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Sciences politiques.
Russie-Europe. Quel avenir ?
Jean-Pierre Arrignon 06/05/2015
Jean-Pierre
Arrignon est un historien français,
spécialiste du Moyen Age et de la Russie
contemporaine. Il a présenté
l'exposé ci-dessous devant les représentants
de la Convention pour l'Indépendance
de l'Europe, lors d'un Déjeuner débat
en date du 6 mai 2015, sur le thème
« Relations franco-russes : où
en sommes nous ? » Un précédent
débat avait eu lieu le 23 octobre 2014
(voir http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=1590&r_id=
Automates Intelligents
Parvenu
au poste de Secrétaire Général
du PCUS, en mars 1985. Mikhaïl Sergeevic
Gorbacev, confronté à des difficultés
économiques majeures, opte pour une
approche critique courageuse : à l'intérieur
c'est la Glasnost et la Perestroïka et
à l'extérieur : la Nouvelle
Pensée.
Adoptée
en février 1986 lors du XXVIIe Congrès
du PCUS, la Nouvelle Pensée définit
une approche nouvelle des relations internationales
qui met en avant l'interdépendance
des problèmes qui touchent la planète
et la nécessité de désidéologiser
les relations internationales. C'est dans
ce contexte nouveau que va se définir
le concept de « Maison commune européenne
».
Cette
image appelle l'idée d'une communauté
naturelle de destin entre l'URSS et l'Europe
occidentale. Il s'agit tout d'abord de découpler
l'Europe des Etats-Unis, mais plus encore
d'inciter les Européens au dialogue
et d'y trouver des alliés car l'IDS
(système de détection d'intrusion)
suscite des réticences fortes parmi
les Européens.
En
1886/87 François Mitterrand, Margareth
Thatcher et Helmut Kohl sont très prudents
face à cette Maison commune européenne
(MCE) ; seul Hans Dietrich Gensher y voit
un « facteur décisif pour la
réunification allemande », mais
il est isolé.
1988
Naissance du concept de la Maison Commune
européenne
Suite
aux déclarations de M.S. Gorbacev à
Prague en 1987, à Belgrade en 1988,
puis à Strasbourg en 1989, le concept
se précise sur la forme d'une maison
à 4 étages où les voisins
cohabiteraient en toute harmonie. La fondation
de cette maison serait constituée par
les mesures géopolitiques et territoriales
entérinées lors de la conférence
d'Helsinki de 1975. Le premier étage
serait consacré aux mesures de sécurité
collective et de désarmement nucléaire,
chimique et conventionnel. Le second étage
serait occupé par la résolution
pacifique des conflits. Les troisième
et quatrième étages seraient
vouées à la coopération
économique et commerciale paneuropéenne
qui s'efforcerait à terme, de promouvoir
une véritable communauté culturelle
entre les nations européennes et de
dépasser les ruptures nées de
la Guerre froide.
De
ce concept, M.S. Gorbacev attend l'émergence
de relations nouvelles et apaisées
avec les démocraties populaires, relations
fondées sur la confiance et non plus
sur la force. Dans cette Maison commune, les
démocraties populaires aux côté
de l'URSS pourraient incarner le socialisme
à visage humain, respectueux du renoncement
à la force et reconnaissant la liberté
de choix (Déclaration de M.S. Gorbacev
à l'ONU le 7 décembre 1988).
Vis-à-vis
de l'Europe, M.S. Gorbacev espère le
rapprochement entre les pays du COMECON et
ceux de l'Europe communautaire. En mars 1988,
il appelle à ce rapprochement en soulignant
l'appartenance de la Russie à l'Europe.
Au printemps de 1988, la Maison Commune Européenne
ne vise plus à déstabiliser
les relations entre les Etats-Unis et l'Europe,
mais à établir un véritable
partenariat entre l'Europe et l'URSS sur la
base d'un compromis respectueux des Etats.
C'est dans le cadre de ce partenariat que
la réunification de l'Allemagne, perçue
comme légitime par M.S. Gorbacev, pourra
se faire dans un mouvement fondamental de
« retour vers l'Europe ». Ce concept
évolue encore dans son discours à
l'ONU du 7 décembre 1988 : le rapprochement
des deux Europes se ferait non plus dans le
respect des valeurs des uns et des autres,
mais dans l'adhésion commune au respect
des libertés, des droits de l'homme
et du pluralisme politique.
La Maison Commune européenne est comme
la maison d'une civilisation vers laquelle
il faut revenir, ce que confirme le programme
du PCUS de juillet 1991 lequel abandonne la
lutte des classes et le monopole de la classe
ouvrière, reconnaissant la nécessité
d'installer une forme d'économie de
marché et se réclamant des valeurs
humanistes !
Dans ce contexte, la Maison commune européenne
prend une valeur idéologique nouvelle
: l'URSS se place vers le socialisme humaniste
social démocrate !
