Article
L'explosion
du Cambrien. Quels détonateurs ?
Jean-Paul
Baquiast - 06/03/2015

Chronologie : Sur ce graphique, l'explosion
du Cambrien se situe
à la hauteur de l'image désignée
comme Hard-shelled Animals,
animaux dotés de structures rigides
(calcaires).
NB.
On trouvera en italique,
dans le cours de cet article, quelques
observations personnelles.
Sparks
of life est le titre d'un article de Bob
Homes, qui est paru le 1er mars 2015 dans
le New Scientist(1). Bob Holmes est
un journaliste scientifique estimé,
publiant régulièrement des textes
dans la revue. Nous nous bornerons ici à
résumer sommairement son dernier article.
Il vient compléter avec beaucoup d'éléments
nouveaux résultant de recherches et
réflexions récentes ceux que
nous avions précédemment publiés
sur notre site(2).
Sparks
of life fournit de nouveaux éléments
à la question que se posent encore
sans réponses définitives les
biologistes évolutionnistes : pour
quelles raisons, après les milliards
d'années ayant suivi le moment où
la vie est apparue sur Terre (ou plutôt
dans les mers) sous les formes simples d'organismes,
bactéries ou algues monocellulaires,
ces organismes se sont brutalement complexifiés
sous la forme d'organismes multicellulaires,
généralement dits métazoaires,
dont sont issues toutes les espèces
aujourd'hui présentes sur le globe
?
Certes
les premiers multicellulaires, apparues vers
800 750 millions d'années,
n'ont pas laissé de traces fossiles
directes. Cependant aujourd'hui, des fouilles
menées dans les Montagnes Rocheuses
canadiennes, dans les schistes proches du
Marble Canyon, permettent de mettre au jour
des spécimens d'organismes primitifs
dont il y a tout lieu de penser qu'ils dérivent
directement des premiers multicellulaires.
Les chercheurs ont ainsi trouvé de
nombreux spécimens d'arthropodes très
proches des insectes et crustacés modernes.
Leur âge est estimé à
500 millions d'années.
Marble
Canyon a été découvert
récemment. Il appartient à l'ensemble
désormais célèbre des
schistes du Burgess (Burgess Shale) qui constituent
encore aujourd'hui la source d'information
la plus riche concernant les premiers multicellulaires.
Ceux-ci se sont brutalement diversifiés
dans ce qui est nommé l'explosion du
Cambrien. Les fossiles ou indices datant de
cette époque appartiennent à
ce que l'on nomme la faune du Burgess. Ils
présentent une extraordinaire diversité,
avec de très nombreux caractères
qui se sont perdus dans la suite de l'évolution.
Beaucoup de ces caractères cependant
se sont conservés et peuvent être
considérés comme les prototypes
de ceux retrouvés sous forme fossile
ultérieurement ou au sein des organismes
modernes. L'explosion de Cambrien n'a cependant
duré que quelques millions d'années,
c'est-à-dire un temps très court
à l'horloge de l'évolution (voir
ci-dessus).
On
doit noter que certaines créatures
proches de celles du Burgess ont été
récemment découvertes en Chine
dans le Site fossilifère de Chengjiang,
dans le Yunnan, dénotant une possible
répartition plus large que celle jusqu'ici
attribuée à la faune du Burgess
ce qui n'aurait d'ailleurs rien d'étonnant(3).
Causes
envisagées
On
estime aujourd'hui que cette explosion du
Burgess n'a pas été due à
un facteur unique, mais à la conjonction
de facteurs survenus simultanément
et s'étant répercutés
et amplifiés réciproquement
uns sur les autres (de
même qu'aujourd'hui le passage à
ce que l'on nomme la Singularité dans
l'évolution
technologique peut être attribuée
à la conjonction d'évènements
dits convergents et exponentiels).
Les
premiers indices d'organismes multicellulaires
apparaissent dans des roches de 750
millons d'années qui contiennent des
biomolécules fossilisées telles
qu'elles se retrouvent aujourd'hui dans les
éponges. 150 millions d'années
plus tard sont apparus les Ediocarans (voir
notre article cité) répandus
dans les mers du début du Cambrien,
disparus ensuite dans ce que l'on peut qualifier
une première extinction massive, sans
laisser de descendants analogues aux formes
de vie moderne. Cependant, à défaut
de fossiles, les traces laissées dans
le sous-sol marin sous forme de tranchées
et d'abris crées par ces organismes
4) montrent qu'à la transition Ediacaran-Cambrien,
d'importants changements sont survenus chez
les organismes responsables de ces traces.
Celles-ci, tranchées et autres, laissées
par les organismes vivant sur le plancher
sous-marins, correspondent à des animaux
très différents, vers et mollusques.
(Il aurait été
intéressant de préciser comment
les paléontologues distinguent de telles
traces de celles résultant d'une simple
évolution de la roche).
