Article.
L'influence
du microbiome sur les comportements
Jean-Paul Baquiast 02/08/2015
1.
Comment le microbiome nous impose certains
comportements contraires à notre
intérêt
On
appelle microbiome les populations de
bactéries qui vivent principalement
dans le tube gastro-intestinal d'un
humain ou d'un animal doté d'un
tel organe. Les individus composant
ces populations seraient chez l'homme
dix fois plus nombreuses que les cellules
composant l'organisme humain. Elles
sont très différentes
les unes des autres mais hautement organisées
collectivement. Il a été
dit qu'elles se comportaient comme le
font les cellules du corps, en collaborant
pour optimiser la survie de celui-ci.

Le
microbiome peut donc être considéré
comme un organisme à lui seul,
vivant à l'intérieur du
corps. Mais il n'est pas nécesairement
optimisé pour assurer les meilleurs
choix de survie pour l'individu lui-même.
Les bactéries du microbiome sont
optimisées pour assurer la survie
du microbiome lui-même, ou d'une
majorité des populations de bactéries
composant celui-ci. Cete organisation
résulte de la compétition
darwinienne entre population de bactéries,
sélectionnant les plus aptes
à survivre au sein du microbiome.
Elle s'adapte donc le mieux possible
aux variations du milieu extérieur.
Il va de soi que la connaissance que
peuvent avoir les biologistes du microbiome
restent très superficielles,
faute d'instruments permettant d'expérimenter
en permanence au sein d'un tube intestinal.
Par contre, des prélèvements
de flore bactérienne permettent
d'étudier in vitro les comportements
des bactéries concernées,
de façon il est vrai encore très
partielle.
Très récemment, par ailleurs,
des modèles informatiques permettent
de simuler certains des comportements
de ces bactéries, tant au niveau
des populations qu'à celui éventuellement
de micro-organismes individuels. Ces
bactéries sont des cellules eucaryotes
très complexes, pouvant être
considérées à elles
seules comme de petits organismes dotés
de l'équivalent des différents
organes nécessaires à
leur survie, organes liées à
l'alimentation-sécrétion,
organes de type sensoriel, organes permettant
la mobilité. Certains microbiologistes
évoquent même, en considérant
les échanges chimiques entre
les différents composants de
la cellule, le terme d'un primitif système
nerveux.
Au niveau des populations bactériennes
constituant le microbiome, par contre,
il est beaucoup plus facile d'identifier
les fonctions globales nécessaires
à l'optimisation de la survie
de celui-ci. Il est également
possible de commencer à identifier
les populations bactériennes
différentes ou les modes d'organisation
collective jouant le rôle des
différents organes nécessaires
à la survie d'un organisme supérieur:
fonctions digestives, fonctions de type
sensori-moteurs et finalement fonctions
équivalentes à celles
assurées par un système
nerveux « intelligent »
.
Or jusqu'ici, le petit organisme constitué
du microbiome était considéré
comme fonctionnant au profit du grand
organisme. Autrement dit, il ne lui
dictait pas de comportements nuisibles
sauf du moins avant la mort dudit
grand organisme. A ce moment, celui-ci
se défait, le microbiome lui-même
se désorganise et chaque population
de bactérie reprend son individualité.
Des études récentes ont
cependant montré que les microbes
peuplant l'appareil gastro-intestinal
d'un humain en bonne santé pouvaient
manipuler son comportement, notamment
dans le domaine alimentaire, en lui
imposant des stratégies qui ne
sont pas nécessairement compatibles
avec les meilleurs choix de santé
pour l'humain.
Elles
développent pour ce faire deux
stratégies complémentaires.
La première provoque l'appétence
de l'hôte pour des aliments favorables
à leur propre développement
ou défavorables à celui
de populations bactériennes avec
lesquelles les premières sont
en compétition. La seconde induit
des états de malaise ou de dépression
quasi pathologiques, selon les normes
employées en matière de
santé mentale. Ces états
durent tant que l'hôte ne consomme
pas les aliments nécessaires
à la survie des bactéries
générant de tels malaises.
Ces deux stratégies peuvent induire
chez l'hôte des comportements
alimentaires incompatibles avec le maintien
d'une bonne santé, par exemple
la surconsommation de graisses.
Comment procède le microbiome
pour commander ainsi le comportement
de l'organisme entier? Il dispose de
différents outils pour ce faire,
notamment la production de toxines qui
influencent les impressions de faim
ou de satiété ou qui altèrent
le sens du goût. Elles s'attaquent
ainsi directement aux récepteurs
du goût, et indirectement au
« nerf vague »
qui relie l'intestin au cerveau.
Ces découvertes permettent de
mettre au point des prébiotiques
et antibiotiques permettant de lutter
contre des bactéries identifiées
comme nuisibles. De même, des
transplants fécaux ou plus simplement
des changements déterminés
de régime imposé par le
cerveau, lui-même assisté
de bons conseils médicaux, limitent
l'influence des bactéries « égoïstes ».