Echec
du Projet de Maison Commune européenne
A
partir de 1988, les leaders occidentaux s'intéressent
au projet. François Mitterand signe
tout une série d'accord avec l'URSS
en 1989. Pour lui, c'est participer à
la construction d'une unité paneuropéenne
qu'il juge naturelle et légitime. Il
va même jusqu'à proposer une
Confédération européenne
dont il présente les grandes lignes
le 31 décembre 1989 : « La confédération
devra réunir tous les Etats appartenant
à notre continent dans une organisation
commune et permanente d'échanges, de
paix et de sécurité ».
Dans cette confédération, l'URSS
rénovée à toute sa place
comme le montre la signature des traités
sur la réduction des armes conventionnelles
en Europe et la signature de la Charte pour
une nouvelle Europe.
Ces
idées vont échouer car les démocraties
populaires ; elle rompent avec l'URSS et le
socialisme, entrent dans l'OTAN ; l'Allemagne
sera réunifiée le 17 juillet
1790 sans que les projets de Maison commune
européenne et de Confédération
n'aient avancé. L'implosion brutale
de l'URSS, le 8 décembre 1991 et les
virulentes critiques de la diplomatie américaine
font échouer et la Maison Commune européenne
et la Confédération européenne.
Pourtant
encore en 1990, Boris Eltsine veut couper
le lien avec le socialisme et faire de la
Russie un pays européen et démocratique
à travers l'ouverture des relations
vers l'Occident et l'accession à une
économie de marché. Mais le
pays depuis 1988 est touché par une
crise économique catastrophique et
un trouble identitaire profond. De plus, Boris
Eltsine pense que les Américains cherchent
à « maîtriser » leurs
anciens territoires (intégration dans
l'OTAN) et condamne leur intervention en Tchétchénie
en 1994. Boris Eltsine abandonne alors la
stratégie pro-occidentale, se ferme
aux discours avec l'Europe et les Etats-Unis
et se tourne vers la Chine (1996 création
de l'Organisation de Coopération de
Shangaï (OCS).
Avec
l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine
(1999), la Russie essaie de s'entendre avec
les Etats-Unis et s'affirme européenne
: le 10 février 2003, la France, l'Allemagne
et la Russie déclaraient que «
l'axe Paris-Berlin-Moscou incarnait l'axe
de la paix ». La mise en place d'un
partenariat stratégique entre l'Union
européenne et la Russie autour d'un
axe Paris-Berlin-Moscou semble permettre à
l'Europe de résoudre les grands défis
du XXIe s. Cette nouvelle donne portée
en France par Jacques Chirac et Dominique
de Villepin, en Allemagne par H-D Genscher
et à Moscou par V.V. Poutine a immédiatement
suscité une violente attaque des Etats-Unis.
Dans
le New York Times, Thomas L. Friedman écrit
: « Il est temps pour les Américains
de s'en rendre compte : la France n'est pas
seulement notre alliée agaçante,
la France devient notre ennemie ». Cette
incroyable agressivité annonce l'échec
de l'axe Paris-Berlin-Moscou. Cette incroyable
agressivité s'explique par la deuxième
guerre du Golfe qui commence le 20 mars 2003.
Les Etats-Unis vont peser de tout leur poids
pour faire échouer cette tentative
de créer une Europe libre, souveraine
et unie. Une ultime chance de renouer le dialogue
entre la Russie et les Etats-Unis a été
offerte par les événements du
11 septembre 2011. La Russie est le premier
pays à soutenir les Etats-Unis et à
ouvrir les aéroports de la route de
la soie, bien que la Russie fut indignée
par l'attaque de l'Irak sans l'accord de l'ONU
et par le projet de pipe-line Bakou-Tbilissi-Ceyhan
pour se passer des oléoducs russes.
Avec l'Europe les relations se tendent avec
l'élargissement progressif de l'Union
européenne : les révolutions
de couleur pro-occidentale en Géorgie
(révolution des roses 2003) et Ukraine
(révolution orange 2004) exaspèrent
la Russie ; c'est l'époque de la paix
froide qui conduit à la guerre de Géorgie
(2008) et la reconnaissance par la Russie
de l'Abkhazie et de l'Ossétie du sud.
Quel
avenir actuellement pour la Russie et l'Europe
Pour
être précis et clair, il faut
se rapporter à l'opinion de V.V. Poutine,
exprimée dans son discours de ValdaÏ
(24 octobre 2014. V.V. Poutine fait un constat
: » la politique mondiale aujourd'hui
est avant tout une question de leadership
économique, de guerre et de paix avec
une dimension humanitaire incluant les droits
de l'homme. Aujourd'hui, le monde est plein
de contradictions que les organisations internationales
et régionales de coopération
politique, économique et culturelle
ont de plus en plus de mal à gérer.
La
guerre froide a bien pris fin en 1991, mais
sans traité de paix. Les Etats-Unis
se sont proclamés victorieux et la
notion de « souveraineté nationale
est devenue une valeur relative » dans
un monde unipolaire .
