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Article.
Nouvelles recherches concernant l'origine
des langues indo-européennes Jean-Paul
Baquiast 26/02/2015
NB. Cet article développe
une de nos
brèves d'actualité

Hibernatus
ou Otsy, l'Homme des glaces, probablement
mort entre - 3239 et - 3105 . Reconstitution.
On
peut penser que les premières langues
indo-européennes se sont répandues
à travers l'Europe grâce aux
migrations de tribus de chasseurs de ce type.
Voilà
qui va peut-être encourager Vladimir
Poutine dans son retour aux sources de l'âme
russe. Un groupe de chercheurs américains
de l'Université de Californie se sont
une nouvelle fois intéressés
à l'origine des langues indo-européennes.
Celles-ci, de toutes les langues mondiales,
recrutent le plus grand nombre de locuteurs,
soit environ 3,2 milliards de personnes ou
45% de la population mondiale. La majorité
des langues en Europe et en Asie du sud appartiennent
à ce groupe.
Les
linguistes ont très tôt recherché
l'origine de l'indo-européen (en abrégé
IE dans cet article) Dans la seconde moitié
du 18e siècle le philologue britannique
William Jones avait noté des ressemblances
entre 4 langues anciennes, le sanscrit, le
latin, le grec et le perse. Le linguiste allemand
Franz Bopp avait appuyé cette hypothèse,
en comparant ces langues et en y observant
des origines étymologiques voisines
mais des évolutions phonétiques
divergentes. Cette langue origine fut dénommé
protoindoeuropéen (PIE), en usage plusieurs
millénaires avant notre ère.
L'étude référencée
ici pense apporter de nouveaux éléments
concernant l'époque et les régions
où le PIE aurait pu prendre naissance.
En étudiant plus de 150 langues, actuelles
ou disparues, se rattachant à cette
famille, les chercheurs font l'hypothèse
que l' « ancêtre commun »
est apparu entre - 6.500 et 5.500 dans
les steppes dites ponto-caspiennes qui s'étendaient
de la Moldavie et l'Ukraine jusqu'à
la Russie et à l'ouest du Kazakhstan.
L'étude
apporte de nouveaux éléments
à l'hypothèse dite Kourgane
1) . Celle-ci, introduite par Marija Gimbutas
en 1956, combine les données de l'archéologie
avec celles de la linguistique afin de localiser
le foyer originel des PIE. Ce nom de kourgane
vient du terme russe d'origine turque « kurgane »
qui désigne les tumulus caractéristiques
de ces peuples, et qui marque leur expansion
en Europe. Cette hypothèse, qui a eu
de fortes répercussions sur les études
indo-européennes, suppose une expansion
progressive de la « culture kourgane »
depuis son bassin originel des régions
du Dniepr et de la Volga (première
moitié du quatrième millénaire
avant notre ère), jusqu'à embrasser
la totalité de la steppe pontique (première
moitié du troisième millénaire
avant notre ère). Ce serait des invasions
guerrières qui auraient contribué
à la diffusion du PIE.
Ce
faisant, la nouvelle étude contredit
l'hypothèse selon laquelle le PIE serait
apparu bien auparavant, 7.000 ans avant notre
ère, en Anatolie, la Turquie actuelle.
Cette dernière hypothèse a été
récemment reprise dans le cadre une
étude faite en 2012 par des chercheurs
de l'Université d'Auckland (Nouvelle
Zélande). Ils ont estimé que
le PIE avait trouvé ses racines à
l'occasion de l'apparition de l'agriculture
dans cette région et s'était
répandu à la suite de l'expansion
des pratiques agricoles.
L'étude de l'Université de Californie
s'appuie sur l'analyse comparée de
200 mots ou expressions appartenant aux langues
indo-européennes actuellement en usage,
ou anciennes. En étudiant la vitesse
de transformation de ces éléments
avec le temps, et à l'aide d'un modèle
statistico-informatique original, ils ont
conclu que les langues qui les ont en premier
lieu utilisés, auraient commencé
à diverger approximativement en
6.000. Ceci confirmerait la théorie
de Marija Gimbutas et viendrait en soutien
de l'hypothèse des Kourganes.
