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« Why
Information grows »
par César Hidalgo
Présentation et commentaire
Jean-Paul Baquiast
23/07/2015
Cesar
Hidalgo dirige le Macro Connections
Group au Media Lab du MIT
Hidalgo
Home page http://www.chidalgo.com/
MIT Macro-connections media lab
http://macro.media.mit.edu/
Le récent livre de César
Hidalgo « Why Information
grows » a bénéficié
d'une certaine couverture médiatique.
Il repose sur l'hypothèse que
les sociétés capables
de croissance économique se comportent
comme des sociétés de
l'information. ,
Qu'est
ce que la croissance économique?
Et pourquoi au cours de l'histoire ne
s'est-elle manifestée que dans
un nombre limité de pays et de
sociétés? Pourquoi aujourd'hui
certains pays et certaines sociétés
en semblent définitivement exclus.
Certes, ces pays connaitront inévitablement
certaines formes de croissance, mais
elles seront bien plus lentes et bien
moins productives que dans les pays
dotés de capacités de
croissance qui en font les pilotes de
la transformation du monde?
Ces
questions, posées par les historiens
ou les géographes, mettent l'accent
sur les capacités des institutions,
les atouts géographiques, les
moeurs ou les idées régnant
dans les quelques pays ou sociétés
qui dépassent en termes de performance
de croissance la grande masse de tous
les autres. Mais pour César Hidalgo,
les réponses ne se trouvent pas
dans les sciences sociales mais dans
les sciences de l'information, des ordinateurs,
des réseaux, de tout ce qui fait
la complexité du monde numérique.
Ceci
le conduit à poser la question
de savoir ce qu'est l'information. L'information
ne réside pas dans les messages
par lesquels nous échangeons
nos connaissance sur un système
donné. Par exemple, la Bourse
est en hausse à New York aujourd'hui.
Elle n'est pas non plus le sens ou la
signification que nous donnons aux évènements
sur lesquels nous communiquons. Par
exemple, cette hausse traduit la
prise en compte par les investisseurs
de telles perspectives favorables intéressant
le marché de l'automobile.
Elle repose sur l'ordre incorporé
dans les objets dont traite l'économie.
Une automobile n'est pas une simple
collection d'atomes, mais l'ordre particulier
dont ces atomes ont été
organisés dans cette automobile.
Il en est ainsi de tous les objets de
monde physique, de tous les êtres
du monde biologique. Or pour créer
un ordre plus complexe que celui existant
précédemment, il faut
accéder, non seulement à
une source d'énergie, mais à
des formes d'organisation efficace.
La connaissance que nous avons aujourd'hui
de l'économie en termes de science
de l'information est bien supérieure
à celle dont disposaient les
économistes du 19e siècle.
Là où ceux ci se focalisaient
sur les matières premières
et le travail, ou sur le rôle
des premières machines à
vapeur comme créatrices de transformation
sociale, ils ne percevaient pas que
ces facteurs permettaient aux sociétés
qui en étaient dotés de
mieux traiter l'information, par rapport
à celles qui n'en disposaient
pas.
L'économie
peut être représentée
comme un calculateur collectif dont
nous sommes les processeurs individuels.
Les différences de puissance
entre les économies s'expliquent
par leur plus ou moins grande capacité
à traiter de l'information. Les
capacités calculatoires de certains
pays ou régions, par exemple
la Silicon Valley au sein des Etats-Unis,
sont sans communes mesures avec celles
dont disposent des régions n'en
disposant pas, par exemple la ville
de Monrovia au Libéria. Les pays
uniquement exportateurs de matières
premières sont infiniment moins
compétitifs en termes d'information
incorporés dans les produits
exportés, qu'un pays exportateur.
De même, ceux dont les revenus
s'investissent dans la fabrication de
produits comportant de l'information
incorporée sont plus compétitifs,
à revenu par habitant égal,
que ceux consacrant ces revenus à
des activités de simple consommation.
La Chine, par exemple, qui investit
plus qu'elle ne consomme en termes de
produits incorporant de l'information,
risque de devenir plus compétitive
que les pays européens qui se
bornent souvent à utiliser l'information
incorporée par d'autres dans
les produits qu'ils consomment.
Qu'est-ce qui mesure dans ces conditions
la capacité calculatoire des
économies? Précisément
le type de produits qu'elles fabriquent.
