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Mondes
mosaïques
Astres, villes, vivant et robots
Jean AUDOUZE , Georges CHAPOUTHIER , Denis LAMING , Pierre-Yves
OUDEYER
CNRS
Editions 22 octobre 2015
Présentation
Jean Paul Baquiast
Christophe Jacquemin
28/10/2015
Jean
Audouze est astrophysicien et directeur de recherche émérite
au CNRS. Il est aussi conseiller pour le mécénat
scientifique auprès du Président du CNRS
et président de la Commission Nationale Française pour
l'Unesco. Outre cet ouvrage, il a fait paraître deux
autres livres en 2010 : L'Univers a-t-il un sens ?
(Éditions Salvator) et Le Ciel à découvert (CNRS
Éditions).
Georges Chapouthier est neurobiologiste et philosophe, directeur
de recherche émérite au CNRS. Il est l'auteur
de nombreux livres dont les plus importants ont été
présentés sur ce site
Denis Laming est architecte
Pierre-Yves Oudeyer est spécialiste de lintelligence
artificielle et de la robotique évolutionnaire. Nous
avons également présenté sur ce site
ses ouvrages les plus importants.
Présentation par l'éditeur
Astres,
villes, vivant, robots : quatre objets détudes
apparemment profondément différents les uns
des autres. Et pourtant, les analogies sont nombreuses.
Tous ont un rapport très fort à la simplicité
la Nature, comme les hommes, choisit les procédés
les plus simples possibles , à la symétrie,
à la cohérence. Tous sont soumis à
lentropie le désordre les gagne ,
tous ont une complexité qui saccroît
selon une évolution tout à la fois darwinienne
qui conduit, par sélection, à une meilleure
adaptation et en mosaïque juxtaposition
dentités de même ordre de complexité
qui, tout en conservant une autonomie certaine, sont intégrées
dans des structures plus vastes, où le tout est supérieur
à la partie. Larchitecture des astres, des
villes, des robots, est donc éminemment semblable
à celle des systèmes les plus complexes quil
nous soit donné dappréhender : les organismes
vivants. Dire que la complexité du vivant mime celle
du monde matériel revient à constater que
le cerveau, construit sur les mêmes bases que le reste
de lUnivers, peut intégrer les lois du monde,
et ainsi créer des villes ou de lintelligence
artificielle fondées sur ces mêmes lois. Un
dialogue entre quatre disciplines en apparence étrangères
les unes aux autres, riche denseignements et propre
à susciter les questionnements et les débats.
Nous
pourrions dire, en tant qu'éditeurs du site Automates
Intelligents, que ce livre à quatre mains comble
nos voeux. Il comblera aussi, nous en sommes persuadés,
ceux de la plupart de nos lecteurs. Pourquoi ces compliments
qui a priori pourraient paraître dithyrambiques? Expliquons
nous. Ceux qui connaissent bien notre site Automates Intelligents,
pour certains souvent depuis sa création en 2000,
savent qu'initialement nous voulions combler un manque,
celui d'une littérature en français sur la
robotique et l'intelligence artificielle, le domaine dans
lequel depuis a excellé l'un des auteurs du livre,
Pierre-Yves Oudeyer.
Mais très vite nous nous sommes aperçus que
nous ne pouvions pas séparer de ce premier thème
les questions relatives à la biologie, au cerveau
et à la conscience, dans lesquelles Georges Chapouthier
à toujours été un des spécialistes
reconnus. Très rapidement par ailleurs, nous avions
constaté que pour diverses raisons, bien exposées
dans Mondes Mosaïques par Jean Audouze, les travaux
relatifs à la cosmologie et à l'univers devaient
être également abordés. Comment par
exemple parler de la vie sans évoquer la question
de son apparition sur des planètes semblables à
la nôtre?
Enfin,
ces diverses sciences nous avaient conduits à découvrir
l'architecte Denis Laming, père du Futuroscope de
Poitiers. Or dans le même temps, nous avions entrepris
d'étudier dans notre second site consacré
à la géopolitique, Europe-solidaire,
l'importance croissante de la Chine comme membre du Brics,
et ses ambitions en termes d'infrastructures et de voies
de communication. Nous y avions retrouvé Denis Laming
comme l'un des membres influents de « Groupe
de Shenzhen » qui réunit des personnalités
européennes et chinoises intéressées
par le thème de l'innovation, notamment architecturale.
Or, comme Denis Laming l'expose dans le livre, comment ne
pas rapprocher ce type d'innovation de celles observées
plus généralement dans l'univers.
Ceci
dit, parmi la petite centaine d'ouvrages consacrés
à telle ou telle question scientifique et dont nous
faisions la critique, pratiquement aucun des auteurs ne
se hasardait, sauf pour certains par des propos philosophiques
très généraux, à sortir de sa
discipline pour examiner les rapports qu'elle pouvait avoir
avec toutes les autres. A plus forte raison, aucun de ces
auteurs, tels que les auteurs du petit millier d'articles
que nous avions commenté, ne se proposait véritablement
d'analyser des structures profondes permettant de penser
que ce que l'on considère par commodité être
des sciences différentes, ne l'étaient pas
en profondeur.
Aucun ne s'efforçait de rechercher les lois fondamentales
de l'univers, pour reprendre un terme emprunté à
la cosmologie, permettant d'attribuer des logiques et même
des origines communes aux différents processus naturels
ou sociétaux étudiés par chacune des
sciences dans son domaine propre.
