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Editorial.
TTIP. Le corporate power transnational
à l'assaut de ce qui reste du pouvoir
des Etats
Jean-Paul
Baquiast, Christophe Jacquemin 22/04/2015
Nous avions signalé il y a quelques
jours, sous le titre de présentation
« Les véritables maîtres
du monde » une étude de chercheurs
suisses publiée en 2011 et dont nous
avons seulement pris connaissance récemment.
Il s'agit de « The
Network of global corporate control ».
Or on retrouve aujourd'hui ce corporate power
directement à l'oeuvre pour faire aboutir
les projets de TTIP
L'étude analyse dans le détail
ce que les auteurs présentent comme
un superorganisme organisé en filet
qui étrangle le monde afin de se l'approprier.
Ce superorganisme est constitué du
réseau des grandes entrepris transnationales.
Bien que nulle autorité n'en assure
en apparence la direction, il prend toujours
en temps opportun les bonnes décisions
permettant d'augmenter en permanence son influence.
Evoquer
un superorganisme peut surprendre. Mais ceci
n'étonnera pas ceux qui étudient
le fonctionnement des superorganismes, qu'ils
soient constitués d'humains ou d'autres
espèces vivantes. Constamment un tel
organisme s'adapte aux modifications de l'environnement
et tente de prendre les bonnes décisions
lui permettant d'y survivre. Certains n'y
réussissent pas et disparaissent. D'autres
y réussissent et s'étendent
tout en se renforçant.
Dans
le cas des entreprises transnationales, on
ne prétendra pas qu'elles n'aient pas
à leur tête des chefs capables
de prendre les décisions nécessaires,
non seulement à la survie de l'entreprise
individuelle, mais aussi au développement
du système global. Néanmoins,
l'expérience montre que ces chefs,
quelles que soient leurs compétences,
n'ont pas suffisamment de clairvoyance et
de pouvoir pour analyser et maîtriser
l'ensemble des facteurs nécessaires
au développement de ce système.
Un mécanisme encore mal analysé,
dit parfois pensée de groupe ou comportement
de groupe, s'établit entre eux du fait
de leurs interactions.
En conséquence de ce mécanisme,
l'organisme tout entier, qu'il convient alors
de qualifier de superorganisme, prend collectivement
les décisions les plus aptes à
son développement. Mais ce mécanisme
est aveugle à tout ce qui n'est pas
l'intérêt immédiat du
superorganisme.
Le
« corporate power » des entreprises
transnationales, par la voix de ses représentations,
affirmera à l'unisson qu'il prend les
bonnes décisions, tant pour ces entreprises
que pour l'humanité toute entière.
Mais il suffit d'un minimum de regard critique
pour constater que si, dans le court terme,
certaines de ces décisions sont favorables
au développement, non seulement de
ces entreprises, mais de l'humanité,
ce n'est pas le cas globalement.
Un
accord général s'est désormais
établi, tout au moins entre les scientifiques,
pour montrer que ces décisions conduisent
à des catastrophes, en matière
de réchauffement climatique, de disparition
des écosystèmes et même
de l'humanité en général,
désormais menacée de surpeuplement,
d'inégalités dans le développement
et autres maux qui pourraient se révéler
mortels. Même en ce qui concerne les
réseaux numériques, si souvent
vantés, on peut constater qu'ils encouragent
autant le développement de nouvelles
criminalités que celui de la culture.
Le
seul remède à ces maux, aussi
insuffisant et politisé qu'il soit,
tient à la mise en place de réglementations
et de services publics sous le contrôle
des Etats nationaux, organisés pour
faire entendre les exigences de l'intérêt
général à long terme,
plutôt que le seul profit financier
et économique à court terme,
moteur principal du corporate power. Or ce
sont les survivances de telles réglementations
et services publics que désormais ce
pouvoir veut faire disparaître. Il s'agit,
concernant l'Europe, des négociations
sur le Transatlantic Trade and Investment
Partnership (TTIP) que Washington, relayé
par la Commission européenne, veut
désormais faire aboutir au plus vite.