Mais l'on conçoit qu'il faut
être prudent dans l'utilisation
de tels remèdes, afin de ne pas
détruire le microbiome tout entier,
dont personne ne nie le rôle irremplaçable..
Plus généralement, la
science en sait encore très peu
concernant les relations complexes entre
le microbiome et l'organisme. On considère
généralement qu'il joue
un rôle très important
dans la production d'états physiologiques
ou même mentaux aidant l'organisme
à faire face aux difficultés
rencontrées. Joue-t-il un rôle
dans des comportements non strictement
alimentaires, par exemple les addictions
à l'alcool ou autres produits
toxiques? Détermine-t-il des
réactions dans d'autres domaines
positifs ou nuisibles à l'égard
de l'adaptation de l'organisme, et pas
conséquent au maintien en bon
état du microbiome lui-même.
On serait tenté de répondre
par l'affirmative, mais ceci restera
à démontrer en détail.
Source
Online LibraryWiley ler août D014
Is eating behavior manipulated by
the gastrointestinal microbiota? Evolutionary
pressures and potential mechanisms
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/bies.201400071/full
2.
Modèle robotique simulant les
« cerveaux » bactériens.
Nous avons ci-dessus évoqué
les simulations par l'informatique et
l'intelligence artificielle du microbiome
et de ses relations avec l'organisme.
Une recherche menée par Warren
Ruder, Assistant
Professor of Biological Systems Engineering,
Virginia Tech et dont les résultats
viennent d'être publiés,
fournit des précisions a cet
égard.

Image
Computational Simulation of microbiome-host
interactions
. (A) A basic gene circuit forms the
core of all simulated gene network behavior.
(B) Green fluorescent protein (GFP,
shown as a green dot) from this circuit
is conceptualized to be detected by
an onboard miniature, epifluorescent
microscope (EFM). (C) A computational
simulation of microbiome GFP production
based upon an analytical model for the
circuit in (A). In a built system, this
protein fluorescence signal would be
the light detected by the EFM. (D) The
conceptualized robot uses onboard electronics
to convert the measured light signals
into electrical (voltage) signals. (E)
Voltage signals meeting specific criteria
activate pre-programmed robot motion
subroutines. (F) The resulting emergent
behavior potentially leads a robot to
a carbon fuel depot. Here, robot behavior
resulting from a simulation of the circuit
in (A) is shown. The robot was programmed
with motion subroutines that activate
to seek arabinose (synthesized from
glucose, orange square) depots following
receipt of lactose (cyan triangles).
(credit: Keith C. Heyde & Warren
C. Ruder/Scientific Reports)
L'étude
s'est inspirée d'expériences
sur la mouche du vinaigre et sur des
souris montrant comment l'introduction
de bactéries pouvait modifier
leur comportements. La simulation informatique
a reposé sur la création
d'un robot virtuel conçu pour
être analogue à une bactérie,
comportant des circuits artificiels
génétiques modifiés,
des senseurs et des actuateurs commandant
le mouvement. Le robot-bactérie
était conçu pour identifier
des niveaux d'expression de gènes
d'un E.Coli en utilisant un minuscule
microscope pouvant réagir à
la couleur, rouge ou verte, émise
par la bactérie en fonction des
aliments absorbés.
Le comportement du robot-bactérie
dans le modèle, face à
un aliment énergétique,
est apparu semblable à celui
d'un prédateur de grande taille
(tiger like), selon le terme
des chercheurs, approchant une proie.
Ces premières études faisant
appel à la biologie synthétique
et à la robotique pourront être
étendues. En agriculture, on
pourra explorer les relations entre
les bactéries du sol et le bétail.
Dans le domaine de la santé,
une meilleure compréhension du
rôle de la physiologie intestinale
pourra conduire à des prescriptions
à base de bactéries (probiotiques)
destinées à traiter différentes
affections physiques et mentales. Le
thème a été évoqué
dans la première partie de cet
article. Dans le domaine de la pollution,
des robots spécialement conçus
pourront disperser des bactéries
susceptibles de lutter contre les effets
négatifs de certains produits
industriels répandus dans l'environnement.
Abstract
of Exploring Host-Microbiome Interactions
using an in Silico Model of Biomimetic
Robots and Engineered Living Cells
The microbiomes underlying
dynamics play an important role in regulating
the behavior and health of its host.
In order to explore the details of these
interactions, we created anin silico model
of a living microbiome, engineered with
synthetic biology, that interfaces with
a biomimetic, robotic host. By analytically
modeling and computationally simulating
engineered gene networks in these commensal
communities, we reproduced complex behaviors
in the host. We observed that robot
movements depended upon programmed biochemical
network dynamics within the microbiome.
These results illustrate the models
potential utility as a tool for exploring
inter-kingdom ecological relationships.
These systems could impact fields ranging
from synthetic biology and ecology to
biophysics and medicine.
Reférence
Exploring Host-Microbiome Interactions
using an in Silico Model of Biomimetic
Robots and Engineered Living Cells
http://www.nature.com/srep/2015/150716/srep11988/full/srep11988.html
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