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Nouvelles
approches expérimentales de la gravitation
quantique
Jean-Paul Baquiast - 12/01/2015
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Un
article récent de Michaël Brooks
dans le NewScientist(1) décrit
des dispositifs expérimentaux pouvant
montrer comment des objets quantiques (q.bits)
en superposition ou en cours de décohérence
se comportent à l'intérieur
d'un champ gravitationnel. Ceci pourrait permettre
de faire apparaître un lien entre théorie
quantique et relativité jusqu'à
présent recherché en vain par
les théoriciens de la gravitation quantique.
Il est inutile de revenir ici sur le fait,
bien connu de nos lecteurs, que la mécanique
quantique et les relativités restreinte
et générale ne sont absolument
pas compatibles en termes théoriques,
tout en étant toutes deux vérifiées
dans leurs domaines par des milliers de preuves
expérimentales.
Le point nouveau important, souligné
par l'article, est qu'aujourd'hui des physiciens
autorisés, notamment l' "ancêtre"
Roger Penrose, pensent que des dispositifs
expérimentaux actuellement en cours
de mise au point pourraient prochainement
apporter quelques ouvertures tant en termes
expérimentaux ultérieurement
au plan théorique ultérieurement
permettant de commencer à résoudre
les grandes énigmes de la gravitation
quantique.
Ainsi, en ce qui concerne la superposition,
certains physiciens commencent à se
demander si une particule qui se trouve en
deux états superposés ne ressentirait
pas l'effet de la gravité d'une façon
différente au regard de l'un ou l'autre
de ses états, quitte à retrouver
un statut commun au regard de la gravité,
lorsque cesse la superposition. En théorie,
rien n'interdirait de transposer la solution
à l'échelle de l'univers entier,
où coexistent, par exemple dans les
trous noirs, des phénomènes
relevant simultanément de la physique
quantique et de la gravité.
De même, en ce qui concerne la façon
dont des atomes ou ensembles de particules
ressentent l'effet du temps lorsqu'ils se
déplacent dans des champs gravitationnels
différents(2) d'autres de leurs
collègues commencent à se demander
si chacun des états d'un atome en état
de superposition n'expérimenterait
pas des temps différents, selon la
vitesse à laquelle ils pourraient se
déplacer dans des champs gravitationnels,
avant de retrouver un temps identique en se
recombinant.
La difficulté consistera évidemment
à mettre au point des dispositifs permettant
d'une part d'individualiser les états
superposés d'une même particule
quantique et d'autre part de les soumettre
à des champs gravitationnels différents
afin de mesurer leurs caractéristiques
avant qu'ils ne retrouvent l'état d'une
particule macroscopique unique.
La réduction
de la fonction d'onde
Approche gravitationnelle de la mesure
La nouvelle génération d'instruments
auxquels nous venons de faire allusion devrait
également permettre d'étudier
des situations où ce serait la gravitation
qui provoquerait la décohérence
d'une particule quantique, autrement dit entraineraient
la réduction de sa fonction d'onde.
Dans cette perspective, ce pourraient être
des phénomènes induits par la
gravitation au sein ou autour d'une particule
quantique qui se comporteraient en "observateurs".
Dans l'expérience de l'interféromètre
à double fente (fentes de Young), l'apparition
de bandes d'interférence résulte
du fait que des particules (voire des ensembles
plus importants de quelques dizaines ou centaines
de particules, peuvent passer simultanément
par les deux fentes avant de se recombiner
en particules uniques sur l'écran(3).
Elles se comportent en effet à la fois
comme des ondes et des particules. Or si l'on
place un détecteur sur le chemin d'une
de ces fentes celui-ci provoque la décohérence
de la particule qui redevient uniquement une
particule et cesse d'être à la
fois une onde et une particule. Le détecteur
tient le rôle de l'observateur facteur
de décohérence dans la théorie
quantique classique.
Or la pratique de l'expérience des
fentes d'Young appliquée à des
molécules de près de 800 atomes
a montré que les atomes les composant
peuvent vivre en superposition, mais décohèrent
d'autant plus vite qu'ils constituent un ensemble
composé d'un plus grand nombre d'atomes,
c'est-à-dire pesant d'autant plus lourd.
D'où l'hypothèse que la gravité
a quelque chose à voir avec la décohérence.