Le
TTIP
Ces
négociations, pour le peu que l'on
en connait, visent explicitement à
faire disparaitre le peu de barrières
que les Etats nationaux et leurs administrations
mettaient aux abus du corporate power transnational.
Inévitablement, cette disparition conduira
à terme aux grandes catastrophes évoquées
ci-dessus, face auxquelles le corporate power,
uniquement préoccupé de son
profit à court terme sera incapable
de faire face.
Or
beaucoup de personnes s'étonnent de
voir, malgré les résistances
croissantes, que la marche vers le TTIP et
vers son homologue pour l'Asie, l'accord de
Partenariat transpacifique, continue à
se dérouler inexorablement. Bientôt
ces Traités seront signés et
leurs effets commenceront à se faire
sentir. Le corporate power en sortira renforcé,
les intérêts du reste de l'humanité
et du monde en général seront
de plus en plus mis en danger.
Mais
cet étonnement des observateurs naïfs
vis-à-vis de cette marche inexorable
tient au fait qu'ils n'ont pas encore pris
conscience du poids aujourd'hui dominant de
ce corporate power, bien décrit par
l'étude précitée des
chercheurs suisses. Ceux-ci ne connaissaient
pas encore sans doute les projets concernant
de tels traités, mais ils les auraient
sûrement pris en exemple de ce qu'ils
ont nommé un réseau d'appropriation
du monde par les entreprises multinationales
.
Certaines de ces entreprises feront valoir
qu'à travers ces traités, elles
visent le plus grand bien de l'humanité.
Mais les chercheurs suisses, ou ceux qui s'inspirent
de leurs travaux, pourraient aisément
montrer que le superorganisme du corporate
power transnational marche aveuglément,
au delà de la domination du monde,
à la destruction de celui-ci. Mais
alors il ne restera plus d'Etats nationaux,
de services publics et de réglementations
susceptibles de s'y opposer.
Annexe
Pour
faire le point sur les perspectives à
ce jour des négociations sur le TTIP,
nous reprenons ici les principaux éléments
d'un article de Paul De Clerck, Friends of
the Earth Europe, Lora Verheecke, Corporate
Europe Observatory et Max Bank, LobbyControl,
« How
TTIP could create a red tape labyrinth »
Cet
article est
traduit, adapté et commenté
sur le site DeDefensa, auquel le lecteur pourra
se référer
How
TTIP could create a red tape labyrinth
Après
deux ans de négociations entre l'UE
et les USA sur le TTIP, vous vous attendriez
à être bien avertis de toutes
les dispositions controversées que
contient le projet. Il n'en est rien, car
le pire est encore à venir.
Alors
que les négociateurs se retrouvent
à New York ce lundi 20 avril pour de
nouvelles conversations, une nouvelle version
fuitée d'une proposition
de la Commission Européenne pour un
chapitre connu sous le nom de Coopération
de Régulation (disons CR, pour
la facilité du propos de cette adaptation,
NDLR) montre que l'accord devrait mettre
en place des barrières quasiment infranchissables
sur la voie de toutes les législations
des pays et institutions concernés.
Les corps législatifs de la Commission
européenne et du gouvernement US, aussi
bien que des 28 États-membres et des
50 États de l'Union, pourraient tous
devenir l'objet d'entraves et d'obstacles
bureaucratiques sans limites.
L'objectif
de la CR est d'aligner les lois présentes
et à venir de l'UE et des USA pour
réduire les charges inutiles,
les duplications et les divergences des régulations
et règles affectant le commerce et
les investissements. Si des efforts
pour une telle CR paraissent logiques et justifiées
à première vue, une lecture
plus attentive des propositions conduisent
à s'alarmer considérablement
des procédures et de leurs conséquences.
Pour
parvenir à l'harmonisation désirée,
la Commission propose de créer un organisme
de CR, composé de fonctionnaires civils
des deux côtés, qui auraient
pour tâche d'apprécier dans quelle
mesure les actes législatifs aussi
bien de l'UE que des USA sont compatibles
entre eux et avec les impératifs du
commerce et des investissements. S'ils ne
le sont pas, cet organisme aurait le pouvoir
d'établir des barrières supplémentaires
sur la voie des lois incriminées en
proposant des mesures pour renforcer l'harmonisation
ou réduire l'impact et les coûts
sur les entreprises, que les gouvernements
seraient obligés de prendre en considération.