Pour
être plus précis, si les roboticiens s'inspirent
évidemment de la biologie et des neurosciences pour
concevoir des artefacts de plus en plus efficaces
pouvant peut-être prochainement concurrencer l'homme
- si les biologistes évoquent nécessairement
les origines de la vie dans l'univers et donc l'origine
et la fin de l'univers lui-même, peu d'entre eux,
tout au moins en France, se hasarde à sortir des
rapprochements entre deux domaines pour étendre la
démarche à la cosmologie et à l'architecture,
comme le font les auteurs du livre. L'inverse est également
rare.
De ce
fait ces scientifiques et ceux qui étudient leurs
travaux perdent l'opportunité de tenter de définir
des lois fondamentales, pour reprendre le terme, pouvant
permettre de rattacher ces quatre domaines les uns aux autres
et plus systématiquement de rapprocher les différentes
sciences en vue d'élaborer une vision de l'univers,
certes hypothétique, mais globale.
Or une telle vision, aussi fragmentée qu'elle soit
encore, est de plus en plus nécessaire, aux yeux
tout au moins du matérialisme (du naturalisme pour
reprendre le terme anglais) inséparable de la démarche
scientifique. Aujourd'hui se développent partout,
à côté des pseudo-sciences qui ont toujours
existé, des croyances religieuses niant l'essentiel
des acquis de la science. Ceci n'est sans doute pas le cas
en Chine comme le confirmera sans doute Demis Laming, mais
dans la quasi totalité du monde musulman et dans
une partie du monde chrétien, notamment chez les
évangélistes américains 1) .
Une
construction en mosaïque
Or c'est
bien la gageure à laquelle les quatre auteurs de
Mondes Mosaïques se sont attachés. En lisant
la table des matières, l'on pourrait penser qu'ils
ont rédigé quatre parties différentes
d'un même ouvrage, s'appuyant sur des connaissances
différentes, et réunies par facilité
de lecture dans un livre unique, de la même façon
que les anciennes encyclopédies scientifiques juxtaposaient
des articles différents sans chercher à établir
des passerelles entre elles.
Or
ce n'est pas le cas. Les quatre auteurs, s'inspirant de
l'image de la mosaïque initialement proposée
par Georges Chapouthier, montrent qu'une logique évolutionnaire
commune réunit les produits de la robotique, ceux
du cosmos, ceux de la vie et dans un domaine qui paraît
plus limité mais qui ne l'est pas, celui de la construction
des grands espaces urbains 2).
(Mosaïque.
Tigre s'abreuvant, par Anne Bedel)
La difficulté de l'entreprise venait du fait que
si chacun des auteurs pouvait échanger des propos
communs sur la construction en mosaïque des structures
de la nature et de la société, il leur fallait
cependant commencer par le début, c'est-à-dire
rappeler au lecteur l'histoire et les grands acquis des
diverses sciences dont ils se faisaient les représentants.
Pour cela, chacun devait résumer en quelques dizaines
de pages des connaissances pouvant faire l'objet, même
à titre de vulgarisation, d'ouvrages de plusieurs
centaines de pages, le tout en restant lisibles par le plus
grand nombre.
Dans l'ensemble, nous dirons qu'ils y ont réussi,
en précisant cependant que le livre, très
synthétique et comportant de nombreuses notes de
référence aux contenus inabordables dans un
ouvrage papier, découragera beaucoup de lecteurs
habitués à plus de facilité.
Ceux
qui s'y retrouveront le mieux, répétons-le,
seront ceux qui, comme nos propres lecteurs, ont pris l'habitude
de voyages transversaux à travers des sciences apparemment
très loin les unes des autres. Mais avec un peu d'attention,
un public déjà habitué aux approches
de la systémique et de la complexité s'y retrouvera.
Pour
cela, les connaissances scientifiques rappelées,
souvent avec un regard critique, par chacun des auteurs,
présentent un panorama très exhaustif de ce
qu'il faudrait connaître à propos de l'histoire,
des acquis et des perspectives de chacune des sciences évoquées.
Il en est de même des relations qu'elles peuvent avoir
entre elles, jusqu'à composer une véritable
image du monde.
Les
jeunes étudiants, en sciences et aussi en lettres,
dont on peut espérer qu'ils n'ont pas dès
le début renoncé pour raisons alimentaires
à toute problématique un peu transdisciplinaire
ou plutôt supradisciplinaire, devraient en tous cas
trouver dans le livre, au contact des esprits distingués
qui l'ont écrit, matière à penser et
à découvrir.
La suite
de leur carrière devrait s'en trouver enrichie considérablement,
dans un monde où ne survivront que ceux capables
de sortir des habitudes de penser actuelles pour tenter
de s'attaquer aux innombrables problèmes nouveaux
générés par l'évolution, peut-être
catastrophique si rien n'est fait, d'une planète
en proie à de désastreuses luttes d'intérêts.
Notes
1) J'ai personnellement hier même fait l'expérience
en prêtant Mondes Mosaïques à un informaticien
musulman de ma connaissance, bon professionnel. Celui ci
se dit « très pieux » et « fait
la prière 5 fois par jour ». Le livre
à peine ouvert il me l'a rendu au prétexte
que « le Prophète n'avait jamais dit de
telles choses ». Manifestement, il tenait pour
vérité inébranlable ce qu'il croyait
savoir des paroles du Prophète. JPB.
2) Une mosaïque est composée de fragments de
pierre colorées, d'émail, de verre, de pierre
ou de céramique, assemblés pour former des
motifs ou des figures. Quel que soit le matériau
utilisé, ces fragments sont appelés des tesselles.
Les tesselles, elles-mêmes un peu différentes
les unes des autres, sont assemblées pour produire
des figures différentes. Celles-ci peuvent être
regroupées en motifs plus généraux,
de plus en plus nombreux et complexes si l'artiste le souhaite,
jusqu'à composer de véritables univers virtuels,
comme dans l'art antique ou byzantin.