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Sciences,
technologies et politique.
Louis Pouzin
Jean-Paul
Baquiast 06/04/2015

Nous ne pouvons
pas ici traiter du rôle actuel de Louis
Pouzin au service de l'internet européen
sans remettre son action dans la perspective
du Plan Calcul, dont il a été,
au sein de l'IRIA, devenue INRIA -Institut
National pour la Recherche en Informatique
et Automatisme- un acteur essentiel.
NB.
Sur ces questions, nous avons largement puisé
dans la documentation très largement
objective offerte par Wikipedia, tout en y
ajoutant à l'occasion quelques points
résultant de notre expérience
personnelle.
Ci-joint
aussi une contribution et un texte de Philippe
Picard "Bref Historique de Transpac"
Juin 2014. Nous l'en remercions A.I.
Le
Plan Calcul
L'origine du
plan Calcul fut la prise de contrôle
par General Electric, en 1964 de la firme
française Bull ayant perdu, face à
IBM et à son ordinateur 1401 toute
possibilité de demeurer sur le marché
de ce type de calculateur , en plein développement.
Il s'agissait d'une défaite face à
la domination américaine que le général
de Gaulle, alors président de la République,
avait a juste titre jugé très
grave.
Rappelons que
De Gaulle, dès juin 1940, s'était
battu pour que la France ne devienne pas une
simple colonie des Etats-Unis. C'est en réaction
contre les difficultés de l'industrie
électronique française qu'il
décida de lancer le plan Calcul à
la suite du rapport de Francois Xavier Ortoli,
directeur de cabinet du Premier ministre George
Pompidou. L'objectif était de développer
une industrie nationale informatique destinée
à devenir un des piliers d'une industrie
européenne dans ce secteur. De Gaulle
avait compris, avec une clairvoyance remarquable,
qu'une Europe autonome à l'égard
des Etats-Unis ne se construirait pas sans
de grands projets industriels communs.
Le plan Calcul
se traduisit par plusieurs actions. La plus
importante fut la création d'une compagnie
d'informatique privée mais aidée
par l'Etat, la Compagnie Internationale pour
l'Informatique (CII) dont le capital était
partagé entre Thompson et la Compagnie
générale d'Electricité.
Le plan Calcul entraîna aussi la création
de l'IRIA, Institut de Recherche en Informatique
destiné à rassembler et dynamiser
la recherche universitaire en ce domaine,
alors très dispersée et sans
ressources sérieuses.
Un petit service
administratif, rattaché au Premier
ministre, la Délégation Générale
à l'Informatique, confié au
gaulliste et ancien de la 2eDB Robert Galley
fut chargé de faire la liaison entre
l'industrie, la recherche et les administrations
d'Etat concernées.
La CII, aux mains
d'équipes remarquables, acquit progressivement
une véritable autonomie technique et
une aptitude à développer des
matériels compétitifs, notamment
des mini-ordinateurs et des disques magnétiques.
Le plan Calcul
comportait d'autres volets :
* Un plan Composants
visait à accélérer le
développement de l'industrie française
des circuits intégrés. Il obtint
des résultats, mais mais fut vite dilué
dans les stratégies divergentes des
groupes Thomson et CGE.
* Un effort de
formation à l'informatique, à
la fois dans l'Éducation nationale
et dans divers organismes publics ou privés,
avec la création d'un ensemble de diplômes,
la reconnaissance de l'informatique comme
discipline scientifique et diverses opérations
destinées à mobiliser les établissements
du secondaire.
Après
le départ de De Gaulle, Georges Pompidou
reprit l'ensemble de l'ambition, avec cependant
moins de volontarisme politique. Robert Galley
fut remplacé comme Délégué
à l'Informatique par Maurice Allègre,
plein de bonne volonté mais manquant
de l'autorité de Galley face aux intérêts
privés et publics contradictoires.,
En 1971, après
avoir enregistré un premier succès
avec le lancement de la gamme Iris 50 qui
se révéla aussi efficace que
le concurrent 1401 d'IBM, la CII lança
un projet européen devenu en 1973 Unidata,
associant CII, Philips et Siemens. Chacun
des trois participants se chargeait de développer
une partie de la nouvelle gamme d'ordinateurs
compatibles. L'opération obtint un
plein succès. La voie d'un Airbus de
l'informatique était en vue.
