenue
inadaptée, face aux risques que chacun peut dorénavant
percevoir. Il s'agit notamment, pour ne citer qu'elle, de
l'incapacité à définir une politique
énergétique et protectrice de l'environnement
à la hauteur des prochains enjeux. Par conséquent
les atouts scientifiques et technologiques dont dispose
encore la France vont dépérir faute de financement,
au moment précis où ile seraient les plus
utiles, non seulement à la nation, mais à
l'Europe.
Que
demandera le peuple?
Il est
difficile de parler par avance à sa place. Nous pouvons
pour notre part suggérer que cette demande fera pression
sur les gouvernements pour qu'ils revoient entièrement
leurs politiques actuelles. Ceci en priorité dans
deux domaines, la refonte de l'Union européenne et
le développement de coopérations stratégiques
avec la Russie et les Brics.
La refonte de l'Union viserait
à transformer le statut hybride de celle-ci pour
en faire ce que nous avons appelé précédemment
une Union « fédérative ». Nous
employons ce terme pour faire une distinction entre, soit
un Etat centralisé, soit un Etat fédéral.
Un Etat centralisé impose à toutes ses composantes
des comportements définis par le gouvernement . A
l'opposé, une fédération désigne
le regroupement d'ensembles différents, les Etats
fédérés, sous la direction d'une autorité
centrale, l'Etat fédéral. Ce regroupement
a ceci de spécifique que chaque Etat fédéré
conserve des compétences propres sur lesquelles l'Etat
fédéral ne peut exercer de pouvoir. Certes
une cohérence d'ensemble finit par émerger,
mais ce n'est pas toujours le cas. Des Etats fédérés
peuvent adopter des positions susceptibles de menacer l'ensemble.
En cas de mauvais fonctionnement, l'Etat centralisé
périt par la tête, l'Etat fédéral
par une suite de sécessions.
Dans
le statut intermédiaire, pouvant intéresser
une profonde réforme de l'Union européenne,
celui que nous qualifions ici de fédéralité,
les sous-ensembles que sont les Etats nationaux conservent
une autonomie propre non limitée par des textes.
Mais leur appartenance au système global crée
les conditions nécessaires pour que s'établisse
spontanément entre eux une coopération aussi
favorable que possible à la survie de l'ensemble.
Cette coopération se fait alors sans plan préconçu
, à l'initiative d'un ou plusieurs Etats. Ceux-ci
s'efforcent ensuite de rallier à leur cause un plus
grand nombre d'Etats. Ainsi, dans une Union fédérative,
si un Etat comme la France décide d'encourager par
la fiscalité et les investissements telle activité
qu'il juge essentielle, il pourra le faire sans être
bloqué par un statut communautaire. Il essaiera par
contre de rallier à cette position le plus grand
nombre d'autres Etats, européens ou aussi non-européens.
Nous pensons par ailleurs qu'un
certain nombre d'Etats européens, dont la France,
composant l'union fédérative ainsi décrite,
voudront s'affranchir définitivement d'une tutelle
américaine devenue de plus en plus catastrophique,
afin de se rapprocher de la Russie. Comme la Russie coopère
elle-même de plus en plus avec les autres Etats du
Brics, en premier lieu la Chine, le rapprochement ne se
limiterait pas à la Russie. La France et ceux des
Etats européens qui comme elle s'entendraient pour
développer cette perspective, constitueraient ainsi
une structure dite euro-Brics dont le rôle deviendra
déterminant en ce qui concerne les équilibres
du monde. Nous avons souvent ici abordé ce thème.
Il relève malheureusement encore du vu. Il
serait impératif que de nouvelles majorités
politiques françaises s'en saisissent et finissent
par l'imposer.