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Biblionet
The Information: A History, a Theory, a Flood
Par James Gleick
Publié le 1er mars 2011 par Knopf Doubleday
Publishing Group
527 pages
Commentaires par Jean-Paul Baquiast
13/06/2015
Traduction française (ci contre)
L'information, publiée par Vuibert,
collection Cassini
parution prévue 16 octobre 2015

Tablette sumérienne
Vers - 3000 ans.
Elle
provient d'Ourouk Il s'agit de la première
écriture de l'histoire humaine. Elle
est faite de signes gravés avec la
pointe d'un roseau sur des tablettes d'argile
humides qui sont ensuite séchées
au soleil ou cuites au four. Ces signes sont
en forme de clous ou de coins d'où
le qualificatif de cunéiforme donné
à cette écriture (d'après
le latin cuneus, qui signifie coin).
Aujourd'hui, tout ceci est détruit
impitoyablement par des islamistes pour qui
l'histoire commence à Mahomet.
Biographie
de l'auteur
Ancien journaliste et responsable de la rubrique
science au New York Times, James Gleick est
l'auteur de six livres, dont trois ont déjà
été traduits en français
: La théorie du chaos (Albin Michel,
1987), Le génial professeur Feynman
(Odile Jacob, 1994), Isaac Newton: un destin
fabuleux (Dunod, 2004).
J
ames
Gleick a obtenu pour L'information: une histoire,
une théorie, un déluge le prix
du livre scientifique 2012 de la Royal Society.
Ses livres ont été traduits
en vingt-cinq langues.
Vue
générale
L'auteur commence en relatant la découverte
du tam tam africain par les premiers explorateurs
européens, qui se sont longtemps interrogés
sur les significations complexes de percussions
apparemment simples, et de leur rôle
dans la construction des sociétés.
A partir de cela, il évoque l'arrivée
de l'écrit, du livre et des dictionnaires
puis des transmissions à distance permises
par le télégramme, le téléphone
et aujourd'hui les technologies numériques.
Il évoque à ce sujet des questions
bien connues sur ce site, concernant les applications
en pleine extension de ces technologies, et
les enjeux sociétaux en découlant.
Mais à chaque fois il le fait en apportant
des précisions et des anecdotes rendant
la lecture toujours intéressante.
Dans le suite de l'ouvrage, James Gleick en
vient aux recherches menées depuis
presque deux siècles
pour comprendre la nature essentiellement
digitale de l'information, non seulement dans
le monde dit macroscopique mais dans le monde
quantique, avec le concept de q.bit. Il rappelle,
souvent en fournissant des détails
peu connus, les rôles qu'on eu à
cet égard Claude Shannon, Charles Babbage,
Ada Byron, Samuel Morse, Alan Turing, Stephen
Hawking, Richard Dawkins et John Archibald
Wheeler. Il montre comment ces auteurs, à
commencer par le plus important d'entre eux,
Claude Shannon et sa « Mathematical
Theory of Communication », rejoint
par les « Cybernetics »
de Norbert Wiener,ont initialisé une
véritable théorie et science
de l'information. Leurs apports théoriques
ont eu d'innombtables applications technologiques,
notamment dans la compression des données
et les correections d'erreurs indispensables
aux ordinateurs modernes. Il aborde aussi
la question de l' information dans les mathématiques,
sans rien y apporter de très original.
Finalement
James Gleick discute, en s'appuyant sur l'exemple
de Wikipedia, le rôle de celui-ci et
de ses homologues dans la construction d'une
véritable Tour de Babel des connaissances,
s'imposant aujourd'hui dans la plupart des
sociétés, avec les enjeux en
terme de pouvoirs, politiques et économiques,
en découlant.
Introduction
On
comprend généralement le terme
d'information comme faisant référence
à un grand nombre soit de « réalités
en soi », soit de représentations
censées exprimer ces réalités
à travers le point de vue d'un observateur
et des instruments qu'il utilise. Il convient
d'abord de choisir entre ces deux approches,
ce qui est particulièrement nécessaire
en matière de physique fondamentale.
L'univers comme le rappelle l'auteur est il
basiquement constitué d'informations
ou, plus précisément de bits
quantique, selon l'hypothèse de Seth
Lloyd. Qu'en est il au niveau de la physique
macroscopique? Peut-on identifier des « informations »
existant objectivement, en dehors de ceux
qui les observent. Bien d'autres questions
se posent, quasiment en termes épistémologiques.
La
multiplicité des définitions
et interprétations susceptibles d'être
données au concept d'information pourrait
décourager toute approche globale.