Mais Giscard
d'Estaing, élu président en
1974 et entièrement dévoué
à des sociétés françaises
hostiles au Plan Calcul, décida de
l'abandon du projet, sans consulter aucun
des partenaires. Ceux-ci se sont souvenus
de ce qu'ils ont nommé une trahison
française. Trente ans après
Siemens reste réfractaire à
une quelconque alliance avec des entreprises
françaises. La CII disparut peu après
à la suite d'une fusion avec Honeywell-Bull
lui ayant retiré toute indépendance.
On présente
souvent le Plan Calcul comme un échec.
C'en fut un, mais diplomatique et politique.
La France capitula une nouvelle fois, qui
ne sera pas la dernière, devant les
très puissants intérêts
américains et leurs relais français.
très nombreux dans les milieux dits
atlantistes. De Gaulle malheureusement n'était
plus là et les gaullistes perdirent
vite de vue sa politique d'indépendance
et son projet industriel européen.
Renvoyons pour plus de détail au livre
de Jean-Michel Quatrepoint, French Ordinateurs,
référencé en note.
Louis
Pouzin à l'INRIA
En 1970, Louis
Pouzin, ancien élève de Polytechnique,
fut recruté par un adjoint de Maurice
Allègre. Michel Monpetit, pour créer
un réseau d'ordinateurs français
pour la recherche. Les exigences étaient
différentes de celles demandées
par l'informatique de gestion. Il devait,
outre la production de logiciels scientifiques,
permettre une communication en réseau
avec d'autres centres de recherches dans le
monde. Le projet, baptisé Cyclades,
était doté du budget de 5 millions
de francs par an pendant 5 ans. L'objectif,
dans l'esprit de ses promoteurs, était
d'aider les chercheurs à travailler
à distance, et susciter de nouveaux
axes de recherche dans le domaine des réseaux,
à l'image de ce qui se faisait aux
Etats-Unis avec le réseau ARPA. Il
devait aussi faire un contre-poids industriel
à une recherche jugée trop universitaire
au sein de l'IRIA de l'époque.
Dans cette perspective,
Louis Pouzin a inventé le datagramme
et conçu le premier réseau à
commutation de paquets, innovation essentielle
aujourd'hui à la base du réseau
Internet. Les travaux de Cyclades ont été
largement utilisés par l'américain
Vint Cerf pour la mise au point de l'Internet
américain et du protocole TCP/IP.
En novembre 1973
eut lieu la première démonstration,
à l'IRIA, des performances du projet
Cyclades. Toujours sous la direction de Louis
Pouzin, le réseau relia en 1975 un
total de 25 centres de recherche. Aucune raison
technique n'aurait empêché à
l'époque que ce réseau ne devienne
le coeur d'un Internet français (et
pourquoi pas européen) sur le modèle
de l'Internet américain. Mais ces perspectives
sans mentionner l'hostilité américiane
croissane, déplaisaient au lobby, très
bien représenté à l'époque,
des ingénieurs français des
télécommunications. Ceux-ci
s'intéressaient d'abord au développement
franco-français du réseau minitel.
Comme en ce qui
concerne le plan Calcul, l'élection
de Valéry Giscard d'Estaing à
la présidence de la République
entraina le dépérissement du
projet Cyclades. De leur côté
les PTT ont imposé la norme X.25. Cette
dernière se révéla un
succès international, mais elle profita
surtout à l'Internet américain.
Toute ambition d'une présence française
parmi les opérateurs de celui-ci avaient
été abandonnée. .
Louis
Pouzin aujourd'hui
Celui qui a été
reconnu à juste titre comme l'inventeur
de l'Internet est aujourd'hui président
de l'Eurolinc,
association experte sur la gouvernance internationale
et le multilinguisme d'Internet. Il dirige
aussi Open-Root,
une alternative "éthique"
à l'Icann.
Dans ce cadre, il n'a pas renoncé à
l'ambition de redonner à la France
un minimum de poids au sein des instances
internationales de l'Internet, entièrement
dominées par les intérêts
et industriels américains, très
largement utilisées aussi par l'espionnage
menée par la CIA et la NSA, comme l'ont
montré à tous les révélations
récentes de Edward Snowden.
