Finances.
Crise grecque et Obligations à durée indéterminée
ODI
Petit
rappel historique: l'interminable crise grecque est née
fin 2009 d'un défaut patent de solidarité
des Etats de la zone "euro", défaut aggravé
par le président de la BCE de l'époque, à
savoir M. Jean-Claude Trichet, qui aurait pu, s'il en avait
simplement eu l'idée , garantir d'un simple coup
de fil auprès des marchés financiers les emprunts
d' Etat grecs violemment attaqués à l'époque
par les spéculateurs et ainsi stopper dans l'oeuf
la crise.
Ensuite, entre 2010 et 2012, une solution provisoire était
quand même trouvée, consistant à "revendre"
la dette privée grecque détenue par les banques
commerciales internationales (notamment françaises)
à trois grands organismes publics internationaux
(BCE, FMI, Fonds européen de stabilité financière,
surnommés ensemble la Troïka)), qui ont ainsi
remboursé aux banques la majorité de leurs
créances, tout en spoliant les autres investisseurs
privés, notamment fonds de placement collectifs (i.e.
particuliers et entreprises), à hauteur de 100 milliards
d'euros au total; en contrepartie, les pouvoirs publics
grecs étaient contraints de prendre des mesures d'austérité
inacceptables pour la population, qui ont abouti à
l' arrivée au pouvoir du parti de gauche Syriza en
janvier 2015.
Début
juillet 2015, le "non" au référendum
l'emportait à une large majorité à
Athènes, "non" aux nouvelles mesures d'austérité
imposées par une "Troïka" technocratique
et insensible, mais qui, forte de son pouvoir sur l'argent
mondial, a finalement obligé M. Tsipras à
accepter en tant que chef d'Etat "raisonnable"
ce que son peuple avait collectivement rejeté par
les urnes.
Début
août, les choses semblent un peu se calmer, via un
"mix" de d'acceptation de cette nouvelle potion
amère par l'Etat grec, et d'"eau dans le vin"
de la part des comptables qui dirigent aujourd'hui le monde;
mais tout cela reste aussi provisoire que fragile...Rien
ne garantit cependant que la Grèce pourra respecter
ses engagements
A propos
de cette crise, rappelons que l'on exigeait dernièrement
de la Grèce, en cas de "désobéissance"
aux dirigeants du monde, c'était le si elle n'était
pas soumise, le remboursement sur juin/juillet d'un prêt
du FMI, pour 1.6 milliard €, et d'un prêt de
la BCE, pour 3.5 milliard €, soit un peu plus de 5
milliards au total; rapporté à notre pays,
c'est comme si l'on demandait à l'Etat français,
sur la même période, un remboursement sur ses
propres deniers de 30 milliards €, chose qu'il est
à l'évidence incapable de faire, car cela
fait maintenant 40 ans que la France est en situation de
cessation de paiement, creusant d'année en année
une dette publique qui dépasse aujourd'hui les 2000
milliards €, et qui grossit annuellement de 80 milliards;
cette dette n'est de fait jamais remboursée, elle
est juste reportée grâce à de nouvelles
émissions obligataires continuelles qui servent à
payer les emprunts arrivant à échéance,
et aussi à financer en plus un déficit budgétaire
désormais quarantenaire et définitivement
structurel.
Pour
la défense de nos voisins hellènes, il importe
de souligner que le budget grec est en "excédent
primaire", c'est-à-dire que, hors frais d'intérêt
de la dette, les recettes excèdent les dépenses;
a contrario, il n'en va pas de même du budget français,
qui reste en déficit même abstraction faite
du service de la dette : nous n'avons donc aucune leçon
de morale à donner à nos amis grecs, loin
s'en faut, car si l'on imposait aux français ne serait-ce
que le dixième de ce qui a été imposé
aux grecs, il y a longtemps que le palais de l'Elysée
aurait brûlé!
En pratique,
souhaitons par optimisme que cette crise grecque ouvre les
yeux de tous nos concitoyens européens, pour qu'ils
comprennent que cette question de dette n'est pas un simple
problème grec, le problème d'un Etat présenté
à tort comme "voyou", mais qu'il est commun
à la plupart des pays de la zone "euro",
voire à la plupart des pays occidentaux; appelons
donc un chat un chat, et reconnaissons qu'à un niveau
moyen proche de 100% du PIB, la dette publique ne sera jamais
remboursée par aucun de nos pays pourtant dits "politiquement
et économiquement corrects".
ODI
A cet
égard, une solution élégante pour régler
la question sans léser les investisseurs est de transformer
les emprunts d'Etat en obligations à durée
indéterminée (ODI), qui servent des intérêts
fixes, voire variables, mais sans date d'échéance
précisée; ces obligations seraient librement
cessibles sur un marché secondaire solidement organisé,
pour permettre aux investisseurs de récupérer
leur capital en cas de besoin; et elles feraient le bonheur
de tous les fonds d'assurance-vie, soucieux de garantir
un rendement régulier et sécurisé à
leurs souscripteurs.
Cette
idée, que nous exprimons depuis plusieurs années
déjà (cf. article paru dans "La Tribune"
en décembre 2010 et repris actualisé en avril
2011 http://www.latribune.fr/opinions/20101217trib000584098/l-obligation-perpetuelle-solution-pour-les-dettes-souveraines.html
), avait été évoquée au
début du nouveau gouvernement grec par Yanis Varoufakis,
ex- brillant ministre des finances, mais elle n'avait pas
eu l'heur de plaire à la Troïka; cependant,
avec les derniers rebondissements actuels, avec ces derniers
arrangements qui restent sans vraie base solide, peut-être
celle-ci acceptera-t-elle de mettre un peu d'eau dans son
vin en prenant en compte cette solution novatrice; en tout
cas, la création officielle des ODI serait à
coup sûr un "plus" exceptionnel pour l'avenir
économique et financier de l'Europe, notamment pour
la France de 2015, qui sera peut-être l'équivalent
d'ici deux ans de la Grèce en termes d'image sur
les marchés financiers....
Joseph Leddet, économiste et expert financier