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Editorial3
. Sciences politiques
Allemagne - Grèce : puissance ou domination
?
Jean-Paul
Baquiast, Christophe Jacquemin 15/07/2015
Dans
un groupe, la force d'un des membres du groupe
n'entraine pas nécessairement qu'il
domine l'ensemble du groupe. Celui-ci peut
adopter des comportements coopératifs
qui servent les intérêts de tous
les membres, forts ou faibles. C'est sur la
base de cette conviction qu'avait été
fondé jusqu'à présent
le « rêve européen ».
Depuis
quelques années, l'Allemagne était
devenue le « géant économique
» de l'Europe, du fait d'atouts dont
elle disposait déjà, notamment
sa puissance industrielle, mais aussi de choix
politiques généralement jugés
judicieux par ses citoyens, quels que soient
leurs appartenances. La France, très
sensible pour des raisons historiques à
son rang en Europe et dans le monde au regard
de celui de l'Allemagne, n'avait pas manqué
de s'en apercevoir . Mais il avait été
fait remarquer que si l'économie allemande
était la première d'Europe,
il n'en découlait pas de sa part une
volonté d'hégémonie dans
l'Union. Il y a d'autres facteurs géopolitiques
qui sont tout aussi déterminants que
l'économie au plan international et
dans lesquels l'Allemagne est largement distancée,
par exemple en matière de défense
et même de poids diplomatique, notamment
par la France et la Grande-Bretagne. La construction
européenne à laquelle aspiraient
la plupart des groupes politiques était
d'arriver enfin à ne plus faire en
permanence de procès d'intention en
matière de domination de l'Union à
l'un ou l'autre de ses membres.
A
lire les réactions très répandues
aujourd'hui en France à la suite notamment
du problème posé par l'appartenance
de la Grèce à l'Eurogroupe (c'est-à-dire
à l'ensemble des nations ayant adopté
l'euro), il semble que l'insistance déployée
par le gouvernement allemand pour imposer
à la Grèce des mesures d'austérité
qui manifestement tuent en elle toutes perspectives
d'investissement et de reprise, l'insistance
également à pousser la Grèce
hors de l'euro au cas où elle ne pourrait
pas appliquer ces mesures, aurait réveillé
en France un sentiment anti-allemand que l'on
pouvait croire disparu. On notera que les
autres membres de l'Eurogroupe ne réagissent
pas de cette façon et se rallient dans
l'ensemble à la sévérité
allemande. Ils estiment avoir fait pour rester
euro-compatibles des mesures que la Grèce
ne devrait pas à son tour refuser d'appliquer.
La
fragilité politique de la position
allemande
Si
l'on reproche à l'Allemagne le caractère
excessif de ses exigences à l'égard
de la Grèce, c'est en grande partie
compte tenu du manque de légitimité
démocratique de l'Eurogroupe, légitimité
que l'on attend moins compte tenu de leurs
statuts des deux autres membres de la Troïka
qui poursuivent la Grèce de leurs exigences,
la banque centrale européenne et le
FMI. Rappelons que l'Eurogroupe est la réunion
mensuelle et informelle des ministres des
finances des Etats membres de la zone euro,
en vue d'y coordonner leurs politiques économiques.
Certes les chefs d'Etat et de gouvernement
de ces Etats membres se réunissent
très souvent pour discuter des positions
à adopter an sein de l'Eurogroupe,
mais c'est celui-ci qui si l'on peut dire
instruit en premier et souvent dernier ressort
les dossiers difficiles.
Dans
ces conditions, le fonctionnement d'un groupe
où celui qui parle le plus fort semble
faire la loi sans que ne s'exprime aucune
voix permettant de représenter des
positions politiques différentes, sera
de plus en plus mal ressenti au plan politique
par les citoyens. Au sein de l'Union européenne
dans son ensemble existe un Parlement européen.
Aussi démuni de pouvoirs soit-il, il
permet à des députés
européens d'y exprimer des points de
vue éventuellement contradictoires.
Ce n'est pas le cas concernant l'Eurogroupe.