Mais dans cet
effort, il se heurte à l'incompréhension,
à l'indifférence et aussi à
l'hostilité active de ceux des trop
nombreux intérêts français
restés fidèles à l'atlantisme
et à ses tentations.
Dans un interview
qu'il vient de donner à La Tribune,
il explique ses objectifs mais montre aussi
les difficultés essentiellement politiques
à surmonter. Il nous a autorisé
à en reprendre de larges extraits.
Interview
de Louis Pouzin par La Tribune
LA
TRIBUNE. Pourquoi avez-vous lancé,
il y a plus d'un an, Open-Root pour concurrencer
l'Icann dans la vente de noms de domaines
Internet ?
LOUIS
POUZIN. Serait-il acceptable que les États-Unis
gèrent l'annuaire mondial de tous les
abonnés au téléphone
? Le monopole de l'Icann est une sorte de
racket financier, curieusement toléré
par les États (sauf la Chine). Les
nouvelles extensions génériques
« .book », « .credit »,
« .sport », « .vin »
excluent en pratique une délégation
à d'autres firmes que des spéculateurs
étasuniens capables de débourser
150 millions de dollars pour s'offrir 300
extensions.
Et
si une extension est mondialement populaire,
elle devient de facto un monopole mondial
hors concurrence. D'où les tarifs abusifs
et la capacité de sélectionner
les clients de domaines sur des critères
opaques.
Ce
système est une réplique de
la colonisation par les Européens aux
18e et 19e siècles : appropriation
des ressources des colonisés (noms),
introduction de règles ou de méthodes
profitables aux colons, vente aux colonisés
de services ou produits (système de
noms de domaines, ou DNS)... constitués
de leurs propres ressources.
Le
modèle Open-Root que j'ai créé
est différent de la location auprès
de l'Icann de noms de domaine : nos clients
achètent et sont propriétaires
des extensions qu'ils choisissent (des "registres"
au sens Internet) ; ils peuvent alors créer
gratuitement les domaines de leur choix. Nous
comptons une trentaine de clients, à
majorité des organismes sans but lucratif.
Une
gouvernance multi-pays de l'Internet est-elle
vraiment possible ?
Le
poids lourd de la gouvernance du Net est la
gestion des noms de domaine, centralisée
sous le contrôle de l'Icann. Cette société
privée californienne a été
créée en 1998 pour garder l'Internet
sous le contrôle du gouvernement américain,
sans que cela suscite trop de protestations
des autres États ni de la population
à mentalité libérale
des milieux de la recherche aux Etats-Unis.
L'idée
était d'apparaître comme le bon
samaritain, alors que le plan réel
était de développer un outil
d'espionnage mondial : il a été
suivi avec précision Cette partie de
l'Icann est trop essentielle à la stratégie
de dominance du gouvernement des États-Unis
pour être placée sous une autre
autorité.
Si
elle l'était sur le papier, ce ne serait
qu'un trompe-l'il. Il est irréaliste
d'espérer un changement de position
du gouvernement américain sur ce point.
Si le champ de la gouvernance était
réduit aux fonctions techniques, protocoles,
paramètres, allocations de numéros
IP, cet ensemble pourrait être transféré
à un autre organisme en conservant
tout ou partie de ses moyens, y compris en
personnel. Son fonctionnement est quasiment
autonome, via le groupe de travail de génie
Internet (IETF) et les registres Internet
régionaux (RIR). L'Internet continue
à fonctionner.
Quelle
est la marge de manuvre des autres pays
?
Plutôt
que de de se résigner, les États
ont le choix de s'affranchir eux-mêmes
de la gouvernance étasunienne : ils
peuvent gérer leurs domaines de premier
niveau de noms géographiques, tels
que « .fr » pour la France, comme
prévu dans l'agenda de Tunis ; ils
peuvent créer leurs extensions et leur
DNS comme l'ont fait des sociétés
privées avant la création de
l'Icann ; ils peuvent rapatrier leurs «
.com », « .org », «
.net » et autres extensions accaparées
par les États-Unis et les mettre à
l'abri du FBI.
