Article
Connaissance
et croyance
Jean-Paul
Baquiast - 02/07/2015
Jean-Claude
Carrière, dans son dernier livre,
Croyance (Odile Jacob 2015), écrit
"Nous devons à présent
nous faire une raison. A l'issue d'un
long combat, la croyance, aujourd'hui,
l'emporte sur la connaissance."
Jean-Claude
Carrière est athée. Nul
n'est parfait. A ce titre, il a discuté
avec les scientifiques de ce que représente
pour eux la connaissance. Il ne s'agit
pas d'une croyance en la vérité
absolue en ce que la science décrit
comme le réel, mais d'une croyance
en la vérité relative
de cette description. Autrement, toute
description du réel par la science,
découlant d'hypothèses
confirmées par des preuves expérimentales,
n'a de valeur que dans la mesure où
un consensus de scientifiques s'établit
à son égard. Si à
la suite de recherches nouvelles, nouvelles
hypothèses suivies de nouvelles
preuves, ce consensus se fragilise et
laisse place à d'autres consensus,
le scientifique digne de ce nom abandonne
sa croyance en la vérité
relative de son ancienne connaissance
et croit toujours de façon
relative, à la vérité
relative de cette nouvelle connaissance.
Les
discussions actuelles sur la «
réalité » d'un réchauffement
climatique résultant des activités
humaines en donnent un bon exemple.
Il s'est établi sur ce thème
un très large consensus de climatologues
et représentants d'autres disciplines
pour adopter cette hypothèse
et donc pour la considérer comme
« vraie », autrement dit,
dans le langage courant, pour y croire.
Pour eux, tous ceux qui nient l'hypothèse,
dits climato-sceptiques, ne sont donc
que des scientifiques égarés
par des égo(s) déraisonnables
ou simplement les agents inconscients
des forces économiques qui veulent
continuer à brûler des
combustibles fossiles « comme
avant » . Mais si de nouvelles
recherches, dûment vérifiées
en termes expérimentaux, attribuaient
le réchauffement à une
toute autre cause, et si un nouveau
consensus s'établissait à
ce sujet, leur « croyance »
en la cause humaine du réchauffement
se relativiserait.
Jean
Claude Carrière a suffisamment
fréquenté de cosmologistes
et de physiciens pour savoir que les
connaissances scientifiques, et donc
les croyances qu'elles suscitent, ne
se limitent pas à l'étude
d'un réel de type quotidien,
sur lequel des consensus peuvent raisonnablement
s'établir. Les cosmologistes,
par exemple avec le concept de trou
noir, ou les physiciens avec celui de
vide quantique proposent des hypothèses
sur lesquelles ils peuvent légitimement
s'opposer, autrement dit sur lesquelles
les consensus restent fragmentés.
Des preuves expérimentales de
ces hypothèses peuvent être
obtenues, mais elles restent très
fragiles.
Dans
des domaines encore plus théoriques,
comme en ce qui concerne la «
réalité » des multivers,
ces preuves semblent actuellement hors
de portée . Peut-on alors parler
en ce cas de connaissances scientifiques,
et donc de croyance possible en la validité
de ces connaissances? Oui, parce ce
faisant on refuse d'emblée toutes
les croyances de type mythologique qui
depuis l'aube de la pensée ont
proliféré sur ces thèmes,
croyances que la totalité des
religions aujourd'hui encore se refusent
à mettre en cause. Cependant,
arrivés à ce niveau de
réflexion, la plupart des scientifiques
spécialistes de ces disciplines
font valoir que le cerveau humain, du
moins en son état actuel de développement
et compte tenu des technologies instrumentales
ou mathématiques disponibles,
peut sans fausse honte avouer son ignorance
sans pour autant faire appel aux religions
pour apporter des réponses.
Ce
que nous venons de rappeler en quelques
lignes fait partie des bases de ce que
l'on appelle l'esprit scientifique,
s'étant répandu en Europe
à partir de l'âge dit des
Lumières. Cependant il est loin
d'être partagé par l'écrasante
majorité des populations. Non
seulement celles-ci adoptent des croyances
pseudo-scientifiques sans aucune base
expérimentale, comme celle très
répandue aux Etats-Unis, réputés
pourtant par le nombre et la qualité
de ses chercheurs, selon laquelle la
vie ne peut pas avoir plus de 5.000
d'âge. Bien plus graves cependant,
à la fois par leur universalité
et les guerres qu'elles provoquent chez
les croyants, sont les multiples religions
et les diverses superstitions qui, de
tous temps, ont empêché
ou retardé l'apparition de la
rationalité, conduisant le plus
souvent, comme le montre avec de nombreux
exemples le livre de Jean-Claude Carrière,
le monde au chaos. Précisons
cependant un point. L'auteur fait tout
de même une différence
entre croyance et foi "parce que
quelqu'un peut ne pas avoir la foi,
être athée et croire en
l'astrologie ou à la numérologie".