Dans le langage courant, le terme d'information
peut désigner des objets très
différents. Par exemple les contenus
de connaissance propres à tel ou tel
concept (à quelles informations correspond
le concept de primate), les supports matériels
permettant la diffusion de ces contenus de
connaissance (le livre, le téléphone,
l'ordinateur), les supports biologiques permettant
la mémorisation d'informations vitales
dans les génomes de toutes les espèces,
ou leur traduction sous formes d'associations
neuronales dans les cerveaux des espèces
dotées de tels organes. Aujourd'hui,
le concept d'information ne peut être
séparé de celui de société
de l'information, basée sur la numérisation
et les transferts électroniques intéressant
les contenus de connaissance.
On
peut cependant considérer qu'en accumulant
les définitions et les représentations
scientifiques en découlant, fussent-elles
contradictoires, il est possible de faire
un travail utile. On montre ainsi que les
choses ne sont pas aussi simples que le langage
courant ou le bon sens se l'imaginent. On
peut le faire d'autant mieux si l'on adopte,
comme le fait James Gleick dans son livre,
une approche historique montrant comment sont
nés les différents supports
d'information et les réseaux permettant
la circulation de celle-ci.
Dans
cet esprit, James Gleick n'a pas hésité
à multiplier les approches, en cherchant
le plus possible à leur donner un fil
conducteur. Si le livre, malgré ses
550 pages, n'est pas véritablement
une thèse scientifique (au demeurant
quasi impossible à réaliser)
il s'agit d'un excellent travail. Il dépasse
la vulgarisation à laquelle cependant
excelle l'auteur, par le fait qu'il pose un
grand nombre de questions qui mériteraient
à elles seules de faire l'objet de
thèses scientifiques plus développées.
Le monde physique est-il constitué
d'informations, soit sous forme d'ondes/particules
quantiques, soit sous formes de particules
élémentaires, protons, neutrons,
électrons? Que deviennent ces informations
dans les trous noirs? Comment, une fois la
vie apparue sur Terre, s'est-elle construite
en élaborant des informations génétiques
ou, chez les organismes dotés de systèmes
nerveux, d'informations neuronales?
Très
vite cependant, le livre aborde la question
des langages, censés être apparus
au cours de l'évolution des espèces
supérieures, pour représenter
les constantes du monde auxquelles se heurtent
ces espèces et à propos desquelles
il leur est devenu vital de communiquer. Il
n'étudie que très superficiellement
les langages animaux, mais il rappelle de
nombreux points peu connus par ceux qui ne
font pas profession de linguistes. Au delà
des langages parlés puis des langages
écrits, le livre consacre d'intéressants
développements aux différentes
méthodes permettant de diffuser ces
contenus langagiers sur de longues distances.
Il étudie ainsi, comme indiqué
ci-dessus, le tam tam africain, bien perdu
de vue aujourd'hui, en s'interrogeant sur
la façon, sans doute initialement spontanée,
par laquelle des modes de percussions apparemment
voisins ont pu convoyer des messages d'une
grande diversité 1)
Concernant
le contenu du livre, il faut faire observer
qu'il a été écrit avant
2011. Il vient d'être traduit en français,
avec un retard peu excusable de 5 ans. Les
propos de l'auteur seraient-ils différents
aujourd'hui? Les connaissances sur l'information,
la façon de l'aborder, ont quelque
peu évolué depuis ces dates.
Par la force des choses, le livre n'y fait
pas allusion.
Concernant
la présentation et l'analyse du livre,
il existe d'excellents articles aujourd'hui,
que l'on trouve sans peine sur le web 2).
Nous allons donc pour notre compte ici, sans
résumer le contenu du livre, évoquer
quelques points faisant l'objet de recherches
en cours, ou méritant selon nous de
faire l'objet de recherche, de façon
à compléter l'analyse de James
Gleick.
Information
ou communication?
Des
analyses de type biologique, portant sur l'ensemble
des espèces vivantes, seraient utiles
pour distinguer la société de
l'information moderne des échanges
de messages au sein des cellules vivantes,
ou au sein des organismes simples ou complexes
du monde des organismes bactériens
ou multicellulaires, végétaux
et animaux. Ces études comparatives
peuvent montrer que ce que nous considérons,
depuis l'apparition des informations et des
réseaux d'échanges d'informations
dans les sociétés humaines,
comme des phénomènes récents
et spécifiques à l'homme, sont
universellement répandues. Elles permettent
par exemple d'identifier en quoi les réseaux
d'informations qui sont à la base des
formes les plus simples de société
de l'information biologiques, les colonies
bactériennes, se retrouvent dans nos
actuelles sociétés de l'information.
Bien évidemment, on ne considérera
pas les systèmes purement physiques
comme échangeant des informations.
Le Soleil n'envoie pas de l'information à
la Terre. Celle-ci ne lui répond pas.
Il s'agit seulement de champs énergétiques.
