Retour
au sommaire
Biblionet
Les infrastructures
du trouble mental
de Pierre Marchais
L'Harmattan,
2015
Commentaires par Jean-Paul Baquiast
Pour
en savoir plus
*
Biographie
de Pierre Marchais
*
Quelques
ouvrages de l'auteur
* On pourra relire un document
de Pierre Marchais que nous avions publié
en 2009, ainsi que la présentation
de son ouvrage de 2010, co-signé avec
Alain Cardon: « Troubles
mentaux et interprétations informatiques
Contributions à l'étude du fonctionnement
psychique ».
Présentation
par l'éditeur
La
psychiatrie reste sujette à des oppositions
internes et à des énigmes qui
imposent un regard nouveau sur cette discipline.
À cet effet, l'auteur adopte une perspective
dynamique et interdisciplinaire qu'il situe
face aux divers courants historiques en psychiatrie.
Il précise les interrelations variables
de la pensée et du langage, leurs liens
en boucles, qui retentissent sur la structuration
et la connaissance du trouble.
Le
dernier livre du neuro-psychiatre Pierre Marchais
devrait pensons-nous intéresser un
public de plus en plus large. Il est beaucoup
plus riche que ne le laisse entendre la présentation
ci-dessus de l'éditeur. En effet il
réalise une synthèse particulièrement
vaste et actualisée des travaux et
recherches que son auteur a menées
pendant plusieurs dizaines d'années.
Or les lecteurs susceptibles d'en mesurer
toute la portée sont de plus en plus
nombreux. Peu nombreux sans doute initialement,
ils devraient aujourd'hui constituer un contingent
très appréciable.
Il
s'agit pourtant d'une population qui doit
être capable de rassembler des compétences
considérées jusqu'à ces
dernières années comme très
étrangères les unes aux autres.
Pour simplifier, disons que le thème
en est double. Il porte d'abord sur tout ce
qui concerne la maladie mentale au sens le
plus large, appréhendée essentiellement
par la clinique, c'est-à-dire la pratique
médicale. Mais dans le même temps
et c'est là que le livre trouve
toute son originalité - le thème
concerne les différentes technologies
que nous évoquons régulièrement
sur ce site, intelligence artificielle, robotique,
et plus immédiatement, en ce qui concerne
le cerveau, l'imagerie cérébrale
et les techniques de simulation numérique
visant à terme à réaliser
des cerveaux artificiels.
On
trouve évidemment beaucoup de personnes
qui peuvent transposer à la réflexion
sur les troubles mentaux ce qu'ils ont compris
des sciences de l'artificiel et réciproquement.
Mais comme nous venons de l'indiquer, la question
à laquelle le docteur Marchais s'est
attaqué dès le début
est d'opérer dans un cadre clinique,
face à des patients qui ont besoin
de soins immédiats, et qui s'adressent
au médecin pour les recevoir. Il est
facile de concevoir que confronté à
quelqu'un souffrant par exemple de bouffées
délirantes pouvant le conduire à
des actes destructeurs, le praticien, fut-il
bien informé de l'actualité
des travaux sur le cerveau artificiel, n'aura
pas le temps de faire appel à ce qu'il
sait dans ce dernier domaine pour diagnostiquer
le problème de la personne en face
de lui, d'une façon tout au moins qui
soit plus efficace et plus innovante que les
vieilles recettes de la pratique clinique.
C'est
cependant pour relever ce défi presque
hors de portée de la pratique clinique
que s'est consacré Pierre Marchais
tout au long de ses ouvrages, dont on trouvera
la liste ci-dessous. Son dernier livre, bien
que difficile à exploiter par un lecteur
connaissant mal les questions abordées,
devrait au contraire donner au praticien déjà
informé de nouveaux repères
lui permettant d'éviter tous les pièges
de la pratique psychiatrique commune.