Plus les ensembles de molécules sont
lourds, comme le sont les corps de la physique
macroscopique, y compris les êtres vivants,
plus vite ils perdent les propriétés
quantiques leur permettant de se comporter
à la fois comme onde et comme particule.
C'est la raison pour laquelle, jusqu'à
présent, il n'a jamais été
possible d'observer l'état quantique
initial de corps macroscopiques composés
d'un très grand nombre d'atomes. Ils
se retrouvent, si l'on peut dire « observés »
par la force gravitationnelle qui réduit
presque instantanément leur fonction
d'onde.
Pourrait-on
tirer de ces conjectures une première
suggestion concernant le processus par lequel
des particules matérielles émergent
dans le milieu quantique (le vide quantique?)
?
Ces particules matérielles s'inscrivent
dans un monde où l'on peut parler de
temps et d'espace, et donc de gravité,
même si les contenus de ces « réalités »
n'ont rien d'invariable. Le monde quantique
ne reconnaît ni le temps ni l'espace.
Nous sommes faits en ce qui nous concerne
de particules matérielles (peut-être
aussi de particules quantiques, mais la question
n'est pas là). Compte tenu des hypothèses
brièvement présentées
ici, ne serait-il pas possible d'envisager
que, dès qu'au cours des fluctuations
du monde quantique, apparaissent des molécules
composées d'un nombre suffisant de
bits quantiques, c'est-à-dire suffisamment
« lourdes », celles-ci,
soumises au champ gravitationnel, se transforment
quasi systématiquement en molécules
matérielles ?
La gravité jouerait ainsi le rôle
d'observateur dans la théorie quantique
de la mesure.
Le
mécanisme serait permanent, ce qui
expliquerait l'abondance des particules matérielles
dans l'univers observable. Bien sûr,
cela ne permettrait pas pour autant d'expliquer
l'existence simultanée du milieu quantique
et de la gravitation. Il faudrait pour cela
faire appel à des descriptions plus
complexes de l'univers ou des multivers. Mais
cela permettrait de mieux comprendre les interactions
entre univers quantique et univers relativiste,
objet des travaux de la gravitation quantique.
De nouveaux dispositifs
expérimentaux
Cependant, aujourd'hui, dans le cadre de travaux
intéressant la réalisation de
calculateurs quantiques, les physiciens commencent
à mettre au point des dispositifs comportant
quelques dizaines voire à terme quelques
centaines de q.bit maintenus en état
de cohérence par des processus leur
évitant d'interférer avec le
monde macroscopique. Sur de tels objets, il
pourrait devenir possible de tester l'effet
de la gravité. Comme d'habitude sur
ce site, nous n'essaierons pas de décrire
ce que pourraient être de tels dispositifs,
renvoyant le lecteur suffisamment informé
aux publications des physiciens qui les imaginent(4).
En explorant le web, le lecteur trouvera de
nombreuses références aux chercheurs
et aux travaux s'intéressant aux nouvelles
approches expérimentales permettant
de mettre en évidence les relations
entre la mécanique quantique et la
gravité. Ceux-ci ne devraient pas aboutir
très rapidement, mais certainement
bien avant des recherches aujourd'hui embourbées
dans les arcanes de la théorie, telles
celles constituant la Théorie des Cordes.
La science perd très vite sa pertinence
si elle s'écarte trop durablement de
l'expérience.
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Références
(1) Michaël
Brooks. The secret Life of Reality
(2)
Il s'agit du phénomène décrit
sous le terme de "dilatation
du temps".
(3)
Wikipedia :
Fentes d'Young
(4) Voir Physical Review, Cisco Gooding et
George Unruh Self-gravitating
interferometry and intrinsic decoherence
* Voir aussi le Caslav Brukner Group . Quantum
foundations and quantum information theory
Notamment : Experimental
Superposition of Orders of Quantum Gates
* Voir aussi Scientific American :Physicists
Eye Quantum-Gravity Interface
* Voir aussi le
Markus Arndt's group
Post
scriptum au 24/01
Nous
avons reçu de notre ami Michel Gondran
les observations suivantes. Nous l'en remercions:
Cet
article discute de plusieurs problèmes
de physique
1. le rôle des qubit et des états
superposés pour tester la gravité
2. rendre cohérent mécanique
quantique et relativité générale
3. la réduction de la fonction donde
dans lexpérience des fentes de
Young avec des grosses molécules
Nous proposons quelques réflexions
sur ces trois problèmes qui sappuient
sur les interprétations de la mécanique
quantique et de la relativité
que nous proposons dans le livre qui vient
de paraitre:
Mécanique
quantique: et si Einstein et de Broglie avaient
aussi raison?