Dans
les schistes datés de 520 millions
d'années se retrouvent les principaux
groupes d'animaux vivant aujourd'hui. Autrement
dit, entre 540 et 520 millions
d'années s'est construit le paysage
animal actuel, homo sapiens compris.
(L'évolution des végétaux
terrestres a suivi des voies un peu différentes,
à partir notamment des monocellulaires
photosynthétiques) On a
longtemps pensé qu'il a fallu 2,5 milliards
d'années aux gènes des premiers
organismes monocellulaires pour évoluer
spontanément et donner naissance aux
gènes modernes. L'hypothèse
est recevable, mais rien ne permet de la prouver.
Pourquoi pas 1 milliard ou 5 milliards d'années?
D'autant plus que l'étude des multicellulaires
antérieurs au Cambrien, notamment les
ediocarans, montre que la plupart possédaient
une complexité presque aussi grande
que celle de leurs successeurs du Cambrien.
Pourquoi alors n'avaient-ils pas subi une
évolution aussi explosive que celle
de ces derniers ?
On
a suggéré d'autres facteurs
pouvant être à la base de l'explosion
du Cambrien. La productivité en nutriments
des fonds marins aurait pu être fortement
accrue à la suite des fouissages résultant
de l'activité des premières
générations d'organismes. Dans
un autre ordre d'idée l'apparition
de prédateurs aurait pu enclencher
une guerre évolutive entre prédateurs
et proies.
La
question reste par ailleurs posée de
savoir pourquoi l'explosion du Cambrien ne
s'est pas produite plus tôt (ou plus
tard). Il a été observé
qu'à partir du Cambrien le niveau des
mers s'est fortement élevé.
Ceci a provoqué une érosion
continentale apportant aux océans des
éléments minéraux dont
ils étaient peu pourvus jusqu'alors,
calcium, phosphates et potassium. Les animaux
s'en seraient servis pour diversifier et fortifier
leurs formes. Cependant, l'expérience
montre aujourd'hui que l'apport de nouveaux
nutriments entraine une augmentation du nombre
des individus propres à chacune des
espèces bénéficiaires,
mais ne provoque pas nécessairement
l'apparition de nouvelles espèces.
Un
autre facteur explicatif pourrait être
l'augmentation du taux d'oxygène dans
l'atmosphère. Aux origines de la vie
et jusqu'à 8oo millions d'années,
le taux d'oxygène atmosphérique
était d'environ 0,1% du taux actuel.
Sans oxygène, les organismes vivants
sont peu actifs. Peu de prédateurs
n'apparaissent, la prédation supposant
le mouvement. A partir d'un taux de 1 à
5 % du taux actuel, tout change. Or il semble
que les anciens océans aient commencé
à atteindre ce taux à l'époque
de l'explosion du Cambrien. Ceci aurait résulté
de l'activité des planctons photosynthétiques
s'étant développés dans
les mers durant le milliard et quelques d'années
précédentes.
Une
hypothèse un peu différente
intéressant la réponse à
cette question a été présentée
en 2014(5). Les cadavres des algues
et bactéries monocellulaires tombaient
pendant les milliards d'années initiales
au fond des océans et pourrissaient,
en consommant le peu d'oxygène alors
présent dans l'eau. Les choses ont
changé lorsque les éponges sont
apparues, un peu avant les edicarans. Elles
ont joué le rôle de filtre purgeant
les eaux des excès de cadavres d'unicellulaires.
De même leurs restes, enfouis eux aussi
au fond des océans, étaient
de taille suffisante pour y retenir de l'oxygène.
Les
recherches se poursuivent sur ces questions.
Elles sont plus importantes qu'il n'y paraît.
Aujourd'hui, des changements massifs affectent
la température, l'oxygénation,
la composition chimique et le type d'organismes
vivant dans les océans. Or plus on
en saura sur les mécanismes en causes,
mieux cela sera.
Malheureusement,
tout laisse penser qu'actuellement ce ne serait
pas une nouvelle explosion et diversification
de la vie qui se préparerait sur le
modèle de celle du Burgess, mais une
nouvelle grande extinction, analogue à
l'extinction Permien Trias, sinon plus massive.
Notes
(1)
NewScientist. Sparks of life http://www.newscientist.com/article/mg22530100.600-evolutions-big-bang-how-life-on-earth-took-off.html#.VPhlNOERlEM
(2)
Voir par exemple sur Automates Intelligents,
nos articles concernant les premières
formes de vie et l'origine des organismes
multicellulaires.
* L'étonnante
aventure des Ediacarans
* Les
BioMEMS
* Notre
recension du livre de Nick Lane, Life ascending
The Ten Great inventions of Evolution
(3)
Voir http://whc.unesco.org/fr/list/1388/
(4)
Voir Decoupling
of body-plan diversification and ecological
structuring during the EdiacaranCambrian
transition: evolutionary and geobiological
feedbacks, février 2014
(5)
Voir Nature Geoscience Co-evolution
of eukaryotes and ocean oxygenation in the
Neoproterozoic era
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