Face
à un patient délirant
On
trouve ainsi dans le livre des pages comparant
le langage pratiqué par quelqu'un considéré
comme normal et le langage, pour reprendre
notre exemple, d'un délirant. Or ces
pages fournissent au médecin psychiatre
ou au psychologue des références
tirées de la pratique des langages
utilisés par des systèmes simulant
le langage animal et humain. Ces références
devraient venir immédiatement en tête
du praticien ainsi informé, pour lui
permettre de mieux décrypter, en temps
presque réel, les propos du patient.
Si ce médecin a fait l'effort préalable
de se donner une bonne connaissance des représentations
et méthodes d'un chercheur en sciences
cognitives artificielles applicables à
des troubles mentaux, il pourra, dans la meilleure
hypothèse avant que le patient n 'ait
quitté son cabinet, orienter celui-ci
vers des solutions capables de l'aider éventuellement
à mieux se comprendre et en tous cas
aider à le soulager.
La
plupart des psychiatres, on peut le craindre,
resteront sceptiques. Lorsque cependant l'on
y réfléchit, il n'existe pas
à ce jour d'autres méthodes
que celles proposées par les recherches
de Pierre Marchais pour renouveler en profondeur
la pratique clinique psychiatrique, qu'il
s'agisse des diagnostics ou des soins. L'autre
méthode, universellement pratiquée
aujourd'hui, consiste à utiliser un
catalogue aussi complet que possible des troubles
mentaux et de leurs symptômes, afin
de pouvoir immédiatement y classer
le malade. Ce catalogue fournira parallèlement
au praticien une liste de remèdes pharmacologiques
reconnus de façon probabiliste comme
les mieux à même de prévenir
ou de traiter les troubles mentaux. Dans certains
cas graves, on parle de camisole chimique.
Ces
remèdes pharmacologiques rapportent
beaucoup de profits aux laboratoires, et par
voie de conséquences aux médecins
qui les prescrivent. On ne peut pas dire qu'ils
soient tous inappropriés, mais on ne
peut pas non plus prétendre qu'ils
permettent des diagnostics et des cures suffisamment
personnalisés. Il en est ainsi de la
panoplie inépuisable des spécialités
présentées comme susceptibles
de combattre l'anxiété. Si le
médecin n'incite pas le patient à
mieux comprendre les raisons de celle-ci,
la succession de prescriptions médicamenteuses
souvent incompatibles ne fera qu'aggraver
le mal. Comme le savent les lecteurs de Pierre
Marchais, il s'est toujours opposé
à une pratique psychiatrique reposant
sur l'utilisation systématique du DSM
(Diagnostic and Statistical Manual of Mental
Disorders), généralisé
aujourd'hui en Europe à la suite de
sa mise en place aux Etats-Unis par l'American
Psychiatric Association 1).
Il
ne faut pas cependant se faire trop d'illusions.
Une science aussi diversifiée et approfondie
que possible, telle que celle dont fait montre
Pierre Marchais, ne sera jamais suffisante
pour répondre à des troubles
mentaux dont la fréquence apparemment
ne diminue pas. Autrement dit, il faudra des
milliers de psychiatres et psychologues ayant,
rien qu'en France, une bonne pratique des
sciences cognitives artificielles pour répondre
au besoin.
Néanmoins
toute réforme a un début. Le
véritable apostolat consacré
par Pierre Marchais pour faire progresser
les pratiques interdisciplinaires qu'il recommande
dans ses ouvrages, et singulièrement
dans son dernier livre « Les infrastructures
du trouble mental », ne pourra
qu'avoir à terme de bons résultats.
Voici selon nous une excellente raison pour
se procurer cet ouvrage, et approfondir par
la suite les nombreuses perspectives, évoluant
quotidiennement dont par définition,
il ne pouvait en 200 pages préciser
les détails. 2)
Notes
1) DSM
2) Voir en application de ce propos le nouveau
projet français BRAiN US
Retour au sommaire