Article
Vers
le post-humain.
Connecter directement les cerveaux
Jean-Paul Baquiast 24/07/2015

Cette
image n'est pas interprétable
sans se reférer à l'article
de Nature qu'elle illustre.
On
imagine facilement que la possibilité
de connecter directement un (ou plusieurs)
cerveaux humains donnerait à
leurs propriétaires, en temps
réel, des capacités hors
de portée d'un homme seul. Ainsi
pourraient-ils en même temps regarder
deux paysages différents, lire
deux textes différents et en
faire une synthèse. Dans un autre
domaine, deux chirurgiens pourraient
opérer de façon coordonnée
en conjuguant leurs modes opératoires,
deux mathématiciens partager
leurs modes de calcul, deux internautes
explorer simultanément deux sites
différents.
Aujourd'hui, dans l'état actuel
des liaisons de cerveaux à cerveaux,
ces performances nécessitent
des implantations d'électrode
invasives, soit pour émettre
des ondes cérébrales,
soit pour en recevoir. Mais des techniques
de transmissions intracraniennes profondes
ne nécessitant que des casques
externes sont en voie de développement.
Il faut aussi que chaque émetteur-récepteur
soit en relation filaire ou radio avec
un calculateur procédant à
l'interfaçage, ordinateur programmé
en conséquences. Le déchiffrement
des ondes cérébrales et
leur attribution à des zones
cérébrales capables d'en
tire profit devra par ailleurs se faire
non pas à partir d'aires corticales
très localisées, mais
en impliquant de large parties, voire
la totalité du cortex.
Tout ceci sera complexe, mais pas nécessairement
hors de portée. De nombreuses
expériences, comme nous l'avons
précédemment relaté
ici, ont été conduites
récemment dans le domaine de
la commande à distance de divers
types de prothèses par le cerveau
d'une personne souffrant de paralysie.
Il suffit si l'on peut dire, après
un apprentissage suffisant, de convertir
l'activité électrique
du cerveau en commandes interprétables
par un ordinateur. Rien n'empêche
en ce cas de commander un appareil situé
dans une autre pièce que celle
où se trouve le patient.
Super-cerveaux
animaux
En ce qui concerne les primates, des
expérimentations bien plus poussées
ont été conduites, sans
les restrictions éthiques s'imposant
aux expérimentations sur l'homme.
Cependant, il ne s'agissait jusqu'à
présent que de perfectionner
l'interface cerveau-machine n'intéressant
qu'un seul sujet, sans chercher à
connecter plusieurs cerveaux sur la
même machine de façon à
ce qu'ils puissent la commander simultanément,
autrement dit réaliser ce qui
a été nommé un
« brainet »,
réseau de cerveaux.
Mais les progrès sont rapides
dans cette voie. Un article de Nature
« Computing
Arm Movements with a Monkey Brainet »,
daté du 9 juillet 2015, rapporte
une expérience menée au
Centre médical de la Duke University
à Durham, Etats-Unis. Une équipe
conduite par le Dr Miguel Nicolelis,
dans un laboratoire dédié
aux recherches sur les primates, a permis
de connecter trois de ceux-ci par des
électrodes placées dans
les zones appropriées du cerveau,
afin qu'ils coopèrent, en vue
d'une récompense, au fonctionnement
d'un bras robotisé.
Un ordinateur transmettait à
chaque animal des images animées
de la prothèse, afin qu'ils puissent
évaluer le résultat de
leurs commandes intentionnelles. En
coordonnant leurs pensées, les
trois singes ont pu permettre au bras
d'atteindre un objectif figurant sur
l'écran. Des tâches plus
complexes ont ensuite été
commandées, avec le même
succès.
Jusqu'à présent, chaque
sujet était relié aux
autres, non directement de cerveau à
cerveau, mais par l'intermédiaire
d'un ordinateur, ce qui pose moins de
problèmes d'interfaçage.
Mais l'équipe a repris la même
expérience en l'appliquant à
des rats. Chaque rat était connecté
à la fois à un ordinateur
commun et aux cerveaux de ses congénères.
Des électrodes différentes
reliaient les aires du cerveau impliquées
dans le contrôle moteur, l'une
pour stimuler le cerveau et l'autre
pour enregistrer son activité
(Voir Nature, également du 9
juillet 2015 Building
an organic computing device with multiple
interconnected brains.
Les
rats recevaient des impulsions électriques
et gagnaient une récompense quand
ils réussissaient à coordonner
leurs actions dans un but précis.
Après plusieurs essais, un taux
de satisfaction de 60% a été
obtenu. D'autres expériences
plus complexes sont actuellement menées.
Inutile de développer les perspectives
apportées par l'équivalent
d'un calculateur parallèle ainsi
réalisé au sein du brainet,
tant en ce qui concerne les animaux
que les humains. De véritables
super-organismes sont ainsi créés,
dont les cerveaux des futurs post humains
pourront être équipés.
Leurs pensées pourront être
partagées sans l'échange
de sons ou de mots. On peut évidement
aussi imaginer les applications, positives
mais aussi abusives qui pourront être
faites de telles techniques, entrainant
la commande des cerveaux de personnes
inexpérimentées par celui
d'une personne plus compétente.
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