Ni
le monopole de l'Icann ni le DNS unique n'ont
de base légale ou technique. Reste
à vérifier s'il existe encore
des volontés politiques pour passer
à l'action. Bien sûr, des échanges
seront nécessaires entre États,
ou régions du monde, pour maintenir
l'interopérabilité, ouvrir plus
largement l'Internet aux langues natives,
tenir compte des lois en vigueur, régler
des disputes, etc. C'est traditionnellement
le rôle d'organismes collectifs existants
tels que l'IETF, l'ISO, l'UIT, l'Unesco ou
encore l'OMPI.
Il
y a un an, après les révélations
« Snowden », la chancelière
allemande Angela Merkel proposait que l'Europe
se dote de son propre Internet sécurisé.
Est-ce faisable ?
La
création du « .eu » il
y a dix ans cette année était
vantée pour offrir aux Européens
un espace de confiance. Si l'idée d'un
Internet européen refait surface, c'est
sans doute que cela n'a pas marché.
Pour
en avoir un digne de ce nom, il faudrait se
donner les objectifs suivants :
* que sa gouvernance soit sous une autorité
souveraine européenne qui élimine
les monopoles fabriqués par l'Icann;
* qu'il puisse fonctionner en l'absence de
ressources situées hors de l'Europe
(personnel, données, voies de communication,
énergie);
* qu'il assure les communications non seulement
en Europe, mais aussi avec tous les autres
espaces non européens n'y faisant pas
obstacle;
* qu'il soit sécurisé sous le
contrôle d'organismes européens;
* qu'il soit utilisable dans toutes les langues
de l'Europe.
Ces
conditions n'ont rien d'extravagant car, à
l'exception du multilinguisme, elles sont
appliquées par défaut aux États-Unis.
Il faut noter qu'un réseau sécurisé
ne signifie pas que ce soit un espace de confiance
: sans oublier la multitude de « vermines
» installées par la NSA (National
Security Agency), une cause majeure d'insécurité
est le comportement des utilisateurs et leur
usage d'appareils non sécurisés.
La
neutralité de l'Internet semble ne
plus tenir face à l'explosion du trafic,
notamment de la vidéo. La gestion et
la "prioritisation" des flux sont-elles
inéluctables ?
Texte,
image, voix, musique, vidéo, film,
alarme, rythme cardiaque, etc. Tout transmettre
sur une même artère mutualisée
nécessite une gestion spécifique
pour arriver en temps voulu à leur
destination. Comme le coût de l'infrastructure
est de plus en plus élevé, ainsi
que la facture au client, il faut donc optimiser
le trafic, c'est-à-dire les priorités
de transmission, en tassant ou en découpant
les paquets. Quand la capacité est
saturée, ou les récepteurs trop
lents, il y a embouteillage comme dans le
trafic urbain. Là, il faut installer
plus de capacité et investir en faisant
des hypothèses sur les besoins futurs.
Au
début de l'ADSL, les opérateurs
ont offert des tarifs sans limite de capacité
qui favorisent les gros consommateurs, aux
frais des petits. Dans un modèle économique
de rentabilité du réseau, il
n'y a pas d'autre choix que de financer la
capacité par les tarifs : les gros
payeurs, en nombre limité, sont alors
les grands consommateurs et producteurs d'information,
et les autres, en grand nombre, paient moins.
La
répartition des coûts entre ces
populations relève de politiques publiques,
assez disparates dans l'espace européen.
Il faudra sans doute plusieurs étapes
pour trouver un consensus.
Notre
conclusion
Certains observateurs
pensent que la bataille pour arracher aux
Etats-Unis la domination des réseaux,
tant aux géants américains du
Web qu'à la NSA et la CIA, est définitivement
perdue. Louis Pouzin ne se prononce pas sur
ce point. Néanmoins, les conditions
auxquelles devrait selon lui satisfaire un
internet européen ne paraissent pas
susciter un grand intérêt chez
les gouvernements de l'Europe.
Nous pensons
pour notre part qu'une telle bataille ne pourrait
être reprise par les intérêts
européens qu'au sein de l'ensemble
géopolitique du Brics en cours de constitution.