Son président n'a pas plus d'autorité
ni de représentativité que celles
des autres ministres des finances. Depuis
de nombreuses années, cette anomalie
avait été soulignée par
les observateurs politiques.
Nombreuses
furent les propositions (dont en leur temps
nous nous étions fait l'écho
ici) visant à transformer l'Eurogroupe
en une petite fédération dotée
de compétences fiscales, budgétaires
et réglementaires indispensables pour
assurer l'harmonisation indispensable entre
les membres. Les plus audacieuses de ces propositions
visaient à mettre en place une assemblée
élue et un gouvernement commun responsable
devant lui, dans les matières de la
compétence du groupe.
Ce
besoin demeure plus que jamais actuel. Il
est très ressenti en France. Il semblerait
que François Hollande ait fait timidement
allusion à cette perspective au plus
fort des conflits survenus au sein de l'Eurogroupe
à propos de la position devant être
adoptée à l'égard de
la Grèce. Malheureusement, rien de
tel n'a jamais été entrepris.
Aujourd'hui encore, rien de tel ne sera fait.
Les Etats continueront à s'y opposer,
notamment ceux disposant de positions de force
qu'ils n'entendront pas partager. Ainsi notamment
de l'Allemagne, qui bénéficie
par exemple d'une main d'oeuvre importée
que faute d'harmonisation européenne
sur les charges sociales et salaires, elle
peut rémunérer au minimum. Pourquoi
par exemple accepterait-elle de devoir exporter
1 litre de lait à 1 euro, alors qu'elle
peut aujourd'hui le faire à 0,30 euro?
C'est
là que ressurgissent en France les
critiques faites à l'égard de
l'hégémonie allemande croissante.
Il est évident que si un ministre particulièrement
« hégémonique »
tel que Wolfgang Schauble peut faire la loi
au sein de l'l'Eurogroupe, ralliant à
lui d'autres de ses collègues plus
hésitants, c'est parce que ce groupe
ne fonctionne pas avec le recul et la largeur
de vue que serait obligé d'adopter
un gouvernement politique de la zone euro.
Certes,
la puissance de l'Allemagne continuerait au
sein d'un tel gouvernement à s'exprimer
pleinement, ralliant à elle les Etats
du nord de l'Europe partageant ses intérêts
Mais d'autres Etats, dont en premier lieu
la France et ses alliés géographique
de l'Europe méditerranéenne,
pourraient s'y exprimer aussi. Par ailleurs
les décisions concernant les questions
importantes pourraient être bien mieux
qu'actuellement discutées préalablement
par les partis politiques des pays membres
et par leurs opinions publiques respectives,
soumises également pour les plus importantes
d'entre elles aux parlement respectifs. Ainsi
les tentations de domination que pourrait
avoir l'Allemagne pourraient être mieux
contrées.
Il
est clair cependant que si, en France notamment,
se poursuit une politique de non investissement
dans les secteurs stratégiques, complétée
de démissions devant les intérêts
américains comme l'affaire Alstom récente
en fut l'illustration la plus visible, jamais
ce pays ne récupérera le minimum
de puissance lui permettant de discuter d'égal
égal avec la puissance allemande. Alors
nous pourrons toujours en France nous plaindre
de la domination allemande mais nous l'aurons
bien cherchée.
La
Grèce n'est pas pour sa part dépourvue
d'atouts pour récupérer une
certaine puissance régionale. Mais
il lui faudrait pour cela, comme nous l'avons
plusieurs fois écrit, accepter de sortir
de la zone euro et jouer ainsi librement de
ses atouts géostratégiques.
A l'extrème, elle pourrait sortir de
l'Union européenne sans cesser pour
autant d'être européenne. Le
meilleur que l'on puisse souhaiter au valeureux
Tsipras serait de s'en convaincre rapidement
afin de modifier radicalement sa position.
Wolfgang Schauble veut le chasser de la zone
euro, qu'il le prenne au mot !. Après
s'être courageusement battu pour rester
membre de l'Eurogroupe, Tsipras devrait se
battre aussi courageusement, cette fois-ci,
avec son peuple, pour trouver sa voie en dehors.