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Géopolitique
Bloquer les migrations maritimes:
un voeu pieux ?
Jean-Paul
Baquiast 22/06/2015
Les
pays dits riches et pacifiques disposant de
frontières maritimes seront de plus
en plus l'objet de migrations venues par la
mer: pays européens, via la Méditerranée
et dans une moindre mesure l'Atlantique, mais
aussi ceux situés dans d'autres parties
du monde, tels que l'Australie. Les hommes
politiques qui pensent possible de réagir
sont-ils incompétents?
Les gouvernements et les opinions de ces pays
commencent à se convaincre du fait
qu'il faut tarir la source de ces migrations,
autrement dit fermer la fuite de la canalisation
comme l'a dit Nicolas Sarkozy, pour une fois
bien inspiré mais qui a suscité
l'indignation vertueuse de ses adversaires
politiques. Pour cela il faut interdire l'accès
des eaux territoriales aux bateaux de passeurs
chargés de plusieurs centaines de migrants,
principalement des jeunes hommes, mais aussi
d'un certain pourcentage de femmes et d'enfants.
Il s'agit dorénavant de migrations
illégales, visant à s'imposer
en profitant des traditions du monde maritime
imposant le secours aux naufragés.
Il
n'est plus possible de compter sur les Etats
d'où ils proviennent, en complet délabrement
à la suite d'ailleurs d'interventions
occidentales, pour empêcher les départs
à partir de leurs propres côtes.
C'est la cas, concernant la Méditerranée,
de la Libye et la Syrie, sans mentionner la
Corne de l'Afrique. Il n'est pas possible
non plus d'espérer procéder
sur le territoire de ces pays à des
opérations militaires européennes
terrestres destinées à détruire
les navires et éliminer les passeurs.
Le coût en serait insupportable. Elles
provoqueraient par ailleurs une opposition
armée générale des populations
autochtones.
Mais
comment interdire l'accès aux eaux
territoriales? C'est là que l'on se
heurte à l'incompétence en matière
maritime des hommes politiques envisageant
cette solution. Ils devraient considérer
des réalités indiscutables:
-
le nombre des bateaux de migrants de toutes
catégories, vieux cargos, chalutiers
hors d'âge et canots pneumatiques de
grande taille, ne cessera d'augmenter. Se
comptant aujourd'hui par quelques unités
par jour, il atteindra très vite les
dizaines d'embarcations, chargées chacune
de plusieurs centaines de personnes. Les passeurs
et migrants restant libres d'accéder
en Europe ne cesseront évidemment pas
de tenter le passage. Quant à ceux
disponibles, de toutes catégories,
ils se comptent par centaines. Au prix même
modeste auquel les passeurs les rachètent,
ils viendront de toutes les côtes africaines.
Ajoutons que de plus en plus de bateux de
migrants embarquent dorénavant des
hommes arméesqui ont déjà
fau feu sur les navires intervanants.
-
en haute mer soumise au droit de libre circulation,
c'est-à-dire en dehors des eaux territoriales
dite de compétence exclusive, les marines
militaires des pays européens souhaitant
interdire l'accès à leurs côtes
ne pourront le faire que dans des conditions
de droit international sur lesquelles il n'y
a pas encore unanimité. De plus, elles
ne disposeront jamais des unités en
nombre nécessaire pour arrêter
les flux. Mobiliser le trafic marchand deviendra
par ailleurs très vite impossible,
comme le précise la réaction
des capitaines de cargos citée par
Médiapart.
-
à supposer que des embarcations de
migrants soient interceptées par des
navires militaires, que pourront faire ces
derniers? Les reconduire d'où ils viennent
est techniquement impossible. Un escorteur
ou un sous-marin ne sont pas des remorqueurs.
Ils ne peuvent charger et accommoder que quelques
dizaines de personnes. Vu leur tirant d'eau,
par ailleurs, ils ne peuvent approcher sauf
exception, à une distance suffisante
des côtes pour que les migrants puissent
débarquer à pied sec, à
supposer qu'ils l'acceptent.
-
les navires de guerre pourraient sans doute
détacher une ou deux embarcations de
service, avec quelques fusiliers marins à
bord, pour obliger les bateaux de passeurs
à rejoindre la terre. Mais en ce cas,
comme l'ont montré certains évènements,
les migrants se jetteront en grand nombre
à l'eau, parfois contraints de le faire
par les passeurs et exigeant d'être
secourus, ce qui sera impossible. Beaucoup
se noieront et les médias en feront
le reproches aux Etats européens. D'autres
migrants, donc certains sont armés,
résisteront par la force aux militaires.
-
concernant les interventions dans les eaux
territoriales, les mêmes empêchements
joueront. Arrêter un grand nombre quotidien
de bateaux passeurs ne sera pas possible faute
d'effectifs à la disposition des agences
européennes telles que Frontex ou des
marines des pays européens concernés,
même assistées par des marines
du nord de l'Europe. Par ailleurs, l'inexpérience
involontaire ou voulue des pilotes des bateaux
de passeurs fera qu'ils seront incapables
de se présenter dans des ports abrités.
Ils se jetteront purement et simplement sur
des côtes rocheuses ou des bancs de
sable où il ne sera pas possible de
les secourir, s'ils le font en nombre suffisant.