Dans le domaine des télécommunications,
le Brésil, membre du Brics, avait proposé
de créer un réseau internet
privatif Brics. De leur côté
la Russie et la Chine ont mis en place des
réseaux relativement fermés,
mais ne communiquant pas ensemble, ni avec
le reste du monde. L'Europe, avec ses exigences
propres, ne pourrait pas participer sans précautions
à de tels projets. Mais elle pourrait
leur apporter une compétence considérable.
En ce cas, les
questions politiques et techniques à
résoudre seraient nombreuses, notamment
celles relatives à la nécessité
de ne pas se couper des réseaux internationaux
existants tout en se protégeant des
multiples agents d'intrusion qu'ils véhiculent.
Ce projet devrait devenir un point essentiel
d'une coopération stratégique
euroBrics, si celle-ci voyait prochainement
le jour.
Quelques
documents à consulter
*
Interview de Louis Pouzin repris dans
l'article
* Louis
Pouzin
* Plan
Calcul
* Plan Calcul
Article
de Les Echos. 2012
* Une analyse
politique clairvoyante, toujours d'actualité:
Jean-Michel Quatrepoint
French
ordinateurs : De l'affaire Bull à l'assassinat
du plan Calcul 1976
* Délégation
générale à l'Informatique
* Cf aussi, sur
"la saga française des réseaux"
Contribution
de Philippe Picard
Merci
pour ce texte. J'ai vécu l'histoire
en tant que responsable du projet Transpac
de 1974 à 1982.
Deux petites remarques:
Vous
écrivez
"En novembre 1973 eut lieu la première
démonstration, à l'IRIA, des
performances du projet Cyclades. Toujours
sous la direction de Louis Pouzin, le réseau
relia en 1975 un total de 25 centres de recherche.
Aucune raison technique n'aurait empêché
à l'époque que ce réseau
ne devienne le coeur d'un Internet français
(et pourquoi pas européen) sur le modèle
de l'Internet américain. Mais ces perspectives
déplaisaient au lobby, très
fort à l'époque, des ingénieurs
français des télécommunications.
Ceux-ci s'intéressaient d'abord au
développement franco-français
du réseau minitel.":
c'est
vrai que le Minitel a bénéficié
de l'existence de TRANSPAC. Mais ce n'était
pas le premier marché visé qui
était avant tout les réseaux
internes et inter entreprises.
"
Comme en ce qui concerne le plan Calcul, l'élection
de Valéry Giscard d'Estaing à
la présidence de la République
entraina le dépérissement du
projet Cyclades. De leur côté
les PTT ont imposé la norme X.25. Cette
dernière se révéla un
succès international, mais elle profita
surtout à l'Internet américain.
Toute ambition d'une présence française
parmi les opérateurs de celui-ci avaient
été abandonnée. "
X25
a peu été adopté aux
USA et n'a pas particulièrement profité
à l'internet US!
Parmi
les documents cités, il y le document
de Guy Pichon: très détaillé,
il plutôt inexact sur les aspects plus
politiques.
Et
puis sur la concurrence circuits virtuels
(X25) et datagrammes (IP), il faut avant tout
rappeler que les objectifs des projets TRANSPAC
et CYCLADES, tout en ayant en commun l'usage
du principe de la commutation par paquets,
avaient des objectifs très différents.
Réduire cette concurrence au lobby
des ingénieurs des télécom
est un peu juste.
Pour
info, je joins un texte récent qui
résume ma vision de l'histoire des
relations entre les deux projets (cela date
des années 1970!), avec en rouge les
points chauds.
Bref
historique de TRANSPAC
Ce
bref papier est un témoignage personnel
sur une opération démarrée
il y a plus de 40 ans : autant une éternité
quand on connait le rythme dévolution
extraordinaire qua connu depuis cette
époque le monde des TIC. Difficile
de se remémorer létat
desprit et les connaissances de lépoque.
Avec
un peu de nostalgie, on remarquera que la
France fut alors dans ce domaine des télécom
et linformatique à la pointe
de linnovation avec deux équipes
et projets (certes concurrents) capables de
jouer dans la cour des grands du monde international
des télécom et de linformatique :
· léquipe CYCLADES dans
lorbite de la délégation
à lInformatique et de lIRIA
· léquipe TRANSPAC dans
lorbite des PTT.
