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Kill
Chain. The Rise of High-tech Assassins
par
Andrew Cockburn
Présentation
par Jean-Paul Baquiast 08/04/2015
Il y a un peu plus de deux ans, Barack Obama
annonçait un changement complet de
stratégie militaire. Compte tenu de
plusieurs années d'échecs, en
Irak et en Afghanistan, malgré les
importants contingents déployés
sur le terrain, il décidait que l'Amérique
allait poursuivre la « lutte contre
la terreur » en utilisant massivement
des drones.
Rappelons
que les générations modernes
de drones militaires sont des engins très
puissants, analogues à des avions de
combat, capables d'emporter plusieurs missiles
de haute précision. Ils peuvent être
pilotés à distance à
partir de postes de commandement très
éloignés.
Cependant,
comme tout appareil volant, ils exigent des
terrains et bases relativement proches des
zones dites ennemies, afin d'en décoller
et d'y retourner pour maintenance et mise
au garage. De plus, bien que disposant de
quelques moyens d'identification à
distance des objectifs, ils exigent la présence
d'observateurs au sol capables de fournir
au pilote distant des indications précises
concernant les objectifs.
Ceci
d'autant plus que l'état-major prétend
éviter les frappes aveugles et les
dégâts collatéraux, en
visant exclusivement des groupes d'hommes,
des véhicules ou des locaux censés
appartenir aux mouvements terroristes officiellement
combattus, talibans, Al Qaida, aujourd'hui
Daesh ou Houtis au Yémen . Ces observateurs
relèvent généralement
de ce que l'on nomme des « forces spéciales
» ou des agents de la CIA s'efforçant
de se fondre dans les populations. Mais leurs
observations sont de plus en plus complétées
par des vues satellitaires à haute
définition, dans la mesure où
les données fournies sont exploitables.
Dans
les derniers mois, la guerre des drones a
été menée de façon
de plus en plus systématique, d'abord
au Pakistan, en visant les zones dites tribales,
puis au Yémen. Nous avons vu dans un
article
publié par ailleurs que, sous couvert
là encore de lutte contre Al Qaida,
dans ce dernier pays, ce sont des rebelles
chiites dits Houtis, supposés soutenus
par l'Iran, qui ont supportés l'essentiel
des attaques de drones. Le Pentagone et la
CIA ont, dans ces divers cas, annoncé
avoir éliminé des chefs «
terroristes » réputés
influents, mais le nombre des victimes collatérales,
autrement dit des civils, a cru dans une bien
plus grande proportion. Les gouvernements,
notamment au Pakistan, s'en sont de plus en
plus émus, ainsi qu'un nombre croissant
d'ONG, tant au Moyen-Orient qu'aux Etats-Unis
et dans le reste du monde.
Par
ailleurs, il est vite apparu que les frappes
de drones avaient, loin d'atténuer
la force des mouvements visés, un effet
contraire. Tout chef tué était
remplacé par plusieurs autres. Par
ailleurs la mort des femmes, enfants et autres
civils indignait de plus en plus les populations
frappées et encourageait les recrutements
de nouveaux volontaires. On a parlé
au Yémen de centaines, sinon de milliers
de morts. Plus généralement,
l'Amérique, déjà peu
aimée, en devenait de plus en plus
haie. « Mais pourquoi nous haïssent-ils
? » se demandent encore quelques diplomates
et journalistes trop naïfs pour être
honnêtes.
Récemment
au Yémen, comme nous l'avons relaté
dans l'article précité, les
drones américains, aussi nombreux soient-ils,
n'ont pu briser l'offensive des Houtis. Ceux-ci
sont allés jusqu'à occuper et
détruire les bases à partir
desquelles ces drones étaient opérés.
Ce faisant, ils ont tellement alarmés
les Saoudiens que le Royaume a rassemblé
une coalition d'Etats régionaux supposés
pouvoir les contenir et, derrière eux,
bloquer des opérations attribuées
à l'Iran. Mais les Saoudiens se sont,
pour le moment, limités à des
frappes aériennes classiques, sans
engager encore les contingents terrestres
qu'ils ont rassemblé à leurs
frontières.
Quoiqu'il
en soit, la « bonne idée »
d'Obama visant à remplacer par des
drones les bottes américaines sur le
terrain, semble avoir tourné court.
Ceci a conduit divers experts du Pentagone
à s'interroger sur la réelle
efficacité de ces systèmes d'armes,
aussi perfectionnés et robotisés
soient-ils, s'ils ne sont pas intégrés
dans des moyens militaires plus classiques.
Inutile de dire que le lobby militaro-industriel
américain n'encourage pas ces réexamens,
En période de restriction des moyens
budgétaires les industriels ont tiré
un grand profit des commandes de drones faites
depuis quelques années par le Pentagone.