En
contrepartie, les études comparatives
portant sur l'ensemble du monde biologique
permettent de faire apparaître et le
cas échéant d'expliciter les
complexités apparues dans les sociétés
humaines. Il ne s'agira en aucun cas, s'il
est bien fait, d'un travail n'intéressant
qu'une science théorique. Les applications
en seront nombreuses. Par exemple, il sera
vain d'espérer par des législations
adéquates réguler des comportements
profondément déterminés
par des organisations génétiques
ou cérébrales. Pour être
efficaces, à supposer qu'elles puissent
l'être, ces réglementations devront
remonter aux sources. Vaste programme, mais
de plus en plus indispensable.
Informations
et outils. L'anthropotechnique.
Nous
avons dans des ouvrages et articles précédents
signalé que les sociétés
humaines se sont co-développées
avec les outils matériels qu'elles
avaient été capables d'identifier
et de perfectionner. Nous parlons de systèmes
anthropotechniques. Ceci s'applique en priorité
aux outils artificiels complétant les
divers organes moteurs et sensoriels dont
les hominiens se sont trouvés dotés
par l'évolution. L'exemple le plus
connu est celui de l'outil de pierre, qu'auraient
commencé à maîtriser les
australopithèques, vers 3 à
-2,5 millions d'années. Mais comme
le remarque d'ailleurs James Gleick, les outils
permettant d'identifier et décompter
les objets du monde, de les doter de symboles
ou noms communément admis et facilement
transmissibles, ont joué un rôle
essentiel. On peut signaler à cet égard
les premières techniques de représentations
picturales, dont les grottes Chauvet et de
Lascaux montrent d'importants vestiges, mais
qui étaient nécessairement bien
antérieures.
Ces
symboles, dont l'essentiel a disparu, ont
joué on le sait un rôle essentiel
dans l'évolution et la mise en cohésion
des premières sociétés
humaines. Or ils ont été associés
à des techniques permettant de graver
des ossements ou des pierres et donc de les
transmettre. Une technique sans doute découverte
par hasard, consistant à obtenir des
silhouettes de mains par projection de poudres
colorantes, a du sans doute, bien avant Chauvet,
transformer les sociétés humaines
en leur montrant qu'elles pouvaient concevoir,
fixer et transmettre des images d'animaux
sauvages de plus en plus fidèles aux
originaux. C'est sans doute une des raisons
pour lesquelles on retrouve très généralement
de telles empreintes de mains sur les murs
des grottes. Avant l'invention de ces poudres,
les empreintes de mains que les hommes devaient
obtenir en permanence, par exemple sur du
sable, ne se sont jamais conservées,
même d'un jour sur l'autre. Si l'on
demande à un enfant n'ayant jamais
reçu la moindre formation au dessin
de tracer des images d'animaux, ou même
simplement de sa propre main, il n'y arrivera
pas.
On
peut développer presque sans limites
le concept de systèmes anthropotechniques,
à propos des symbioses qui, dans la
société numérique actuelle,
se sont établies entre les différentes
technologies et tout ou partie de leurs utilisateurs,
corps, cerveaux et comportement. Il est ainsi
possible de montrer aujourd'hui les différences
entre les structures neuronales d'un utilisateur
de téléphone et celles d'un
utilisateur de micro-ordinateur connecté
à un réseau. Un article très
récent d'une équipe de chercheurs
de Carnegie Mellon montre ainsi comment un
concept nouvellement acquis, autrement dit,
une information, s'inscrit dans le cerveau,
de façon spécifique aux informations
concernées 3) Nous pourrons y revenir.
L'intérêt
du concept de système anthropotechnique
et de ses applications en matière d'information
consiste, là encore, à mettre
en évidence les limites d'une action
volontariste, par exemple sous forme législative,
visant à règlementer les utilisations
de telle ou telle machine à traiter
l'information sans proposer en parallèle
de modifier les corps et cerveaux de leurs
utilisateurs. Inutile de dire que cette dernière
tâche sera beaucoup plus ardue que la
précédente.
Parts
respectives de la culture et de la nature
dans l'émergence des informations et
de leurs usages.
Gleick
rappelle la thèse de Chomsky selon
laquelle les humains (comme d'ailleurs les
animaux à leur échelle) sont
dotés d'une aptitude héréditaire
à la parole, qui permet au nouveau-né
d'apprendre sans difficultés les langages
de ses parents. S'y oppose la thèse
de l'ardoise ou page blanche selon laquelle
c'est le milieu social, autrement dit culturel,
qui apprend à l'enfant tout ce qu'il
doit savoir en matière de langage,
tant en ce qui concerne la réception
que l'émission. Autrement dit, un enfant
élevé dans un isolement complet
n'apprendra jamais à parler. Il est
difficile, aujourd'hui encore, de trancher
par l'expérience entre ces deux thèses,
pour des raisons pratiques évidentes.