Là encore les noyades en résultant
seront exploitées par tous les médias,
européens ou non européens,
pour jeter l'opprobre sur les gouvernements
concernés.
On
dira que pour ces diverses raisons, certaines
associations humanitaires plaideront pour
que soient organisés des couloirs sécurisés
d'immigration, à l'entrée desquels
les bateaux de passeurs pourraient se présenter.
Mais on retrouve là le problème
général de l'immigration clandestine.
De tels couloirs envisageables pour accueillir,
héberger et intégrer quelques
centaines de migrants par semaine ne pourront
pas fonctionner au profit des milliers voire
dizaines de milliers de migrants voulant se
réfugier en Europe ou profiter de son
niveau de vie.
***
Nous
ne pouvons pas dans ce court article traiter
de la question entière de l'émigration
des effectifs considérables de personne
qui, par des voies maritimes ou terrestres,
voudront inévitablement, avec le développement
des guerres locales puis très vite
le réchauffement climatique, quitter
l'Afrique pour l'Europe, provoquant nécessairement
la révolte des populations européennes.
Bornons
nous seulement à une observation. Pourquoi
les jeunes africains en pleine forme qui choisissent
de se réfugier en Europe, malgré
les dangers de la traversée, ne prennent-ils
pas les armes chez eux pour combattre les
mouvements terroristes qui selon eux les font
fuir. Les Kurdes l'ont bien fait pour leur
compte, y compris les femmes. Les Houthis
le font au Yémen. Personne ne croira
par exemple que quelques milliers de militants
de Boko Aram, même lourdement armés
par certains pays non africains voulant déstabiliser
l'Afrique afin de profiter de ce qui lui reste
de richesse, seraient capables de résister
à une population en armes, fut-elle
seulement dotée de vieux fusils ou
de machettes.
Une
fois les fauteurs de troubles éliminés,
ils pourraient s'organiser pour tirer eux-mêmes
parti de leurs propres ressources. C'est bien
ce qu'ont fait les Chinois et les Indiens.
Ils n'émigrent pas, quelles que soient
les difficultés internes qu'ils rencontrent.
Complément
au 21/06 à 20h
Les
ministres des affaires étrangères
de l'Union européenne ont décidé,
lundi 22 juin au matin, à Luxembourg,
de lancer la première phase de l'opération
EURONAVFOR Med, destinée à démanteler
les réseaux de passeurs opérant
à partir de la Libye. « Notre
cible, ce ne seront pas les migrants, mais
bien ceux qui gagnent de l'argent à
leur détriment », a insisté
la haute représentante Federica Mogherini.
Encore faudra-t-il pour ce faire un mandat
de l'ONU ou du Conseil de Sécurité.
La
première phase de l'opération
visera à recueillir des renseignements
précis sur les embarcations utilisées
par les passeurs, leurs origines, les routes
suivies. Pour cela un important réseau
d'avions et de drones sera déployé.
La seconde phase consisterait, si l'on interprète
bien l'annonce, à détruire par
des frappes aériennes le plus grand
nombre de ces embarcations dans leurs ports
d'origine.
Que
l'on améliore par des observations
aériennes et navales la connaissance
du phénomène serait certainement
utile. Elle permettra notamment d'évaluer
son évolution géographique et
dans le temps. Quant à la destruction,
seule mesure efficace, nous pensons que ce
sera une illusion. D'une part des conditions
de droit international délicates seront
à résoudre, avec sans doute
intervention du Conseil de Sécurité.
Elles susciteront des réactions armées
des islamistes de Daesh déjà
installés en Libye. Il faudra y faire
face, là encore dans des conditions
complexes compte tenu de l'incohérence
des Etats européens en matière
de défense. D'autre part, ce sont des
centaines de bateaux grands et petits qui
sont aujourd'hui disponibles pour les passeurs,
certaines appartenant à des pécheurs.
Dans le meilleur des cas, il serait possible
d'en détruire quelques exemplaires,
non sans risques de dommages collatéraux
pour les populations. Bref EURONAVFOR Med,
sous sa forme actuelle, n'aura qu'un effet
d'annonce.
Pour
approfondir
*
07 juin 2015 | Les capitaines de cargos démunis
face aux sauvetages en Méditerranée
La
marine marchande est en émoi. Alors
que les traversées s'accélèrent
en Méditerranée (près
de 6 000 migrants ont été secourus
ce week-end), les cargos sont de plus en plus
mis souvent à contribution pour les
opérations de sauvetage. Les risques
encourus par les rescapés comme par
les marins sont importants. Des capitaines
pourraient être tentés de «
regarder ailleurs », prévient
le commandant Hubert Ardillon.
http://www.mediapart.fr/journal/international/070615/les-capitaines-de-cargos-demunis-face-aux-sauvetages-en-mediterranee
* 29 mai 2015 Afrique 2050- 2100. La catastrophe
démographique
.
http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=1776&r_id=
* 15 avril 2015 L'Europe doit se défendre
dans les nouvelles formes de guerre de 4e
génération
http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=1728&r_id=
*
Sur EURONAVFOR Med, voir 21 juin 2015 Bruxelles
2
Comment a-t-on décidé sur EUNAVFOR
Med ? Qui finance ? Qui contrôle ? etc.
http://www.bruxelles2.eu/2015/06/21/comment-a-t-on-decide-sur-eunavfor-med-qui-finance-etc/