«
Certains disent que la Russie tournerait le
dos à l'Europe et rechercherait de
nouveaux partenaires commerciaux, surtout
en Asie... Permettez-moi de dire que ce n'est
absolument pas le cas. Notre politique active
dans la région Asie/pacifique n'a pas
commencé hier et elle continuera...
Avec l'Europe , V. V. Poutine explique «
Nous avons eu des discussions sur tous les
sujets liés l'association de l'Ukraine
avec l'Union européenne, des discussions
persistantes, mais je tiens à souligner
que notre action a été menée
d'une manière tout à fait civilisée,
en indiquant des problèmes possibles
et en soulignant les raisonnements et les
arguments évidents. Mais personne ne
voulait nous écouter et personne ne
voulait discuter ; ils nous ont simplement
dit « ce ne sont pas vos affaires, point.
Fin de la discussion ».
«
Au lieu du dialogue global civilisé
que nous proposions, ils en sont venus à
un renversement de gouvernement ; ils ont
plongé le pays dans le chaos, dans
l'effondrement économique et social,
dans une guerre civile avec des pertes considérables
». V.V.
Poutine poursuit : « Nous aurions également
accueilli favorablement l'initiation d'un
dialogue concret entre l'Eurasie et l'Union
européenne. Ils nous ont presque catégoriquement
refusé cela et il est difficile d'en
comprendre les raisons. J'ai maintes fois
proposé d'engager un dialogue sur la
nécessité de créer un
espace commun pour la coopération économique
et humanitaire s'étendant de l'Atlantique
jusqu'à l'Océan pacifique. La
Russie a fait son choix. Nous avons un agenda
pacifique et positif tourné vers l'intégration.
Nous travaillons activement avec nos collègues
de l'Union économique eurasienne de
l'Organisation de Shangaï (OCS), des
BRICS et avec d'autres partenaires ».
L'Union européenne n'est pas évoquée
! Le dialogue est bien rompue.
Pour
renouer le dialogue avec la Russie, l'Europe
doit prendre des initiatives et faire les
premiers pas pour effacer l'humiliation produite
par le « ce ne sont pas vos affaires
».Toutefois, auparavant, il est indispensable
de reconstruire une Union européenne
rassemblée, homogène et unie.
Aujourd'hui, l'Union européenne est
perçue comme un assemblage de deux
blocs : l'un, otanien et atlantiste, composé
par les ex-république soviétiques,
notamment les Pays baltes et la Pologne qui
tiennent des propos non seulement violemment
anti-russes, comme ceux de Madame Dolia Grybauskaite
et tolèrent des manifestations à
caractère nazi (cf. Riga et Ukraine).
Certes l'Union européenne s'est abstenue
lors du vote à l'ONU sur la résolution
sur « la lutte contre la glorification
du nazisme », mais cette attitude européenne
de complaisance vis-à-vis de cette
idéologie a suscité en Russie
une véritable indignation et constitue
un vrai blocage pour le renouveau au dialogue.
L'autre
groupe est formé du bloc français,
italien, espagnol, grec dont la plupart des
chefs d'état se déclarent en
faveur de la reprise du dialogue avec Moscou.
Quant à l'Allemagne dont le rôle
pourrait être essentiel, elle a perdu
en Russie une grande part de son crédit.
Angela Merkel est considérée
comme trop liée aux Pays baltes et
aux Etats-Unis. Aujourd'hui, la porte d'entrée
de la Russie vers l'Europe est la France.
C'est François Hollande qui a renoué
seul le contact avec V.V. Poutine lors de
son escale à eremiétevo
à son retour du Kazakhstan (5-6 décembre
2014). Cette initiative a été
appréciée à Moscou ce
qui justifie la grande compréhension
de la Russie devant la non-livraison des Mistral.
Tant
que l'Union européenne ne sera pas
reconstituée et cohérente, il
y a peu de chance pour qu'un dialogue constructif
avec la Russie se développe. Les initiatives
de la nouvelle équipe européenne
semble s'orienter vers des initiatives, notamment
celle de M. Junker appelant la formation d'une
force armée européenne mais
aussi celles de Donald Tusk et de Federica
Mogherini, aux propos mesurés1). L'Europe
doit comprendre que son adhésion unilatérale
à l'OTAN est incompatible avec la construction
d'une Europe libre et indépendante
dont le rayonnement économique, politique
et culturel passe par le retour à des
discussions et des liens avec la Russie.
1)
Note de la rédaction: Sur ce dernier
point, Juncker et Mogherinni, nous ne partageons
pas l'optimisme de l'auteur;:
Voir aussi, à l'occasion du 70ème
anniversaire de la Seconde Guerre Mondiale:
http://blogjparrignon.net/asc2i/le-role-de-lurss-dans-la-seconde-guerre-mondiale/