*****
Au début des années 1970, deux
produits principaux étaient proposés
par la DGT sur le marché des transmissions
de données: lusage du réseau
téléphonique et un catalogue
étendu de liaisons spécialisées
téléphoniques (et de façon
marginale le TELEX, trop lent). Afin de manifester
une présence commerciale sur le marché,
la DGT a lancé plusieurs « stop
gap » : CADUCEE, TRANSPLEX,
TRANSMIC. Bien que modestes, ces projets auront
servi dapprentissage pour lancer un
programme bien plus ambitieux tel que TRANSPAC.
A cette époque, la communauté
des PTT commençait à étudier
au CCITT les futurs réseaux de données
sur la base de la technologie de commutation
de circuits temporelle et de la transmission
numérique de bout en bout (« ils
en rêvaient, le RNIS la fait
15
ans après »). Cest
dans ce cadre « culturel »,
que le CNET avait lancé le programme
détudes « HERMES »
en 1970.
Cest alors que plusieurs évènements
ont bousculé ce long fleuve tranquille pour
finalement faire un empannage de stratégie
spectaculaire et remarquable pour sa réactivité
de la part dune vieille administration
telle que les PTT !
· Le projet ARPA aux USA matérialisant
le concept de commutation par paquets imaginé
et modélisée au début
des années 1960 ;
· Le lancement par la délégation
à linformatique et lIRIA
du projet CYCLADES, destiné à
prolonger « à la française »
les travaux dARPA, heurtant de front
le domaine réservé des PTT et
du CNET ;
· Sous limpulsion de Pierre Lhermitte
(DSI de lEDF puis de la Société
Générale et fondateur du CIGREF)
création dun groupement interentreprises,
le GERCIP, avec pour objectif létude
de faisabilité dun réseau
partagé de transmissions de données
par paquets ;
· En 1974, la commission européenne
se préoccupait du marché en
ligne de linformation scientifique et
technique. Pour cela, il était nécessaire
de disposer dun réseau international
ad hoc. Les PTT, brandissant létendard
de leur monopole, proposèrent de réaliser
le réseau pour le compte de la Commission.
Pour ce faire, un groupe dédié
de la CEPT étudia les offres disponibles
dans les délais souhaités :
la conclusion en fut que seul un réseau
en commutation par paquets serait envisageable,
à la fois du point de vue technique
et compte tenu des délais souhaités.
Cest ainsi que naquit le projet du réseau
EURONET. Cette affaire eut le mérite
de faire prendre conscience aux PTT européens
de limportance de de la commutation
par paquets et de lintérêt
davoir des positions communes sur les
normes en cours de discussion au CCITT.
Profitant
de la création du CCETT en 1972 (« filiale »
commune du CNET et de la Direction des études
de lORTF), le CNET décida la
création à Rennes dune
équipe dédiée à
la commutation de paquets, chargée
de réaliser un réseau expérimental
(RCP) et dacquérir de la compétence
dans cette technologie, très exotique
pour la culture du milieu télécom.
Cette équipe était dirigée
et inspirée par Rémi Desprès.
La « road map » générale
dHERMES nétait pas encore
remise en cause avec une puissante équipe
détudes basée au CNET
Paris dédiée à la commutation
de circuits de données.
Malgré des tentatives de rapprochement
initiales, la coopération entre les
équipes de RCP et de CYCLADES ne se
fit pas : certes rivalités entre
institutions et entre équipes de recherche,
mais surtout différence fondamentale
dobjectifs malgré le point commun
dutilisation du principe de la technologie
de la commutation de données par paquets
.
Dans ce contexte assez passionnel, le CNET
poussa L.J. Libois, alors Directeur Général
des Télécom, à annoncer
publiquement fin 1973 quil avait demandé
au CCETT détudier les spécifications
dun réseau de commutation par
paquets avec possible ouverture en 1976. Il
sagissait dune préannonce
sans quil y ait encore une décision
formelle, la commutation de circuits en mode
Hermès étant encore présentée
lors de cette conférence comme le projet
principal. Cette annonce eut le mérite
démettre un message fort en direction
du marché et surtout de mobiliser les
énergies de léquipe RCP
du CCETT.
