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Article.
E.O. Wilson et les religions
Jean-Paul
Baquiast 29/01/2015
E. O. Wilson est professeur émérite
à Harvard University et fondateur de
la E.
O. Wilson Biodiversity Foundation. Nous
recommandons au lecteur d'y jeter un coup
d'oeil.
Dans
un livre récent, The
Meaning of Human Existence (Liveright,
2014) le grand « sociobiologiste »
E.O. Wilson 1) souvent cité sur ce
site, constate que si la science actuelle
sait à peu près d'où
vient l'homme, à peu près aussi
ce qu'est l'homme, elle est incapable de prédire
où il va. Il ne s'agit pas de prédire
l'avenir du cosmos ou du Système solaire,
mais simplement de celui de l'humanité
dans quelques décennies. Ce sujet suscite
de vives discussions, y compris parmi les
scientifiques.
Pour lui, l'avenir est noir. Il parle d'une
véritable fin de l'anthropocène,
cette ère de l'évolution de
la Terre inaugurée avec l'arrivée
des premiers hommes équipés
d'outils. L'homme détruit la Terre
à une vitesse dont il ne se rend même
pas compte. Ceci d'abord par la destruction
accélérée des espèces
vivants. Certains technologues pensent que
ceci n'aurait pas d'importance, car il deviendra
possible d' « humaniser »
la Terre, en la peuplant d'hommes « augmentés »
de multiples façons, sur le mode des
cyborgs. Ces post-humains pourraient fabriquer
eux-mêmes, sans faire appel à
la nature, les produits dont ils auraient
besoin 2).
En fait la biosphère est un système
dont nul scientifique n'a encore bien appréhendé
la complexité. C'est aussi un système
fragile, ne recouvrant la surface de la planète
que sur une épaisseur moyenne de quelques
centimètres. Or l'homme et son esprit,
qu'ils soient augmentés ou non par
des prothèses robotisés, ne
peuvent absolument pas fonctionner en dehors
de cette biosphère. Elle les conditionne
dans la totalité, sans même qu'ils
s'en rendent compte.
La destruction de la biosphère va s'accélérer,
jusqu'à un point de non-retour ou tout
s'effondrera, les humains avec elle. De plus
en plus de scientifiques l'affirment, mais
ils n'attirent pas l'attention, ni des foules
ni des décideurs. Ce fait étonnant,
pour Wilson, peut s'expliquer par ce qu'il
nomme la structure tribale de l'humanité.
Toutes les idéologies et les religions
ont développées des vues sur
l'avenir, mais ceci au sein de groupes tribaux
qui en ont fait des dogmes leur permettant
d'assurer leur unité et de s'imposer
aux autres. Les religions, qui sont présentes
encore dans les 9/10 de l'humanité
environ, imposent des visions de l'avenir,
intéressant la vie ou une prétendue
après-vie, qu'elles développent
au sein de groupes tribaux refusant absolument
de changer de vision afin de préserver
leur cohésion.
Les religions, une malédiction
Wilson constate qu'aux Etats-Unis, pays où
les sciences sont pourtant parmi les plus
développées, il est pratiquement
impossible de faire carrière si l'on
n'affirme pas une croyance, quelque soit cette
croyance. L'essentiel est de n'en pas démordre.
Et pour ces croyants, aussi généreux
et charitables soient-ils par ailleurs, tous
ceux qui ne reconnaissent pas leur croyance
ne mérite pas de vivre. 3)
En fait, pour Wilson, ce qui est en train
de faire périr l'écosystème,
et avec lui l'humanité, ce sont les
croyances religieuses. L'athéisme,
pour lui, n'est pas vraiment une solution,
car les athées (de moins en moins nombreux
d'ailleurs malgré les apparences),
se divisent aussi en tribus se construisant
autour de « croyances »
scientifiques incompatibles. Ceci malgré
le fait que, comme le rappelle le grand cosmologiste
franco-italien Carlo-Rovelli, la science ne
devrait pas apporter de réponses définitives,
mais questionner sans cesse ce qu'elle ne
sait pas encore. 4)
Or ce que Wilson nomme la pulsion théologique
paraît inséparable selon lui
de tout ce qui fait l'espèce humaine.
L'humanité en tant qu'espèce,
et les groupes humains à l'intérieur
de cette dernière, ne peuvent pratiquement
pas s'imaginer eux-mêmes sans faire
appel à une vie après la vie
et à un Dieu omniscient qui les accompagnerait
en permanence. C'est l'une des raisons pour
laquelle les humains, quels qu'ils soient
et quelles que soient leurs activités,
ne s'inquiètent pas de la fin probable
de la biosphère. Dieu y pourvoira et
de toutes façons, il y aura une vie
après la vie.
Il en résulte que la survie de la biosphère
passe, pour lui, par la disparition des croyances
religieuses. Mais comme celles-ci ne disparaîtront
pas d'elles-mêmes, il serait intéressant
de rechercher les causes biochimiques, phéromones
ou autres, provoquant leur installation dans
les organismes. La tâche sera sans doute
très difficile. Elle provoquera l'indignation
de nombreuses personnes qui parleront d'une
intrusion inadmissible des scientifiques dans
le fonctionnement des consciences.
La tâche sera d'autant plus difficile
que si l'on voulait réduire les pulsions
profondes générant des croyances
mortelles pour la Terre, il ne faudrait pas
pour autant réduire d'autres pulsions
et tendances poussant l'humain, et notamment
le scientifique, à se poser des questions
concernant ce qu'il ne sait pas. Les animaux
ne sont pas religieux et paraissent très
bien vivre sans cela. Mais ils ne s'inquiètent
pas vraiment de ce qu'ils ne savent pas. Ils
n'ont donc jamais pu développer les
immenses édifices propres à
la science moderne, dont tous ne sont pas
meurtriers.
Notes
1) la sociobiologie étudie des fondements
biologiques présumés des comportements
sociaux recensés dans le règne
animal, y compris au sein de l'espèce
humaine.
2) C'est la thèse que défendent,
au sein de firmes comme Google, certains visionnaires
en fait irresponsables. Ils en arrivent à
pronostiquer l'immortalité.
3) Wilson cite les chrétiens, mais
il pourrait en dire autant des musulmans.
L'auteur de ces lignes correspond parfois
avec quelques ingénieurs ou médecins
musulmans, censés être d'esprit
ouvert. Pour eux, les réponses aux
questions un peu difficiles se trouvent dans
le Coran, à l'intérieur de passages
incompréhensibles pour les athées,
auxquels ils attribuent des sens précis.
4) Voir Carlo Rovelli, Par delà
le visible Odile Jacob 2014. Nous en proposerons
prochainement un aperçu.
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