Cependant les observations disponibles, par
exemple intéressant les communautés
de sourd-muets, qui inventent leurs propres
langages, montrent que les humains ont bien
de plus de facilité pour ce faire que
des primates plongés dans une société
humaine afin qu'ils apprennent à communiquer.
Il n'a pas été par ailleurs
montré que les jeunes descendants d'utilisateurs
intensive de l'Internet s'adaptent plus facilement
à son usage que ceux dont les parents
n'ont jamais connu les technologies numériques.
Mais les analyses génétiques
et comportementales en ce domaine n'ont peut-être
pas été menées assez
loin. On peut penser que globalement les descendants
de générations ayant une pratique
numérique poussée seront, par
acquis héréditaire, plus aptes
à maîtriser en profondeur les
info-technologies que ceux provenant d'une
société restée à
l'écart. Dans ce cas, la nature rejoindra
la culture.
Une
autre façon de poser la question consiste
à se demander comment, dans le passé,
sont apparues les premières informations
verbales ou écrites et comment elles
se sont transmises. A l'origine, ces aptitudes
ont du émerger spontanément,
puisqu'il n'existait pas d'écoles pour
les enseigner. Mais en quoi les premiers pionniers
ont-ils différé de leurs homologues
restant informativement inculturés,
autrement dit limités à une
pratique proche de celle des langages animaux.
Etaient-ils nés d'emblée avec
des cerveaux plus curieux et plus aptes à
inventer de nouvelles pratiques? La question
rejoint celle évoquée plus haut
de l'invention des premiers outils chez les
australopithèques. Les hypothèses
les plus convaincantes montreraient que précisément
les cerveaux et cultures de ces premiers utilisateurs
d'outils les ont rendus plus aptes que d'autres
à utiliser sans qu'ils s'en rendent
compte certains sons et certains gestes comme
éléments permettant de mémoriser
et transmettre des informations. Aujourd'hui,
on pourrait penser que, sans que nous en ayions
nous mêmes conscience, nous nous inserrons
spontanément dans des systèmes
d'information dont nous ne mesurerons pas
nous-mêmes toute la portée.
Au
plan de la préhistoire anthropologique,
il est intéressant d'imaginer des scenarios
permettant de comprendre comment à
partir de bases génétiques très
proches de celles des grands singes, les hominiens,
suivis par les hommes, ont construit des outils,
des images et des mots. Un article du NewScientist,
6 juin 20I5, Back to the Wild, en propose
une simulation. L'auteur, Christopher Kemp,
imagine comment la complexité des informations
propre au monde numérique d'aujourd'hui
a pu naitre progressivement des premiers outils
et des premières constructions sociales
en découlant. On y retrouve un scénario
à la source d'un film récent:
100 babies. No adults. One island. What
would happen if humans grew up without culture
Les
guerres pour le cerveau global
Nous
consacrons sur ce site de nombreuses analyses
critiques au concept de « cerveau
global » (global brain) dont notamment
Google, à l'initiative de Ray Kurzweil
se fait le champion. Ils en annonce l'établisement
sur Terre sans quelques décennies.
Ce cerveau sera composé d'éléments
technologiques et neuronaux en réseaux.
Il générera et utilisera des
flots d'informations permettant de construire
une image globale du monde bien plus précise
et efficace que celles proposées par
les sciences et technologies actuelles. Nous
en seront des composants parmi d'autres, aussi
passifs-actifs que peut l'être un neurone
individuel dans le cortex cérébral
d'aujourd'hui. Très vite, ce cerveau
devrait générer des systèmes
décisionnels autonomes susceptibles
de s'opposer aux humains...ou à ce
qui en restera.
On
connait en 2015 ce que James Gleick ne faisait
que soupçonner en écrivant son
livre, les enjeux de pouvoirs qui sont derrière
la construction et l'exploitation des informations
circulant dans le cerveau global: pouvoirs
économiques et surtout politiques,
au profit des grands empires qui se sont instaurés
au sein de ce monde nouveau. Il s'agit principalement
pour le moment de l'empire américain,
sous ses composantes d'informations économiques,
politiques, militaires et scientifiques (illustrées
par le rôle joué par la NSA,
National Security Agency. Mais d'autres empires
concurrents vont certainement apparaître.
En complément de guerres économiques
et éventuellement militaires, ils mèneront
d'intenses guerres d'informations.
.
Notes
1)
Cf le poème: « Le tam tam,
coeur de la forêt, battait sourd et
implacable »
2)
* Voir Around. Références diverses
http://around.com/the-information/
* Voir The Guardian http://www.theguardian.com/science/2012/nov/22/the-information-james-gleick-review
* Voir New York Times. Books review http://www.nytimes.com/2011/03/20/books/review/book-review-the-information-by-james-gleick.html?_r=0
3)
Voir http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/hbm.22842/abstract
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