Un an après, Gérard Théry,
nouveau Directeur Général des
Télécommunications ayant rapidement
pris connaissance du dossier (baptisé
TRANSPAC à lété
1974), endossa le projet et entrepris de «
le vendre » à la technostructure
politique.
Au cours dun comité interministériel
consacré aux télécommunications
fin 1974, trois grandes décisions furent
prises :
1. Approbation du plan pluriannuel de rattrapage
de léquipement téléphonique
2. Arrêt des projets de télévision
par câble étudiés par
la SFT, filiale des PTT et de lORTF
3. Approbation du projet Transpac sous trois
conditions :
a. Création dune société
spécifique pour exploiter le réseau
b. Participation des utilisateurs au capital
de cette société
c. Accord avec lIRIA sur les spécifications
techniques
Une équipe projet fut alors mise en
place pour piloter les divers aspects de lopération
(maîtrise duvre technique,
marketing, exploitation, aspect industriels,
relations avec le Ministère de lIndustrie,
tuteur de lINRIA)
Début 1975, la commission spéciale
du CCITT approuva un projet de recommandation
pour les réseaux publics de paquets,
transformé à la plénière
de 1976 en célèbre recommandation
X25).
Cest sur ces bases que TRANSPAC se lança.
Une consultation ouverte conduit, à
la fin 1975, au choix du mieux disant, le
groupement piloté par SESA (avec TRT,
garant du savoir faire industriel). Le réseau
ouvrit officiellement fin 1978.
La mise en place de TRANSPAC supposa de nombreuses
innovations (pour lépoque) :
· Le projet technique fut difficile
mais on peut rendre hommage à la SESA
de lavoir mené à bonne
fin dans des délais raisonnables. Malgré
sa déception initiale liée au
choix du fournisseur, léquipe
technique (ex RCP) joua son rôle de
maitre duvre et contribua fortement
au succès ;
· Le GERCIP récupéré
et transformé en panel de grands clients
potentiels (le GERPAC) fut essentiel pour
calibrer les tarifs et motiver les constructeurs
informatiques pour préparer le support
dX25. Au moment de la création
de la société Transpac, le GERPAC
se transforma en UTIPAC, actionnaire de la
société : cétait
le moyen de respecter une des conditions initiales
du lancement de TRANSPAC ;
· Comme déjà mentionné,
la connexion à X25 était essentielle
pour le succès de lopération.
Les spécifications étaient complexes
pour lépoque. Transpac publia
très tôt des « STURS »
et fournit des facilités de test de
connexion. Lenthousiasme des constructeurs
fut modéré au départ
mais discrètement encouragé
par des marchés détudes
passés par la DGT. IBM avait affiché
son hostilité à X25 (mal intégrable
dans SNA) mais a été prêt
à temps avec un « RPQ »
développé à La Gaude !
· Les tarifs étaient, dès
le départ, indépendants de la
distance. Leur positionnement concurrentiel
a été facilité par le
très haut niveau du prix des liaisons
spécialisées, base des réseaux
privés de liaisons spécialisées
quil fallait concurrencer. Ils furent
annoncés assez tôt pour permettre
lanticipation des clients potentiels.
· Ils furent annoncés suffisamment
tôt (1976) pour motiver lanticipation
des clients potentiels. Les calculs de rentabilité
furent basés sur latteinte du
petit équilibre en 5 ans et du grand
équilibre en 8 ans. Les objectifs furent
largement atteints grâce à une
rapide croissance du réseau
Avec le recul (et plus de 30 ans dexistence)
on peut tirer quelques enseignements de lopération
Transpac dont le bilan fut globalement
positif:
· Le marché visé (on
dit aujourdhui B2B) a en fait couvert
plusieurs grands segments :
o Les réseaux internes aux grandes
et moyennes entreprises ;
o Le réseau de transport de lannuaire
électronique et de Teletel (dont le
trafic a été majoritaire dès
1985 au point de « planter »
le réseau ;
o Le support des réseaux interentreprises
(comme le réseau cartes bleues) et
la collecte pour les réseaux de grande
diffusion (terminaux point de vente pour la
Carte Bleue, feuilles de soins, etc.)
