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Géopolitique.
La Chine, super-puissance à la mode
du 21e siècle ?
La Nouvelle Route
de la Soie
Jean-Paul Baquiast 25/04/2015

Jusqu'à
ces dernières années, l'Amérique
ne se cachait pas de vouloir demeurer pour
le 21e siècle la super-puissance, ou
plutôt l'hyperpuissance mondiale qu'elle
fut à partie du milieu du 20e siècle.
Certains parlent aujourd'hui d'Empire. Les
moyens qu'elle utilise pour cela ont été
parfait résumés par l'interview
de George Friedman que nous avons récemment
commenté: domination militaire et spatiale
absolue, domination scientifique très
étendue, élimination par la
diplomatie d'abord, le cas échéant
par la guerre, des pays qui voudraient rivaliser
avec elle, notamment la Russie aujourd'hui
et la Chine demain, maintien de relations
de type colonial avec le reste du monde, dont
en premier lieu l'Europe. Le propre de ces
relations est du type gagnant-perdant. On
peut dire aussi qu'elles reposent sur l'exclusion.
Les peuples colonisés font le travail
de production, sans en tirer d'avantages à
la hauteur de leurs apports. Ce sont les colonisateurs
qui s'enrichissent de leur travail, notamment
par l'intermédiaire des spéculations
financières auxquelles ils se livrent.
On
pourrait non sans raisons penser que l'Amérique
conservera longtemps cette capacité
à la suprématie. Marginalement,
l'Empire américain enregistre certes
quelques échecs, et donne parfois l'impression
de reculer, mais dans l'ensemble, il conserve
voire dans certains cas renforce les éléments
de sa puissance. C'est notamment le cas dans
les domaines militaires et scientifiques.
Aujourd'hui
cependant des Etats rassemblant presque 3
milliards de citoyens refusent ce qu'ils avaient
jusqu'ici accepter de faire, s'incliner devant
la domination américaine. C'est le
cas de la Russie post-eltsinienne, dans une
certaine mesure de l'Inde, mais surtout de
la Chine. La Chine, qui fut longtemps jadis
un Empire, auto-qualifié de Celeste
Empire, veut désormais le redevenir.
Mais elle a décidé de ne pas
aborder de front l'Empire américain,
dont elle n'a pas aujourd'hui encore les ressources
militaires et scientifiques. Elle veut devenir
une super-puissance, voire une hyper-puissance,
mais du type de celle que nous appelons ici
une super-puissance à la mode du 21e
siècle.
La
Nouvelle Route de la Soie
Que
signifie ce terme de super-puissance à
la mode du 21e siècle? Pour le comprendre
il faut analyser le grand projet dit de Nouvelle
Route de la Soie que la Chine avait décidé
de proposer à l'Eurasie il y a déjà
quelques années, et qu'elle commence
à concrétiser. Un Plan d'action
qui vient officiellement d'être publié
en donne la mesure. Tout récemment
la Chine a entrepris de compléter ce
projet, centré sur les infrastructures
de communication et les investissements associés,
par celui de Banque asiatique pour les investissements
d'infrastructures (AIIB). Nous avons plusieurs
fois ici présenté ces deux initiatives,
en soulignant à la fois les difficultés
de départ qu'elles rencontreront, mais
aussi leurs perspectives considérables
à terme. Deux économistes espagnols
du Real Instituto Elcano, (Institut Royal
Elcano) Mario Esteban et Miguel Otero-Iglesias,
viennent d'en proposer une étude particulièrement
pertinente. Malgré leur longueur, ce
Plan d'action et cette étude espagnole
mériteraient d'être étudiées
par tous nos lecteurs (voir les liens ci-dessous).
Les
auteurs respectifs ne cachent pas qu'il s'agit
pour la Chine d'un projet visant à
établir sur le monde, ou tout au moins
sur les deux-tiers du monde, et ce pour toute
la durée du 21e siècle, sauf
grandes catastrophes dans l'intervalle, une
domination de type impérial, pouvant
rappeler celle de l'ancien Céleste
Empire ou, en Europe, de l'Empire romain.
