Retour
au sommaire
Article
La sixième
extinction massive des espèces terrestres
Jean-Paul
Baquiast 22/06/2015

Le taux d'extinction cumulé
d'espèces de vertébrés
selon les données de l'UICN, en ne
comptabilisant que la catégorie «
espèce éteinte » à
gauche, et en incluant les catégories
« éteinte à l'état
sauvage » et « certainement éteinte
» à droite. Les courbes de couleurs
indiquent les valeurs pour les mammifères
(Mammals) et les oiseaux (Birds), les autres
vertébrés (Others vertebrates),
c'est-à-dire les poissons, les amphibiens
et les reptiles, et l'ensemble des vertébrés
(Vertebrates). La ligne pointillée
donne le taux cumulé en période
normale (Background)
L'étude
que vient de publier une équipe de
chercheurs de Stanford et d'autres universités
non américaines (voir source ci-dessous)
met en évidence l'extinction massive
qui est en train de se produire au détriment
des espèces terrestres. Elle menacera
directement à terme la survie de l'espèce
humaine. Ce sera la sixième extinction
depuis l'apparition de la vie sur Terre il
y a 4 milliards d'années. Les auteurs
appellent à des mesures urgentes pour
conserver les espèces les plus menacées,
mais préviennent que les fenêtres
d'opportunité pour agir se ferment
très rapidement.
L'étude a été accueillie
avec un certain scepticisme par les défenseurs
du laissez-faire. Il s'agit, dit on, d'une
nouvelle publication sur un sujet déjà
largement commenté, qui n'apporte pas
d'éléments particulièrement
nouveaux. De plus, l'équipe comprend
Paul Ehrlich, professeur des études
de population en biologie ( Bing Professor
of Population Studies in biology ) qui
s'était fait fortement critiquer à
la parution de son livre de 1981 Extinction:
The Causes and Consequences of the Disappearance
of Species. attribuant, entre autres causes,
la disparition des espèces à
la croissance démographique excessive
des humains. A cette époque, critiquer
la natalité était considéré
comme attentatoire aux consignes des religions,
et raciste parce que mettant en cause la fécondité
incontrôlable des femmes dans les pays
pauvres.
Aujourd'hui, comme nous l'avons montré
dans un article récent,
(Afrique 2050- 2100. La catastrophe démographique,
30 avril 2015) des études de
population validées par l'ONU prévoient
pour la fin du siècle une population
africaine de 3 à 4 milliards d'hommes,
dont nul ne voit encore la façon dont
l'Afrique pourra s'accommoder, d'autant plus
que le réchauffement climatique rendra
ce continent très largement aride.
Paul Ehrlich est aujourd'hui considéré
comme beaucoup plus crédible qu'il
y a 30 ans. De toutes façons l'étude
évoquée ici est co-rédigée
par un groupe de chercheurs internationaux
aux compétences indiscutées
dans leur domaine .
Voici venu le temps
des morts-vivants
Publiée
en libre-accès sur le site du journal
Sciences Advances, elle montre que,
même en prenant en compte les prévisions
les moins pessimistes, les espèces
disparaissent actuellement à une vitesse
bien plus rapide que que celle des précédentes
extinctions. « Si le rythme actuel
se poursuit, il faudra à la vie complexe
des millions d'années pour se rétablir,
à supposer que les causes actuelles
de l'extinction aient été supprimées »,
y est-il écrit.
En mettant l'accent sur les vertébrés,
bien plus sensibles que les monocellulaires
aux causes de disparition, les chercheurs
se demandent s'il est bien exact que ce soient
les activités humaines qui précipitent
les pertes de diversité biologique
actuellement observées. Leur conclusion
est absolument positive, s'appuyant notamment
sur la vitesse des disparitions, qui ne serait
pas attribuable à des causes naturelles,
telles que celles ayant provoqué les
précédentes extinctions de masse.
Les types d'activité sont souvent dénoncées,
mais ne sont pas suffisamment prises au sérieux,
afin d'être efficacement combattues
par des actions à l'échelle
de la planète. Il s'agit des destructions
de milieux naturels dues à l'agriculture,
à l'exploitation forestière
et à l'urbanisation. S'y ajoute l'introduction
d'espèces extérieures invasives
dans les milieux naturels, espèces
très généralement destructrices.
Les émissions de gaz carbonique en
résultant accélèrent
le réchauffement atmosphérique
et l'acidification des océans. De plus,
les activités industrielles multiplient
la production de composés chimiques
altérant voire détruisant la
vie.
Selon des études réalisées
par l'Union Internationale pour la Conservation
de la Nature (http://www.iucn.org/
) l'extinction menace 41% des amphibiens
(espèces marines) et 26% des mammifères.
Beaucoup de survivants de ces espèces
sont actuellement des morts-vivants, selon
le terme de Paul Ehrlich.
L'étude évoque cependant des
espoirs pour le futur, si du moins des mesures
internationales de grande ampleur sont décidées
et convenablement mises en oeuvre, au profit
des espèces survivantes, étant
admis que celles aujourd'hui disparues ou
quasi-disparues ne pourront pas être
réintroduites.
Nous pensons pour notre part qu'il ne se produira
rien de tel dans les prochaines décennies,
malgré les efforts annoncés
par certains gouvernements. La surpopulation
dans les zones menacées, les compétitions
économiques entre grands ensembles
géopolitiques, les conflits tribaux
et guerres en résultant, plus généralement
l'incompétence écologique des
décideurs comme les consignes des religions
interdisant de toucher à l'ordre des
choses, rendront toute action internationale
illusoire. La récente encyclique papale
sur la conservation de la Terre et de l'écologie
a été à juste titre saluée
comme un début de prise de conscience
de la question au sein de l'Eglise catholique
romaine, mais elle ne suffira pas à
provoquer la révolution mondiale dans
les esprits qui s'impose aujourd'hui.
Abstract
of Accelerated modern humaninduced species
losses: Entering the sixth mass extinction
The oft-repeated claim that Earths biota
is entering a sixth mass extinction
depends on clearly demonstrating that current
extinction rates are far above the background
rates prevailing in the five previous mass
extinctions. Earlier estimates of extinction
rates have been criticized for using assumptions
that might overestimate the severity of the
extinction crisis. We assess, using extremely
conservative assumptions, whether human activities
are causing a mass extinction. First, we use
a recent estimate of a background rate of
2 mammal extinctions per 10,000 species per
100 years (that is, 2 E/MSY), which is twice
as high as widely used previous estimates.
We then compare this rate with the current
rate of mammal and vertebrate extinctions.
The latter is conservatively low because listing
a species as extinct requires meeting stringent
criteria. Even under our assumptions, which
would tend to minimize evidence of a starting
mass extinction, the average rate of vertebrate
species loss over the last century is up to
114 times higher than the background rate.
Under the 2 E/MSY background rate, the number
of species that have gone extinct in the last
century would have taken, depending on the
vertebrate taxon, between 500 and 11,400 years
to disappear. These estimates reveal an exceptionally
rapid loss of biodiversity over the last few
centuries, indicating that a sixth mass extinction
is already under way. Averting a dramatic
decay of biodiversity and the subsequent loss
of ecosystem services is still possible through
intensified conservation efforts, but that
window of opportunity is rapidly closing.
Source
*
http://advances.sciencemag.org/content/1/5/e1400253
*
Voir aussi
http://news.stanford.edu/pr/2015/pr-mass-extinction-ehrlich-061915.html
Retour au sommaire