Ce
n'est pas la première fois que des
programmes statistico-informatiques complétés
par des logiciels d'Intelligence Artificielle
sont utilisés en linguistique pour
la reconstruction de protolangages et de mots
utilisés dans les langues modernes.
En 2013, par exemple, des chercheurs canadiens
et américains ont établi pour
ce faire une base de données de plus
de 142.000 mots provenant de 637 langues originaires
de l'Asie du sud-est, du Pacifique et du continent
asiatique. Grâce à cette technique,
une langue phénicienne ancienne avait
pu être déchiffrée en
2 heures.
Commentaire
L'accord,
on le devine, est loin de régner entre
linguistes et archéologues concernant
les origines de l'indoeuropéen. Certains
en sont venus à contester son existence.
Le PIE aurait pu être inventé
inconsciemment au 19e et 20e siècle
par des pays ou régimes politiques
soucieux d'y trouver là des arguments
justifiant leur ancienneté ou leur
prédominance.
Il
est intéressant d'observer que, dans
un dossier publié par la revue La Recherche
à la date de mars 2015, les chercheurs
Jean-Paul Demoule et Romain Garnier s'opposent
sur les origines de l'IE. 2)
Pour
Jean-Paul Demoule l'idée d'une origine
commune résulte d'un mythe identitaire
apparu au 19e siècle. Il n'existerait
pas une famille de langues IE clairement distinctes
des langues sémitiques ou sino-thibétaines.
Il n'y a pas plus de Langue originelle qu'il
n'y a de Peuple originel provenant d'une Patrie
originelle. Aucun mouvement migratoire précis
ne peut être attribué par les
archéologues à la diffusion
d'un suppose PIE. Le modèle retenu,
arborescent et centrifuge serait trop simple.
Il faudrait selon Jean-Paul Demoule faire
appel à des modèles plus complexes,
centripètes plutôt que centrifuges,
multipolaires et en réseaux plutôt
qu'arborescents.
Pour
Romain Garnier au contraire, l'existence d'un
PIE ne fait guère de doute. Cette langue
n'a jamais accédé à l'écriture,
contrairement au babylonien et à l'égyptien.
Mais l'étude des langues filles permet
de supposer son existence. Sur un vaste territoire
allant de l'Irlande au Turkestan oriental
ont été parlés des idiomes
génétiquement (phylogénétiquement)
apparentés, dotés de correspondances
frappantes. Or par définition, ce qui
est génétiquement apparenté
diverge, ce qui ne l'est pas converge. Malheureusement,
aussi vivace qu'ait pu être le PIE,
il n'a pas laissé de données
archéologiques, villes, sépultures,
écritures. Pourquoi cela? Vraisemblablement
par ce que les locuteurs étaient des
pillards venus des steppes. Ils sont venus
à bout des civilisations reposant sur
les échanges pacifiques et l'agriculture.
Ce
chercheur, on le voit, soutiendrait plutôt
l'hypothèse Kourgane évoquée
plus haut. Mais l'article de la Recherche
ayant été écrit avant
la publication de l'étude de l'Université
de Californie, il ne peut donc pas y faire
référence.
Le
lecteur de cet article se demandera en quoi
des hypothèses relativement ésotériques
de cette nature peuvent intéresser
les sciences humaines et sociales aujourd'hui.
La réponse est évidente. Nos
sociétés sont traversées,
notamment du fait de l'extension du numérique,
par d'innombrables concepts ou idées
découlant les uns des autres et se
déformant à l'usage. Richard
Dawkins y avait fait allusion en créant
le terme de « mème »
. Le rôle de l'industrie et de l'agriculture
continue d'être important, mais aussi
la conquête. Il suffit de voir comment
constamment de nouveaux idiomes sont créés
au sein des langues indo-européennes
par le langage militaire d'origine américaine,
ou par celui du djihad, malheureusement de
plus en plus envahissant en Europe même.
Référence
Will
Chang, Chundra Cathcart, David Hall, Andrew
Garrett. Ancestry-constrained
phylogenetic analysis supports the Indo-European
steppe hypothesis.
Notes
1)
Wikipedia Hypothèse
Kourgane
2)
Voir aussi un article
de La Recherche datant de 1998
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