Il pourrait, par exemple, proposer que des
législations jointes USA-UE ou même
internationales aient la prééminence.
Toutes
ces mesures doivent avoir comme résultat
inévitable d'affaiblir, de ralentir,
voire de complétement stopper les processus
de législation et les lois que produit
ce processus. Pire encore, ces recommandations
pourraient être faites à n'importe
quel moment du processus législatif,
donnant par conséquent l'opportunité
constante d'affaiblir et de repousser le processus
conduisant à l'adoption des lois, y
compris à un moment où ces lois
sont en train d'être examinées
par les élus du peuple dans tel ou
tel pays.
La
CR demande aux législateurs de suivre
des procédures qui conduiraient fort
probablement à plusieurs années
de retard pour les lois envisagées,
et obligeraient les législateurs à
accorder la plus sérieuse attention
à toutes les contestations soulevées,
jusqu'aux plus dérisoires et aux plus
intrusives. Cela obligerait à créer
une énorme bureaucratie de fonctionnaires
civils, qui aurait pour tâche d'évaluer
chaque loi nationale et chaque loi de l'UE
pour voir dans quelle mesure elle s'accorderait
aux lois similaires aux USA, et vice-versa.
Ce processus conduirait à la production
de nouvelles vagues de paperasseries bureaucratiques
pour les gouvernements, et à de nouvelles
dépenses pour les contribuables.
Tout
cela aurait également un fort effet
dissuasif auprès des législateurs
de l'UE et des États-membres, de seulement
tenter d'introduire de nouvelles lois pour
protéger les intérêts
du public. La conséquence la plus importante
de la CR conduirait à un effet préventif
négatif considérable. Si les
législateurs savent qu'à chaque
étape du processus menant à
une loi leur travail peut être mis en
question et examiné, ils seront beaucoup
moins enclins à suivre dès le
départ des références
de nouveauté et des standards de grande
qualité.
Les
propositions actuelles de l'UE offrent au
corporate power des opportunités particulièrement
prometteuses d'affaiblir et de retarder les
législations qu'il considère
comme anti-commerciales, c'est-à-dire
tout ce qui peut conduire à des coûts
supplémentaires pour leurs compagnies.
La proposition prescrit que l'UE doit inclure
dans chacun des processus de régulation
une consultation des actionnaires et qu'elle
doit tenir compte des avis qui seront donnés.
Cela donne aux groupes ainsi concernés
des moyens très puissants de faire
barrage à tout nouveau standard qui
pourrait conduire à des coûts
plus élevés.
Enfin,
last but not least, la CR telle qu'elle est
proposée pour le TTIP conduira à
une érosion significative du processus
démocratique de l'UE et des États-membres
en permettant à un pays étranger
d'examiner attentivement les propositions
législatives et faire pression pour
leur adoption avant même que les institutions
démocratiques représentatives,
tels que le Parlement Européen, les
parlement nationaux et les États-membres,
aient la possibilité de seulement les
apprécier.
Tout
cela donne d'énormes pouvoirs à
des petits groupes d'individus qui ne sont
comptables en aucune façon devant l'intérêt
public européen, d'accorder la priorité
aux préoccupations du commerce et de
l'investissement par rapport à tout
autre intérêt. La Coopération
de Régulation est un système
qui introduit volontairement des obstacles
et des barrières pour la mise en place
d'une véritable régulation.
Cela devrait conduire sans aucun doute à
des négociations sans fin, sans résultats,
entre législateurs pour l'harmonisation
de leurs lois. Ce labyrinthe de paperasserie
pourrait créer effectivement un blocage
complet de tout nouveau standard européen
pour les domaines environnemental, social
et de la santé au sein de l'Union Européenne.
Paul
De Clerck, Lora Verheecke, Max Bank
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