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Article.
Lumières sur la matière noire
?
Jean-Paul Baquiast 21/06/2015
Nous
avons plusieurs fois sur ce site rapporté
les hypothèses relatives à l'encore
énigmatique matière noire, censée
représenter au vu de ses effets gravitationnels
environ 80% à 90% de la masse totale
de l'univers.
En 1998 des chercheurs des université
du Michigan et de Chicago, ainsi que du CERN,
avaient publié un article
selon lequel l'espace pourrait être
empli de particules hyper-massives, 1
trillion de fois la masse du proton, qu'ils
avaient baptisé "WIMPZILLAS!"
Celles-ci pouvaient être de bonnes candidates
pour expliquer la matière noire. Mais
comment ces particules se seraient-elles formées,
et pourquoi sont-elles indétectables
malgré d'actives recherches?
Sur
la base de cette hypothèse, les cosmologistes
ont imaginé le type de particule correspondant
à la description donnée. Jusqu'à
ce jour, un certain accord s'est fait sur
le concept de particule massive faiblement
interactive dit WIMP (weakly interacting
massive particle). Des raisons théoriques
justifieraient que ces particules aient pu
être produites très tôt
après la naissance de l'univers. Elles
auraient la masse convenable pour expliquer
les effets gravitationnels observés
par les astronomes, notamment concernant la
forme des galaxies.
Cependant,
malgré d'actives recherches utilisant
des détecteurs conçus à
cette fin, notamment le détecteur A/LIBRA
mis en service depuis 20 ans à l'observatoire
du Gran Sasso en Italie, aucun signal significatif
n'a été recueilli, en dehors
d'un événement récent,
survenant périodiquement en juin, et
pouvant résulter du fait que la Terre
traverserait régulièrement un
nuage de WIMP. Mais les détecteurs
mis en place dans de nombreux autres observatoires
n'ont jamais rien observé de tel. De
son coté, le LHC n'a jamais produit
de particules semblables lors des collisions
à haute énergies qu'il réalise.
Adieu
aux WIMPS, bonjour aux WIMPZILLAS
Ceci
a conduit à la mise en cause du concept
de WIMP. Il semble qu'il faille chercher autre
chose. L'hypothèse de particules hyper-lourdes
redevient d'actualité. Mais pour les
générer, l'univers doit disposer
d'énergies considérables. Seules
pourraient convenir celles rencontrées
durant la période dite inflationnaire
(dans l'hypothèse généralement
admise qu'une telle phase de développement
se soit produite aux touts premiers instants
après le Big Bang). Les expériences
récentes conduites par le radiotélescope
BICEP2 au Pôle Sud et par le satellite
Plank de l'Esa concernant le rayonnement de
fond cosmologique font penser que l'énergie
disponible pendant l'inflation aurait été
largement suffisante, soit une estimation
de 1024 electronvolts .
Lors
de l'inflation, l'univers aurait pu s'étendre
grâce à l'action d'hypothétiques
particules dites « inflatons »
. Celles-ci en se désintégrant
auraient produit les particules que nous connaissons
et aussi, pourquoi pas, les particules lourdes
constituant la matière noire, y compris
des WIMPIZILLAS. Par ailleurs, les fluctuations
de champs électomagnétique intenses
survenant pendant l'inflation auraient pu
également générer ces
particules. De la même façon,
les fluctuations de l'énergie du vide
quantique sont supposées pouvoir produire
des particules de matière et d'anti-matière,
électrons et positons. Aujourd'hui
ces particules à peine produites s'annihilent
les unes les autres en restituant de l'énergie.
Mais dans le cas des fluctuations survenues
lors de l'inflation, les énormes quantités
d'énergie en cause auraient donné
naissance à des particules hyper-lourdes,
les WIMPILLAS. Auraient-elles été
dotées d'antiparticules? De toutes
façons, elles se seraient très
rapidement répandues dans l'univers,
jusqu'à constituer aujourd'hui la matière
noire.
Du
fait de leur masse cependant, elles seraient
infiniment moins nombreuses que les WIMP,
tout en produisant les mêmes effets
gravitationnels. Les chances de rencontrer
l'une d'elles dans un détecteur terrestre
sont encore plus faibles que celles de détecter
des WIMP. De plus, selon le modèle
proposé pour ces particules, elles
passeraient directement à travers la
matière ordinaire.
Par
contre, il devrait être possible d'observer
les particules résultant de leur désintégration
en fin de vie, analogues à des photons,
protons et neutrinos, mais dotées d'énergies
extrêmement élevées. Encore
faudrait-il que de telles désintégrations
surviennent en assez grand nombre pour produire
des résultats observables. Or selon
les modèles concernant les WIMPZILLAS,
leur vie en moyenne pourrait excéder
la durée de l'univers. Cependant, certaines
d'entre elles pourraient se désintégrer
actuellement,, produisant un petit nombres
de particules hyper-lourdes qui dans de bonnes
conditions seraient observables. Elles pourraient
aussi émettre au moment de leur désintégration
des rayons cosmiques de très haute
énergie, également observables.
Les
chercheurs pensent aujourd'hui pouvoir identifier,
aussi peu fréquents soient-ils, de
tels phénomènes. Notamment grâce
au détecteur IceCub au Pôle Sud
et surtout grâce à des radio-télescopes
nouveaux, aux sensibilités considérablement
augmentées, notamment l'Observatoire
Pierre Auger en Argentine et le Telescope
Array dans l'Utah. Cependant ce ne sera pas
nécessairement tout de suite après
leur mise en service que ces observatoires
pourront identifier des particules significatives.
Malgré leur grand nombre au plan cosmologique,
elles restent très rares à l'échelle
de la Terre. On estime qu'il s'agirait en
moyenne d'une particule par km2 en 1 siècle.
Les radiotélescopes spatiaux, tels
que l' Extreme Universe Space Observatory
(JEM-EUSO) envisagés par le projet
japonais de ce nom et destinés à
être embarqué sur la navette
ISS, pourraient avoir de meilleures facilités
d'observation.
Dans
ce cas, non seulement le mystère de
la Matière noire pourrait commencer
à s'éclaircir mais aussi les
phénomènes s'étant produits
sous le nom d'inflation cosmologique.
Ceci
dit, ceux qui recherchent une explication
à la matière noire en faisant
appel à des hypothèses non particulaires
(telles que la MOND, gravitation modifiée)
objecteront que les partisans des WIMP compliquent
à plaisir la description qu'ils en
donnent pour justifier le caractère
encore inobservable de leur supposées
particules. Mais comme les autres explications
ne sont pas davantage vérifiables...
Note
Cet
article est une adaptation de « WIMPZILLAs:
Monster particles from the dawn of time
» de Anil Ananthaswamy, NewScientist,
n° 3026 de juin 2015
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