Technologies
et politiques. Les grands du web en Chine
Jean-Paul
Baquiast 19/09/2015
On pense
souvent que la Chine ne dispose pas de multinationales du
web analogues à celles qui, à partir des Etats-Unis,
inondent le monde entier: Google, Facebook, Twitter, Amazon
et autres. Ceux qui connaissent un peu la Chine savent que
ce n'est pas le cas.
La principale
différence avec les Etats-Unis tient au fait que
les géants chinois du web n'ont pas encore de prétentions
à l'universalité. La volonté du pays
de résister aux intrusions américaines se
traduit par le fait que créer un réseau dit
social en Chine est réglementé. Les internautes
peuvent, sous réserve qu'ils ne s'adressent pas à
des sites étrangers jugés susceptibles de
compromettre la sécurité nationale, accéder
à toutes les données disponibles sur le web
international. Par contre, aucun d'eux ne peut créer
sans autorisation un réseau social s'adressant aux
utilisateurs chinois, non plus d'ailleurs qu'aux internautes
extérieurs
En conséquence,
les multinationales américaines, quand elles opèrent
à partir du territoire chinois avec l'ambition de
s'adresser à une clientèle chinoise, sous
soumises à de multiples restrictions. Ainsi le New
York Times vient de révéler que les entreprises
américaines implantées en Chine avaient
récemment reçu un document émanant
du pouvoir chinois, leur demandant de s'engager à
ce que les données personnelles des utilisateurs
soient stockées en Chine, et que leur activité
ne compromettent pas la sécurité nationale.
De même, tous les thèmes et sujets jugés
impropres sont censurés. Si bien que Google, par
exemple, en forme de protestation, avait en 2010 décidé
de quitter le pays. Il négocierait actuellement son
retour, contre l'engagement de respecter les consignes de
censure du pouvoir. Rappelons cependant que les hackers,
en Chine comme partout ailleurs, trouvent relativement facilement
moyen d'échapper aux contrôles.
Ces
restrictions à l'égard des multinationales
américaines, dont on sait en Europe, sans s'en offusquer,
qu'elles travaillent main dans la main avec les centrales
de renseignement et d'espionnage américaines, paraissent
tout à fait légitimes. Il ne faut pas oublier
en effet que le gouvernement fédéral, et Obama
lui-même, avaient récemment déclaré
que la Russie et la Chine représentaient pour les
Etats-Unis les menaces les plus grandes existant actuellement,
au même titre, si notre mémoire est bonne,
que les dérèglements climatiques en train
de détruire le patrimoine forestier de divers états
de l'Union.
Cependant,
les autorités de Pékin et des provinces encouragent
dorénavant la création et l'activité
de sites chinois, dès lors qu'ils respectent une
charte définie par le pouvoir. Compte tenu du fait
que le pays est riche de 668 millions d'internautes les
opérateurs chinois trouvent dans la taille de leur
marché domestique suffisamment de ressources pour
prospérer, sans avoir besoin de s'internationaliser.
Dans ces perspectives, ils offrent tout ce que l'on trouve
en Occident: accès aux bases d'informations disponibles
sur le web, services interactifs d'échange qualifiés
ailleurs de réseaux sociaux, services d'achat et
ventes en ligne.
Remarquons
cependant que les messages des internautes sont souvent
censurés et effacés d'office. De même,
on peut le supposer, ils font l'objet d'un espionnage fréquent.
Néanmoins, les autorités laissent de plus
en plus s'exprimer par centaines des messages d'indignation,
comme c'est le cas lors des accidents industriels fréquents.
Les
réservoirs de croissance sont très importants.
Le taux de pénétration d'internet n'est que
de 50% environ, contre dorénavant par exemple plus
de 80% en France. Les sites ne travaillent pas seulement
en chinois, langue dont la complexité les met à
l'abri des intrusions malveillantes externes, mais de plus
en plus en anglais. Ils visent ce faisant, évidemment,
non seulement les anglophones en Chine, mais tous les anglophones
du monde. Citons par exemple le site d'information en ligne
destiné en principe aux Européens, et que
nous consultons nous mêmes souvent
http://www.chinadaily.com.cn/
Les
géants chinois dits BAT
Trois
grands du web, Baidu (www.baidu.com/
), principal moteur de recherche, analogue à
Google, Alibaba (www.alibaba.com)
et Tencent (www.tencent.com/
) contrôlent ou possèderaient des participations
dans tous les autres opérateurs du web chinois. Ils
sont bien connus en Occident, où ils lèvent
régulièrement des fonds. Ce sont également
des géants de la vente en ligne, notamment de produits
fabriqués en Chine.
