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Article.
Sur les pistes
de la matière noire
Jean-Paul Baquiast 22/02/2015
L'existence
de la matière noire dans l'univers
est généralement admise aujourd'hui
sans grandes contestations. Même si
aucune observation optique ou radio de cette
hypothétique forme de matière
n'a encore été faite (d'où
le terme de matière noire, qu'il vaudrait
mieux d'ailleurs remplacer par celui de matière
invisible) sa présence et ses propriétés
sont déduites de ses effets gravitationnels
sur la matière visible, les radiations
et la structure à large échelle
de l'univers. La matière nore représenterait
approximativement 85% de la matière
totale dans l'univers, ce qui est considérable.
Ainsi,
l'observation d'une galaxie montre que la
matière visible (celle des étoiles
la composant) n'est pas en quantité
suffisante pour maintenir l'équilibre
gravitationnel de la galaxie. Sans cette matière
noire, les étoiles se disperseraient
dans l'espace au lieu de graviter régulièrement
autour du centre de la galaxie.
La
nature et les origines de la matière
noire constituent une des plus grandes énigmes
de la cosmologie moderne. Le profane s'étonnera
du fait que les recherches la concernant ne
mobilisent pas d'avantages de moyens et, en
amont, de crédits. Mais pour le moment,
de tels suppléments de moyens seraient
considérés comme peu utiles,
puisqu'on ne saurait exactement à quoi
les affecter. Les méthoses d'observation
et les hypothèses théoriques
se heurtent à des murs que la cosmologie
actuelle ne paraît pas en mesure de
franchir.
Néanmoins,
de temps à autres, de nouvelles hypothèses
sont formulées permettant de préciser
l'existence de la matière noire à
l'occasion d'effets qu'elle pourrait avoir
sur des phénomènes observables.
En accumulant de telles observations et la
recherche d'un agent causal qui serait la
matière noire, on peut espérer
que le profil de celle-ci se précisera.
Mentionnons ici deux domaines de recherche
intéressants, qui viennent de faire
l'objet de publications.
Matière
noire et extinctions de masse ayant affecté
le développement de la vie sur Terre
Les
biologistes savent que, selon une périodicité
à peu près régulière,
l'évolution de la vie sur Terre a été
perturbée par des extinctions de masse
affectant les espèces existantes. En
s'en tenant à l'histoire de la vie
des organismes pluricellulaires, apparus au
cours du cambrien (entre -528 et -510 millions
d'années) les fossiles montrent qu'au
moins cinq grandes extinctions, dites aussi
extinctions massives, ont affecté les
espèces telles qu'elles existaient
avant que ne se produisent ces extinctions.
A chaque fois, environ 50 à 70% des
espèces présentes sur le globe
disparaissaient. Elles étaient, il
est vrai, remplacées après un
temps suffisant par de nouvelles espèces,
en apparence mieux adaptées.
La
dernière de ces extinctions s'est produite
à la limite crétacé-tertiaire,
il y a environ 65 millions d'années.
Elle a été jugée responsable,
au moins en grande partie, de la disparition
des dinosaures. Par ailleurs, en dehors des
grandes extinctions, des perturbations de
l'évolution biologique se produiraient,
selon certaines études, environ tous
les 30 millions d'années. Les causes
de ces extinctions et perturbations ne sont
pas encore clairement élucidées,
les plus communément admises étant
soit la rencontre de la Terre avec des astéroïdes
de grande taille, soit des éruptions
volcaniques massives.

Or
dans les deux cas, selon une hypothèse
formulée par le Pr Michael Rampino,
de la New York University, ce pourrait être
la traversée par le système
solaire, et donc par la Terre, de grandes
quantités de matière noire au
cours de leurs rotations autour du centre
de la galaxie (la Voie Lactée) qui
produirait soit la rencontre avec des comètes
aux trajectoires elles-mêmes perturbées,
soit des réchauffement anormaux générateurs
d'éruption. 1)
Le
disque de la galaxie est empli d'étoiles,
de gaz et de poussières, ainsi que,
comme rappelé ci-dessus, de grandes
quantités de matière noire hypothétiques,
inégalement réparties. Le système
solaire et la Terre font le tour de la galaxie
en 250 millions d'années environ. Au
cours de cette rotation, le soleil oscille
verticalement en traversant le disque de la
galaxie selon des cycles de 30 millions d'années
environ. Or Rampino a noté que ces
cycles correspondent approximativement aux
grands impacts de comètes et aux extinctions
observées sur la Terre.
En
traversant le disque galactique, le système
solaire et les comètes qui y circulent
pourraient être affectés par
la rencontre avec la matière noire
supposée s'y trouver. Les trajectoires
de certaines comètes, généralement
situées aux confins du système
solaires, pourraient s'en trouver modifiées.
Dans ce cas, elles pourraient entrer en collision
avec la Terre. De même, si des particules
de matière noire s'accumulaient à
cette occasion au centre de la Terre, elles
pourraient ensuite s'annihiler en générant
de grandes quantités de chaleur, lesquelles
provoqueraient des éruptions.
Michael
Rampino s'attache dorénavant à
préciser, en collaboration avec les
paléobiologistes, les corrélations
possibles entre les mouvements du système
solaire au travers du disque galactique et
les différentes perturbations ayant
affecté l'évolution de la vie.
Ceci ne signifiera pas pour autant, si ces
corrélations se précisaient,
qu'il aurait découvert le « smoking
gun » prouvant sans ambages
l'existence de la matière noire.
Matière
noire et trous de ver

Le
halo galactique dans la galaxie spirale du
Sombrero (photo NASA/ESA Hubble Space Telescope )
Il s'agit d'une sphère (deux demi-sphères)
où la concentration d'étoiles
est moindre et où pourrait se trouver
un trou de ver s'étant formé
au sein de la matière noire présente
dans ce halo.
Beaucoup
plus étrange mais à ne pas refuser
a priori serait l'hypothèse selon laquelle
l'existence de trous de ver permettant de
communiquer d'une galaxie à une autre
(selon l'hypothèse du film Interstellar)
pourrait être liée à la
présence de matière noire. Le
spécialiste de la matière noire
Paolo Ricci, de l' International
School for Advanced Studies (SISSA) située
en Italie vient d'en préciser certains
aspects théoriques 2) .
Il constate que, s'il n'est pas pour le moment
possible de créer des trous de ver
au sein de la matière ordinaire, compte
tenu des propriétés inhérentes
à cette matire, des calculs montrent
que de tels trous de ver pourraient se trouver
dans la plupart des galaxies spirales.
Ils
se formeraient dans les « halos »
de ces galaxies, au sein de la matière
noire supposée s'y trouver. Restera
à observer expérimentalement
l'existence de tels trous de ver, et à
relier ceux-ci aux propriétés
de la matière noire. Il y a encore,
on le voit, beaucoup de travail à faire
avant de pouvoir emprunter ces passages d'une
galaxie à l'autre.
Références
1) Michaël R. Rampino et al. Disc
dark matter in the Galaxy and potential cycles
of extraterrestrial impacts, mass extinctions
and geological events
2) Paolo Ricci et al.
Possible existence of wormholes in the central
regions of halos
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