On remarquera quau moment de larrêt
de TRANSPAC en 2012, les entreprises avaient
pour la plupart migré vers une architecture
TCP/IP. Par contre cette décision entraîna
larrêt du vidéotex, encore
largement utilisé, et des échanges
bancaires basés sur ETEBAC, un protocole
ancien mais réputé pour sa sécurité
· La cohérence de phase entre
le calendrier du projet et lapprobation
internationale dX25 fut un facteur indispensable
de succès. Le Vidéotex français,
magnifique réussite technique et économique
fut malheureusement un échec sur le
plan international du fait dabsence
de norme internationale reconnue ;
· Le plus original de lopération
fut la création de la société
selon la décision de fin 1974 donnant
le feu vert à la création de
TRANSPAC. Lessentiel du personnel de
la DGT était contre (syndicats, cadres,
etc.). Un rapport détudes fut
demandé à Maurice du Mesnil,
Directeur des Télécom Longue
Distance, et opposant déclaré
au principe de création de la société.
Contrairement à ce qui a pu être
dit ici et là, ce rapport neut
aucun impact sur une décision qui avait
été prise dès la fin
de 1974, mais il fut cependant utile aussi
bien sur les aspects financiers que sur les
problèmes de gestion de personnel de
la future société ;
· Lexistence de la société
permit de recruter rapidement une équipe
formée au savoir-faire commercial de
linformatique professionnelle.
· Lexistence de la société
généra plusieurs problèmes :
o Difficulté financière pour
la DGT qui avait supporté les financements
dorigine : la société
devenue très rentable supportait les
impôts sur les bénéfices !
Le moyen trouvé fut de relever progressivement
les tarifs de location des circuits payés
par Transpac ;
o Après un fort esprit dentreprise
à lorigine, le confort de la
réussite a rendu la société
conservatrice (« retard à
lallumage » pour le frame
relay et surtout lIP)
o Grande ambition internationale de Transpac
(création de filiales européennes)
se heurta à la stratégie internationale
de la DGT
o Complexité de la réintégration
des personnels de Transpac dans France Telecom
au moment de la mutation vers lIP :
les personnels de Transpac avaient bénéficié,
grâce à la prospérité
de la société TRANSPAC davantages
acquis difficilement difficiles à reconduire
dans le cadre de France Télécom
· Les retombées industrielles
furent décevantes malgré lavance
initiale de Transpac qui avait contribué
à la création dun écosystème
centré sur la technologie X25 (commutateurs,
logiciels de connexion, outils de test, etc.).
A la fin des années 1980, avant la
grande mutation vers les lIP, lindustrie
française des commutateurs X25 avait
fortement périclité ;
· X25 fut un phénomène
avant tout européen : réseaux
dentreprise SNA, DECNET, etc. sur liaisons
spécialisées dominaient le réseau
nord-américain. Rappelons que Telenet,
allié pour atteindre laccord
X25, était un réseau de collecte
de trafic de terminaux ;
· Les architectures des constructeurs
(SNA, DSA, etc.) ont utilisé X25 comme
outil de multiplexage statistique de liaisons
spécialisées virtuelles, sans
lintégrer de façon plus
intime. Cest finalement Teletel, grâce
aux PAVIS, qui a le mieux exploité
la capacité de commutation dX25.
Philippe
Picart Juin 2014
Contribution
deJacques Bursztejn
Merci pour ces rappels historiques.
Malgré tout il ne faut pas oublier
que dans la même période ont
été développé
des réseaux militaires ( une des motivations
étant les gréves des PTT de
1968 qui ont poussé les militaires
a être indépendants ) RITTER
,RITA .. puis SYRACUSE
Tous ces systèmes étaient numériques,
par paquets et étaient précurseurs
des développements ultérieurs
du domaine civil.
En particulier RITA ( qui fut acheté
par les US) n'a en aucune manière servi
aux développements du GSM.
Les technologies "duales" nétaient
pas encore inventées donc pas encore
oubliées comme aujourd'hui.
Voir: http://www.ltt.fr/index_3_trans-equipements-rita.htm
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