La
guerre sainte ou djihad.
Le
livre, s'il se bornait à cela,
n'aurait rien de particulièrement
original. Mais du fait de l'actualité,
l'auteur insiste sur les aspects les
plus contemporains de l'incarnation
des croyances religieuses dans des sociétés
et des individus de plus en plus odieusement
violents. Il cite l'honnête commerçant
exerçant dans le souk d'une ville
sunnite qui n'hésite pas à
affirmer qu'il tuerait sans hésiter
un voisin ayant le tort d'être
chiite. De même, comment ne pas
prendre au sérieux les affirmations
d'un certain nombre d'imams et de militants
du djihad, qui reprennent une vieille
affirmation musulmane, selon laquelle
le bon croyant doit avoir pour premier
devoir de décapiter le «
mécréant », c'est-à-dire
celui qui ne croit ni en Allah ni au
Coran. Il ne s'agit pas de propos théoriques,
comme le montre l'accession du djihadisme
dit terroriste, y compris en Europe.
Désormais les actes terroristes
sans motivation autre que relevant de
la psychologie criminelle, seront de
moins en moins nombreux. Ils se feront
de plus en plus au nom des religions
et en seront l'expression la plus violente.
Cette
constatation ne devrait pas décourager,
dans nos sociétés héritées
des Lumières, les chercheurs,
les hommes politiques et les citoyens
de rechercher les causes neurologiques,
psychanalytiques, familiales, sociétales,
pour lesquelles un individu passe à
l'acte terroriste. Mais prétendre
y voir des motivations analogues à
celles par lesquelles un mari assassine
sa femme, par exemple, ne permettrait
pas d'étudier plus en profondeur
le phénomène de la croyance
et ses côtés noirs.
Selon
les termes que Jean-Claude Carrière
emploie lui-même, et que nous
ne pouvons que reprendre,
« La croyance, cette certitude
sans preuve, pouvons-nous l'approcher,
la connaître ? Qu'est-elle exactement
? Une rébellion individuelle,
ou au contraire un ralliement à
un groupe, à une secte ? Un réconfort
ou une aberration ? Alors que nous pensions,
depuis le siècle dit des
Lumières, aller vers plus
de clarté, plus de maîtrise
sur le monde et sur nous-mêmes,
nous voyons que la croyance a marché
près de nous au même pas
que la connaissance, et que l'obscurité
nous accompagne toujours, avec son cortège
de rage et de sang. Nous voyons qu'une
vieille alliance, que nous espérions
dissipée, s'est renouée
entre la violence et la foi ».
Les
bonnes âmes reprocheront à
l'auteur de stigmatiser les seuls musulmans,
oubliant les chrétiens, les hindouistes
et autres croyants au passé ou
au présent violent. Mais il est
de fait que l'inquisition chrétienne
et les guerres de religion en Europe
relèvent d'un temps ancien clairement
condamné, notamment en France,
par la pratique laïque républicaine.
Il pourrait certes renaitre à
tous moments, mais les lois de la République
ont été conçues
pour s'y opposer. Quant aux terroristes
hindous, sans être pour autant
excusables, ils constituent une infime
minorité.
La
question du terrorisme musulman s'exprimant
à travers la religion et se prétendant
légitimée par le Coran,
est infiniment plus inquiétante,
du fait des moyens croissants dont disposent
désormais les fanatiques, approvisionnés
en armes et encouragements, non seulement
par les Etats musulmans mais par les
politiques aberrantes de l'Occident.
Par ailleurs,il faut rappeler, comme
nous l'avons fait par ailleurs, que
la population en Afrique quadruplera
de taille d'ici la fin du siècle
et sera chassée vers l'Europe
par les violences internes, le changement
climatique et une pauvreté croissante.
Or déjà très largement
de confession musulmane, les africains
seront de plus en plus imprégnés
par un islam violent du type de celui
de Boko Aram. Tous ne deviendront pas
des djihadistes, mais ceux- ci seront
en nombre suffisant pour détruire
(en reprenant le terme très juste
de Manuel Valls) la civilisation européenne.
La
question que se pose Jean-Claude Carrière
dans son livre sera donc de plus en
plus d'actualité. Nous devrons
tous choisir entre connaissance et croyance.
Mais ceux qui continueront à
se référer à la
connaissance et à la rationalité
scientifique, comme à l'athéisme,
le feront à leurs risques et
périls. Beaucoup auront, tôt
ou tard et par la force des choses,
la tête tranchée.
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