Mais cette domination sera radicalement différente
de celle que veut imposer l'Empire américain.
Elle ne sera pas exclusive (excluant les peuples
dominés) mais de type inclusif. L'objectif
poursuivi sera de créer une coopération
d'intérêts et d'Etats différents
qui développeront leurs capacités
respectives tout en enrichissant l'ensemble,
ce dont ils s'enrichiront en retour. On peut
dire aussi que la domination sera gagnant-gagnant.
Concrètement,
la coopération se fera par la mise
en place de deux grandes voies de transport
intercontinentales, l'une terrestre, l'autre
maritime. Les échanges permis dans
les deux sens, est-ouest et ouest-est seront
l'occasion de développer en commun
de nombreux programmes partagés, économiques,
commerciaux mais aussi culturels et scientifiques
Pour
sa part, l'AIIB a pour objet, dès maintenant,
de rassembler les trillions d'euros qui seront
nécessaires, en mobilisant dans un
premier temps les épargnes déjà
disponibles, notamment au sein du Trésor
Chinois, mais aussi en encourageant progressivement
le réemploi productif des profits résultant
des futurs investissements des Etats associés
au projet. Il s'agira donc en d'autres termes
d'un projet gagnant-gagnant.
Pas
d'affrontements directs
Au
plan diplomatique, la Nouvelle Route de la
Soie s'inscrira dans la ligne caractérisant
depuis 20 ans la politique extérieure
chinoise: ne pas affronter directement les
Etats invités à y participer,
quelles que soient leurs différents
ou différences aux plans politiques,
religieux, économiques, mais au contraire
escompter que ces différences s'atténueront
progressivement du fait des communautés
d'intérêts résultant de
leur participation à l'oeuvre commune.
Un exemple éclairant en est donné
par l'alliance Chine-Pakistan en cours de
développement, que nous avons relatée
dans un article précédent. La
Chine, apparemment, ne craint pas une contamination
par les mouvements islamistes djihadistes
proliférant au Pakistan mais escompte
que ces mouvements s'atténueront à
la longue, du fait de l'enrichissement résultant
de l'inclusion de ce pays dans une branche
nord-sud de la future route de la soie, reliant
la Chine et le port pakistanais de Gwadar
sur l'océan Indien. Se fait-elle des
illusions? En tous cas, aujourd'hui, elle
en prend le pari.
Un
autre exemple de cette stratégie ioncerne
les équilibres internes à la
Chine. La Route de la Soie devrait réconcilier
notamment les provinces développées
de la périphérie côtière
et celles moins développées
de l'intérieur, y compris la région
autonome du Sinkiang, qui abrite les mouvements
autonomistes souvent islamisés dits
ouïghours. L'avenir dira si ces espoirs
se réaliseront.
Un
projet visant à séduire toute
l'Eurasie
Un
des grands enjeux de la Route de la Soie sera
son acceptation par les pays du sud-est asiatique,
par l'Inde, le Moyen orient, l'Afrique et
finalement l'Europe, toutes parties du monde
qui seront très rapidement concernées,
notamment par l'itinéraire maritime
de la route. Ces vastes régions du
globe acceptent voire demandent déjà
des investissements chinois, se développant
à travers cette route maritime. Mais
ils ne les accueillent encore qu'avec une
certaine prudence, craignant d'encourager
à travers eux la prise en mains par
la Chine d'atouts économiques essentiels.
S'ils ressentent la Route de la Soie comme
entraînant leur participation, fut-ce
sur le plan gagnant-gagnant, à la mise
en place d'un Empire chinois de nouveau type,
quelles seront leurs réactions?
