Géopolitiques
Plateforme de connectivité
Les
Chinois plus européistes que
les Européens
Jean-Paul
Baquiast 04/08/2015
Par
européisme, entendons la volonté
de rassembler les européens dans
une structure puissante et indépendante.
Les Américains sous cet angle
ne sont en rien des européistes.
De plus en plus d'européens eux-mêmes
se détournent de cette option
pour en revenir à des préférences
nationales. Or la Chine affirme au contraire
vouloir participer à la construction
d'une Europe européiste.
Ce n'est évidemment pas par altruisme
qu'elle agit ainsi, mais parce que son
intérêt, pense-t-elle,
est de se confronter avec une Europe
puissance capable d'équilibrer
sa propre puissance, et de dialoguer
avec elle d'égale à égale,
en conjuguant les efforts pour la mise
en place de grands projets ambitieux.
Mieux vaut négocier avec un interlocuteur
unique et suffisamment sûr de
lui pour ne pas entretenir de réflexes
de peur, que s'épuiser à
tenter de convaincre 27 Etats faibles,
opposés les uns aux autres et
nourrissant face à la Chine des
réactions de repli.
Nous
avions déjà observé,
en commentant le programme chinois de
Nouvelle Route de la Soie, que les autorités
chinoises le présentent, non
comme un instrument de conquête,
jouant des oppositions entre Etats traversés,
que comme un lien permettant de rapprocher
ceux-ci entre eux tout autant qu'avec
la Chine, y compris dans le cas de frères
ennemis comme le Pakistan et l'Inde.
Ce rapprochement est d'ailleurs nécessaire
à la bonne mise en place de cette
Route de la Soie. Peut-on construire
des liaisons maritimes et terrestres
entre pays qui se font la guerre. De
plus, si l'on en croit les Chinois,
cette Route jouera dans les deux sens.
Autrement dit, elle facilitera certes
les exportations et influences chinoises,
mais elle devrait réciproquement
faciliter l'introduction en Chine de
produits et techniques provenant des
pays traversés. L'industrie allemande
semble d'ailleurs l'avoir parfaitement
compris.
Plus
récemment, la Chine avait créé
la surprise en ouvrant la récente
Banque asiatique pour le financement
des infrastructures (AIIB) aux capitaux
de tous les centres financiers mondiaux
qui souhaitaient y participer. Les banques
européennes avaient d'ailleurs
compris que leur intérêt
était là. Au grand déplaisir
de Washington, elles se sont empressées
de postuler à la codirection
de l'AIIB. Les sommes disponibles actuellement
restent modestes au regard des trillions
de dollars nécessaires à
la mise en oeuvre de tous les projets
envisagés pour cette Route de
la Soie, mais elles grandiront nécessairement
au fur et à mesure que ces projets
se révéleront profitables
à l'ensemble des partenaires.
Une
« Plateforme de connectivité
»
Sans
attendre, la Chine a décidé
d'élargir encore sa démarche,
en proposant aux autorités européennes
de participer à la mise en place
d'une « Plateforme de connectivité
» qui rassemblera tous les partenaires
autour de programmes partagés,
non seulement dans le seul domaine des
transports, mais dans la réalisation
de vaste ambitions communes. Mais pour
cela, conformément à sa
démarche « européiste
», elle a dès le départ
choisi de s'adresser aux autorités
européennes, Commission européenne,
conseil des ministres européens
et Banque centrale européenne.
On ne voit pas d'ailleurs comment elle
aurait pu procéder autrement.
Curieusement,
pour ceux qui ne voyaient dans ces institutions
qu'une « troïka » juste
bonne à sanctionner les écarts
des Etats à une rigueur budgétaire
stérilisante, la réponse
des Européens a été
très positive. Des négociations
s'étaient tenu dans une relative
confidentialité, mais leur résultat
vient d'être annoncé, tant
à Bruxelles qu'à Pékin.
Nous renvoyons les lecteurs à
ce que seront les fondements et les
objectifs de cette Plateforme de connectivité,
telle que présentés par
le Conseil européen lui même,
fin juin, à la suite d'un sommet
Union européenne-Chine qui vient
de se terminer. La Commission comme
le Conseil européen considèrent
manifestement que le cadre de cette
Plateforme de connectivité permettra
au mieux de préciser les projets
d'investissement encore vagues qu'ils
avaient envisagés, notamment
ceux concernant les 300 milliards d'euros
évoqués par le plan dit
Juncker. La déclaration finale
convient de réunir le plus vite
possible un Sommet pour cette Plateforme.
Nous en reparlerons nécessairement
ici.
Dans
l'immédiat, nous pouvons faire
deux observations. La première
est que la Plateforme sera nécessairement
considérée aux Etats-Unis
comme une gifle infligée à
Obama. Celui-ci, comme le département
d'Etat et le lobby militaro-industriel,
ont entrepris de traiter la Chine comme,
après la Russie, le second ennemi
héréditaire de l'Amérique.
C'est dans la zone pacifique que les
efforts pour contenir la Chine sont
les plus évidents, mais, avec
la Plateforme, un nouveau front anti-chinois
s'imposera nécessairement aux
stratèges américains à
leur Est, dans cette Europe qu'ils avaient
de bonnes raisons de considérer
comme un ensemble de colonies dominées
par eux. On peut d'ailleurs se demander
ce qu'il adviendra des négociations
pour le Traité transatlantique
dit TTIP. Si celles-ci doivent faire
une place à la Chine, elles n'aboutiront
jamais. Les adversaires du TTIP en Europe
s'en réjouiront.
La
deuxième remarque concerne la
place future de la Russie dans ces projets
de Plateforme. Géographiquement
et économiquement, la Russie
devrait en être un partenaire
significatif. La Chine est, comme la
Russie, membre du Brics. Les nécessaires
coopération entre l'Europe et
le Brics (euroBrics) que nous considérons
ici comme indispensables à l'avenir
de l'Europe, avaient jusqu'ici piétiné
du fait de la soumission scandaleuse
des Européens aux « sanctions
» imposées par les Etats-Unis
à la Russie. On peut penser que
les intérêts économiques
et politiques européens, souffrant
gravement de ces sanctions décidées
à Washington, saisiront l'occasion
de la Plateforme pour participer à
des projets communs intéressant,
non seulement la Chine, mais inévitablement
la Russie, alliée de la Chine.
Ce sera une excellente chose.
Sources
EU-China
Summit - Council of the European Union
Joint statement
*
Voir aussi deux article de Friends of
Europe et de EUobserver
http://www.friendsofeurope.org/global-europe/eu-china-connectivity-thinking-big-acting-small/
https://euobserver.com/opinion/129415
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