Est-ce
à dire que ces trois grands, surnommés BAT,
ont les ambitions considérables et parfois inquiétantes
des Google et Facebook. Nous avons ici consacré plusieurs
articles, notamment, à celles de Google. Celui-ci,
poussé par le visionnaire Ray Kurzweil, se propose
de devenir le cerveau global dont le monde sera pourvu dans
une vingtaine d'années. Pour cela, il a racheté
presque toutes les entreprises américaines s'intéressant
à l'intelligence artificielle avancée et à
la robotique évolutionnaire. Comme rappelé
ci-dessus, ses liens avec la National Security Agency (NSA)
américaine, en font l'un des agents les plus actifs
et les plus ambitieux grâce auxquels l'Empire américain
s'efforce actuellement de dominer le monde.
Le bloc
des Brics (Brésil, Russie, Inde et Chine), qui de
son côté tente de s'opposer au bloc américano-occidental,
ne pourra pas compter avant de longues années, si
jamais il y parvient, à disposer avec ses propres
géants du web de quoi faire pièce à
ses adversaires. D'une part, les entreprises du web chinoises,
russes et indiennes ne s'entendent pas nécessairement
pour collaborer. D'autre part les différences linguistiques
les sépareront longtemps, malgré les progrès
de la traduction automatique. Enfin et surtout, elles auront
le plus grand mal, à supposer qu'elles y arrivent,
à se doter des outils d'intelligence artificielle,
de robotique et de réseaux intelligents dont disposent
depuis longtemps leurs adversaires américaines.
Inutile
d'ajouter, et en tant qu'Européens nous ne voyons
pas là quoi nous réjouir, que dans la lutte
de géants désormais en cours, l'Europe ne
pèsera pas plus qu'une télévision locale
ne le fait dans le monde de la télévision
numérique globale. Indéfiniment sans doute,
nous confierons nos données commerciales et personnelles
aux Google et à ses semblables, ceux-ci en tireront
indéfiniment des milliards annuels de profit dont
nous n'aurons jamais la moindre retombée. Ce qui
ne nous empêchera pas de dire à tout instant:
"Merci Google"
Message
d'un correspondant opérant sur le marché chinois.
Merci à lui.
Cet
article sur le Web Chinois est conforme à ce que
j'en connais.
On pourrait
y ajouter le fait qu'une alternative logicielle complète
est en cours de constitution en Chine:
- UCWeb (https://en.wikipedia.org/wiki/UCWeb)
est le navigateur No 1 (inconnu ici)
- Kingdee domine le marché de la gestion (avec Yunyoo)
- WPS offre une alternative à MS Office
Le montant
des cessions de startup en Chine sont similaires à
ceux en Californie. Un guide de restaurant en ligne chinois
a été revendu de l'ordre du milliard d'euros
à l'un des BAT.
Un petit
fonds d'investissement peut investir 100 MUSD dans un operating
system HTML5.
http://www.frandroid.com/culture-tech/os/firefox-os/296899_h5os-nouveau-systeme-dexploitation-mobile-anciens-de-mozilla
Pour
un étranger, la seule porte d'entrée simple
est à mon sens la Shanghai Free Trade Zone. Il est
possible avec un peu d'effort d'obtenir les licences nécessaires
pour lancer un service de e-commerce. Certains services
sont cependant exclus pour les étrangers. Voir le
case study de The Economist:
http://www.economistinsights.com/countries-trade-investment/analysis/guangdong-free-trade-zone-hong-kong-law-firm-eyes-first-mover/casestudies
Pour
les services interdits aux étrangers, la solution
est le partenariat. C'est de cette façon que nous
avons lancé en Chine un service qui permet de "faire
fonctionner Internet" malgré les grandes difficultés
liées à une mauvaise régulation des
opérateurs chinois de télécommunication.
Si tout le monde sait que l'accès depuis la Chine
à un site Web étranger est aléatoire,
peu de gens savent qu'il en est de même à l'intérieur
de la Chine. Il est donc très difficile pour une
PME d'accéder à son ERP ou à son Intranet
par l'Internet chinois. C'est ce problème que nous
avons résolu (mais uniquememt pour les entreprises,
pas pour les particuliers) et nous avons obtenu via notre
partenaire une licence du gouvernement.
http://www.grandenet.cn/
La licence
ICP 14040851 correspond à la notion de "responsable
de publication". Elle sert à savoir t qui est
reponsable d'un contenu sur le Web chinois et à couper
un site si le responsable n'obtempère pas à
une demande de censure.
La licence
A1-20140091 est une licence de type opérateur de
télécommunication qui autorise à fournir
à des entreprises de services de type VPN pour permettre
d'accéder hors de Chine à des serveurs en
Chine ou d'accéder en Chine à des serveurs
hors de Chine, sans censure.
Il existe
à ma connaissance une dizaine de licences de ce type
qui servent à contrôler tous les aspects des
services Internet en Chine. Il n'est pas impossible à
un étranger d'exploiter un service, mais les conditions
sont in fine très différentes de celles d'un
service hors de Chine.