La
cas de la Grèce, bien étudié
dans l'article présenté ici,
sera révélateur. D'ores et déjà
des capitaux chinois sont impliqués,
promettant une nouvelle croissance à
la Grèce, en dehors du cercle démobilisateur
de l'Union européenne. Si les perspectives
découlant des investissements chinois
se généralisaient, se réalisent,
le gouvernement grec ne pourra qu'encourager
la participation de son pays aux vastes projets
que promet la Chine. Il en sera de même
des autres pays européens, y compris
de la Grande Bretagne, laquelle devrait être
le débouché sur l'atlantique
de la Route de la Soie. Il semble que l'Europe
dans son ensemble l'ait compris, comme l'a
montré sa hâte à s'inscrire
parmi les membres fondateurs de l'AIIB.
La
Russie
Qu'en
sera-t-il des réactions de la Russie
confrontée à ce qui sera indiscutablement
la mise en place d'une superpuissance chinoise,
fut-elle à la façon du 21e siècle,
aux frontières de son propre empire?
S'en inquiétera-t-elle? En principe,
la question ne devrait pas se poser, du fait
des projets de coopération amorcés
depuis déjà deux ans dans le
cadre du Brics. Dans ces projets, sur le mode
inclusif gagnant-gagnant évoqué
ci-dessus, les grandes puissances russe et
chinoise devraient chacune pouvoir se développer
sur le mode coopératif. La Russie apportera
notamment à la Chine ses moyens militaires
et les ressources agricoles et en matières
premières qu'elle tirera de vastes
territoires sibériens et arctiques.
La Chine apportera les ressources qu'elle
tirera de l'extension de son empire. Les projets
du Brics, en termes de monnaie commune, de
fonds monétaire et de banque Brics,
devraient s'en trouver renforcés. Certes
des rivalités entre Chine et Russie
pourront apparaître, notamment sur le
plan démographique. Mais elles devraient
se résoudre.
Les
relations de la Chine avec l'Inde, dans le
cadre notamment du projet de Route de la Soie,
pourraient également donner lieu à
des rivalités et à des inquiétudes
du côté indien, mais là-aussi
elles devraient se résoudre.
L'Empire
américain
La
seule victime de la transformation de la Chine
en superpuissance pour le 21e siècle
sera l'Empire américain. Celui-ci conservera
longtemps les supériorités militaires
et scientifiques évoquées en
introduction de cet article, mais à
quoi pourraient-elles lui servir? Sur le plan
militaire, nous avons plusieurs fois noté
que l'Amérique s'est engagée
dans une campagne de « containment »,
sinon d'agressions militaires, contre la Chine.
Le « pivot vers l'Asie » inauguré
il y a deux ans par Barack Obama vise clairement
à faire de la Chine l'adversaire n°2,
directement après la Russie. Mais à
quoi pourraient servir les escadres navales
et aéronavales américaines en
mer de Chine et dans le Pacifique, face à
un pays qui se borne à proposer de
nouvelles infrastructures d'échanges
et d'investissement. A moins de provoquer
artificiellement des incidents avec son allié
japonais en mer du Japon, Barack Obama ne
pourra pas convaincre les pays de la zone
de l'existence d'une « menace chinoise
contre la paix » nécessitant
d'eux une mobilisation générale.
On
peut au contraire penser que le Japon, comme
l'Indonésie, empêtrés
dans l'absence de développement découlant
d'une insertion dans l'empire américain
qui ne leur apporte rien, seront de plus en
plus tentés, malgré les menaces
de Washington, par les perspectives de la
Nouvelle Route de la Soie.
Références
*
Vision
and Actions on Jointly Building Silk Road
Economic Belt and 21st-Century Maritime Silk
Road 2015/03/28
*
L'article de Mario Esteban et Miguel Otero-Iglesias
a été publié en espagnol
par l'Institut Royal Elcano
Qué
podemos esperar de la nueva Ruta de la Seda
y del Banco Asiático de Inversión
en Infraestructuras liderados por China?.
*
Version
en anglais:
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