Une économie fabriquant et exportant
des avions dispose d'une capacité
de calcul supérieure à
celle d'un pays n'exportant que des
produits agricoles. La première
est capable de diversification, passant
par exemple de la fabrication des avions
à celle d'une navette spatiale,
Ce n'est pas le cas de la seconde, condamnée
à des activités répétitives.
De ce fait, la première est plus
apte que la seconde à s'adapter
aux changements des divers processus
par lesquelles elle s'est développée,
disparition de certaines matières
premières, apparition de nouvelles
demandes, voire à terme variations
climatiques.
Poursuivant
les comparaisons entre les économies
et les ordinateurs, il est indispensable,
nous dit César Hidalgo, d'identifier
les différents réseaux
par lesquels ces économies échangent
des informations et des produits, réseaux
physiques tels que voies de communication
ou de télécommunication,
mais aussi réseaux sociologiques:
réseaux d'influence, réseaux
de croyances. A travers ces réseaux
se construisent des échanges
ne reposant pas seulement sur le calcul
économique mais sur ce que Francis
Fukuyama a nommé la confiance
(trust). Ce facteur permet de
coopérer sans l'investissement
technologique et juridique nécessaire
à des relations entre entités
se méfiant les unes des autres.
Mais
l'on peut aller plus loin dans l'identification
des facteurs permettant aux sociétés
et à leurs économies de
fonctionner sur le mode computationnel.
César Hidalgo propose deux éléments
élémentaires impliqués
dans la production et l'échange
des informations au niveau global. Le
premier est ce qu'il nomme le « personbit »
autrement dit la capacité dont
dispose en moyenne un individu pour
traiter de l'information au niveau du
groupe. Dépendant évidemment
des performances propres à chaque
individu, l'unité de mesure est
statistiquement utile pour distinguer
ce que en termes plus classiques on
nomme la force de travail, travail d'exécution
ou de création.
Au
niveau supérieur, celui des firmes
employant ces individus, il propose
le terme de « firmbit ».
L'expression désigne l'élément
élémentaire en dessous
duquel une entreprise ne peut être
efficace, comme le niveau supérieur
au dessus duquel elle cesse de l'être.
Dans le premier cas, des concentrations
s'impose, dans le second au contraire
des divisions. Là encore, ces
mesures dépendent étroitement
de la nature des activités en
cause. Mais statistiquement, elles sont
utilisables pour distinguer les économies
compétitives de celles qui ne
le sont pas.
Enfin,
il propose d'attribuer une valeur économique
à l'imagination des individus
ou des firmes permettant d'intégrer
des connaissances et des savoirs-faire
au service d'un réarrangement
original des composants déjà
présents dans l'économie,
mais non encore conjugués dans
un nouveau produit. Aucun animal n'apparait
capable de procéder ainsi. Les
autres unités computationnelles,
personnes et entreprises, se rencontrent
au contraire sous des formes variées
dans les sociétés animales,
petites ou grandes. De même,dans
les organismes biologiques, aux différentes
échelles de ces organismes, cellule,
corps, sociétés, on peut
retrouver ces différents éléments.
Ils permettent d'expliquer pourquoi
sur Terre l'information se développe,
contredisant la seconde loi de la thermodynamique
selon laquelle l'organisation initiale
se dissout dans le désordre.
Commentaires
Ce
livre est réjouissant à
lire, donnant quelques aperçus
sur le monde de l'économie aux
informaticiens et quelques aperçus
sur les sciences de l'information aux
économistes. Mais d'une façon
générale, pour tous ceux
et ils sont nombreux aujourd'hui
qui disposent d'une compétence
minimum en matière de systèmes
d'information et de structures computationnelles,
il enfonce des portes ouvertes. Inutile
d'expliciter ici ce jugement.
Par ailleurs, lorsque l'auteur se hasarde
à proposer de nouveaux concepts,
comme celui de « personbit »
ceux-ci sont si généraux
voire imprécis qu'ils ne peuvent
permettre aucune modélisation
un tant soit peu innovante. Péchés
de jeunesse, dira-t-on, provenant d'un
jeune chercheur chilien émigré
dans la Silicon Valley, et ébloui
par toutes les compétences humaines
et organisationnelles qu'il y a découvertes.