Andrew
Cockburn
Mais
il n'y a pas que certains représentants
du Pentagone à s'interroger sur l'efficacité
des drones. Un livre qui vient d'être
publié, Kill Chain The Rise of the
High-Tech Assassins le fait plus en profondeur.
Son auteur, Andrew Cockburn, né en
1947 est un écrivain anglo-irlandais
qui s'est spécialisé dans les
études de sécurité nationale.
Il a écrit de nombreux essais et articles
sur ces questions. Bien qu'ayant vécu
très largement aux Etats-Unis, il a
toujours porté sur ce pays et sa volonté
de suprématie, un regard aussi informé
que critique.
En
ce qui concerne les drones, au delà
du procès qu'il fait, après
de nombreux autres, à ces machines
à tuer dépersonnalisées,
il se livre à une analyse plus technique
de leur efficacité, reposant sur un
effort pour mieux comprendre les qualités
proprement humaines qui font la force des
combattants sur le terrain, devant lesquelles
une machine pilotée à distance
par des hommes assis derrière des écrans
à des milliers de kilomètres
de là ne fait pas le poids. On peut
penser que lorsque les drones seront devenus
des robots intelligents capables mieux qu'un
humain de se comporter efficacement sur le
champ de bataille, ils resteront sans doute
dans de nombreuses circonstances inférieurs
à ces mêmes humains. C'est en
tous cas cas une question qu'évoquent
aujourd'hui de nombreux concepteurs de robots
autonomes, destinés à des applications
civiles ou à l'exploration spatiale.
Andrew
Cockburn fait remonter les illusions suscitées
par l'apparition des drones dans l'esprit
des stratèges à une thèse
apparue dès les années 1930
dans les écoles militaires américaines.
Pour celles-ci, seule l'arme aérienne
pouvait imposer la victoire. D'où la
décision d'ériger l'Air Force
en une arme indépendante, ne devant
pas rendre de compte à l'US Army et
l'US Navy. Elle devait disposer de budgets
au moins équivalents, sinon supérieurs.
Largement
appliquée pendant la seconde guerre
mondiale, avec le concept des bombardements
stratégiques massifs, non seulement
sur des équipements et infrastructures,
mais sur des populations civiles, cette doctrine,
rappelle Andrew Cockburn, n'entraîna
pas de résultats décisifs. Pour
vaincre l'Allemagne, il fallut finalement
engager des forces terrestres considérables.
Dans le cas du Japon, il en fut de même,
jusqu'à l'apparition de la bombe atomique
qui changea complètement les règles
du jeu.
Dans
le cas de la guerre moderne, dit de 4e génération,
menée par des minorités peu
armées mais fanatisées au point
d'accepter constamment le sacrifice de leur
vie, l'analyse américaine issue du
concept de Strategic Bombing ne changea pas.
Il fallait analyser l'ennemi comme un système
ou réseau physique fait de nuds
et de relations (ceux par exemple tissés
autour d'un ou plusieurs chefs djihadistes),
identifier avec précision ces noeuds
grâce à de l' « intelligence
» menée sur le terrain, et finalement
détruire ces noeuds et réseaux
par des frappes sélectives précises.
Les drones, dans cette optique, représentent
l'instrument final capable de détruire
toute l'architecture du système adverse.
Point n'en est besoin d'autres, notamment
en termes d'actions classiques menées
sur le terrain à grand risque par des
combattants humains.
Autrement
dit, comme le précise Andrew Cockburn,
la conduite de la guerre devient une affaire
d'ingénierie et de technologie. L'ennemi
devient un « système de systèmes
» selon la terminologie des nouveaux
experts, dans lequel on peut identifier et
détruire des « cibles de haute
valeur », high value targets ou HVTs,
que des automates commandés à
distance élimineront avec une précision
chirurgicale.
Or,
de même que les bombardements stratégiques
par des milliers de B 17 n'avaient pas entrainé
la capitulation de l'Allemagne, tout en décimant
les populations civiles, notamment en France,
de même comme nous l'avons indiqué
plus haut, la guerre des drones lancée
par Obama n'a eu et n'aura jamais que des
résultats médiocres, voire contraires
à ceux attendus. Cela tient, comme
le rappelle Andrew Cockburn, au fait que des
machines ne font pas la guerre, autrement
dit ne savent pas se battre avec l'intelligence
et le courage nécessaire, au contraire
de ce que font les hommes.
L'effondrement
actuel de la bataille menée par des
drones américains au Yémen,
supposée pourtant capable d'éliminer
les ennemis de la présence américaine,
qu'ils soient dits Al Qaida ou bien Houtis,
en donne une nouvelle preuve.
Pour
en savoir plus
Wikipedia
Andrew
Cockburn
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