Nous
devons cependant faire deux critiques
plus fondamentales. D'abord le livre,
qui commence en promettant de montrer
comment la notion d'information et de
computation s'est imposée quasiment
dès la création de l'univers,
ne montre rien de tel. Il est vrai que
cette faiblesse se retrouve dans toutes
les hypothèses selon laquelle
l'univers, ou à tout le moins
une planète comme la Terre, seraient
des ordinateurs cosmologiques. Au delà
d'images intéressante, ces hypothèses
n'ont jamais à ce jour permis
d'identifier les bits d'information
élémentaires, les modes
de calcul, analogique ou digital, le
concept de programme, préétabli
ou acquis, ni rien de tel permettant
aux humains non seulement de décrire
l'univers en termes de système
d'information, mais à fortiori
d'interférer dans son fonctionnement.
Nous avions déjà faite
la même remarque concernant les
travaux de Seth Lloyd décrivant
l'univers comme un ordinateur quantique.
Quantique peut-être, mais ordinateur
de quelle façon?
Plus
grave, il faut reprocher au livre d'ignorer
ou tout au moins de ne pas mentionner
ce dont pratiquement tout le monde est
aujourd'hui averti: le développement
exponentiel dans les sociétés
humaines des big data, de l'utilisation
des données ainsi rassemblées
pour diverses activités de contrôle
ou d'espionnage, la mise en place progressive
d'un cerveau global dont Google et ses
homologues, assistés de la NSA,
se sont fait les champions et les futurs
bénéficiaires.
Ce
silence ne lui permet pas de présenter
les analyses géostratégiques
permettant, au delà des questions
évoquées, de comprendre
pourquoi et comment des économies
s'arrangent à croitre en permanence,
enfermant les économies concurrentes,
politiquement considérées
comme des adversaires, dans la faible
croissance et l'instabilité.
Un peu de recul historique montre facilement
cependant que, dès l'apparition
des technologies de l'information, l'Etat
profond américain (selon l'expression
de plus en plus utilisée) s'en
est réservé le monopole,
contraignant les autres Etat au sous-développement
technologique et économique.
Certains
Etats s'efforcent aujourd'hui d'échapper
à ce sous développement,
notamment les membres du Brics et de
l'Organisation de coopération
de Shanghai, mais ils auront des efforts
considérables à faire
pour traiter l'information avec l'efficacité
de la Silicon Valley, autrement dit
avec l'efficacité des Etats-Unis.
Notes
1.
On pourra lire un article émanant
d'un membre de Google d'ailleurs installé
présentement en France, qui décrit
la croissance mondiale de l'information
en termes autrement plus complexes que
ne le fait le livre de César
Hidalgo
http://www.ft.com/intl/cms/s/2/475789b8-2b2b-11e5-acfb-cbd2e1c81cca.html
2.
Concernant l'évolution du vivant
en termes de systèmes d'information,
Pierre Bricage, professeur à
l'Université de Pau, nous écrit:
Pas d'information
sans une structure support de cette
information :
Quel que soit le niveau d'organisation,
c'est le type de structure, sa matérialité,
son organisation, spatiale et temporelle,
qui est le support de cette information.
L'information n'est signifiante que
dans le cadre d'une interaction entre
au moins deux structures, productrices-émettrices
et réceptrices de cette information.
Qu'importe la façon dont l'information
est codée, ce qui compte c'est
l'interaction potentielle, qu'elle permet
ou pas.
Ce qui croit, avec la montée
en complexité du vivant, du quantum
de Planck à l'Univers entier,
c'est le nombre (la quantité)
et la complexité (la qualité)
des structures (par emboîtements
et juxtapositions, à la fois
dans l'espace et dans le temps), donc
de l'information qu'elles peuvent contenir,
car peuvent croitre, et croissent, simultanément
le nombre et la complexité des
interactions (par emboîtements
et juxtapositions).
Quel que soit le niveau d'organisation
biologique considéré,
la temporalité (le temps de génération)
croît avec la masse (le volume
à l'état adulte) suivant
une loi de puissance 3/2. Plus de masse
permet éventuellement plus de
structures donc plus d'information(s).
Plus de durée permet éventuellement
plus d'interactions donc plus de production
et d'échanges d'information(s).
L'arbre évolutif du vivant, n'est
pas un arbre (et surtout pas dichotomique)
mais un corail, une mosaïque
spatiale (3D) et temporelle, obtenu(e)
par emboîtements et juxtapositions,
par fusions (poly-anastomoses) et fissions
(multi-furcations). En fait c'est un
corail de coraux, comme tout système
est "un système de systèmes".
Pour approfondir et compléter
à propos de la fractalité
du vivant :
http://www.uv.es/sesgejd/RIS/19/2.Bricage.Loi_Puissance.pdf
(en français)
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