1. le rôle des qubit et des états
superposés pour tester la gravité
Quelque
soit le résultat que donnera lexpérience
proposée dans larticle, la difficulté
sera de bien linterpréter. Or
actuellement, il ya bien consensus sur les
résultats de lexpérience
EPR, mais non sur son interprétation.
AInsi,
dès 1982 dans la dernière édition
de La Théorie quantique et le
schisme en physique, Karl Popper
propose une interprétation réaliste
des expériences d'Aspect qui venaient
justes dêtre réalisées
:
Je ne suis pas tout à fait convaincu
que ces expériences sont interprétées
de façon correcte ; mais si elles le
sont, nous devons simplement admettre laction
à distance. Je pense (avec J.-P. Vigier)
que cela serait, bien entendu, très
important. Mais je ne pense pas un seul instant
que cela ébranlerait, ou même
toucherait, le réalisme. Newton et
Lorentz étaient réalistes et
admettaient laction à distance
; et lexpérience dAspect
serait la première expérience
cruciale visant à trancher entre les
interprétations lorentzienne et einsteinienne
des transformations de Lorentz.
Et il poursuit dans sa préface de 1982
:
Cela signifierait que nous devons abandonner
linterprétation dEinstein
[de 1905] de la relativité restreinte
et revenir à linterprétation
de Lorentz et, avec elle, à lespace
et au temps absolus de Newton. Il nest
pas nécessaire, dans ce cas, dabandonner
quelque formule de la théorie de la
relativité restreinte. La relativité
restreinte est en effet une interprétation
dun formalisme ; et le même formalisme
peut être interprété
soit par la relativité restreinte,
soit par la conception de Lorentz selon laquelle
nous avons un espace et un temps absolus mais
nous ne pouvons pas les détecter, pour
des raisons qui sont révélées
par le
formalisme. Alors que la théorie de
la relativité restreinte, dans linterprétation
dEinstein, dit que la simultanéité
na pas de sens absolu ; que si nous
navons aucun moyen de détecter
lespace et le temps absolus
si leur détection est vraiment
exclue par le formalisme alors nous
ne devrions pas supposer quils existent.
A cette époque naturellement, ladhésion
de Lorentz à lidée dun
éther au repos et à celle de
lespace et du temps newtoniens était
un peu choquante, tandis que linterprétation
relativiste du formalisme était simple,
élégante et convaincante.
Cest aussi le point de vue de Bell qui
conclut ainsi en 1984 dans son article «
Beables for quantum field theory »,
repris dans son livre de 1987 : « Comme
dans la relativité avant Einstein,
il y a un référentiel privilégié
dans la formulation de la théorie [
],
mais il est expérimentalement indistinguable.
Cela semble une manière excentrique
de faire le monde. »
Ce point de vue est repris par Bricmont :Si
on veut penser en termes de cause et deffets,
je ne vois pas comment éviter de sérieux
dommages collatéraux : ou bien on doit
admettre des actions allant dans le passé
(ce qui résulte de la combinaison entre
actions allant plus vite que la lumière
et invariante relativiste), ou bien introduire
un « éther », cest-à-dire
un repère privilégié
(mais inobservable) dans lequel les vrais
relations causales ont lieu. On ne peut renoncer
à penser en termes de cause et deffets.
Je ne nie pas que cela soit un sérieux
problème ; je souligne simplement que
le problème est là, indépendamment
de toute considération sur le «
réalisme » ou de tout attachement
sentimental à la théorie de
Bohm."
Or, linterprétation de lexpérience
EPR de Popper permet de rendre cohérent
mécanique quantique et relativité
générale comme nous le montrons
dans le point suivant.
2. rendre cohérent mécanique
quantique et relativité générale
Pour réconcilier les deux révolutions
de la physique fondamentale du xxe siècle,
la mécanique quantique et la relativité
générale, il est nécessaire
au minimum de les rendre cohérente
entre elles.
On
ne peut en effet se contenter de considérer
comme simultanément valables deux théories
qui
ont des visions radicalement différentes
sur le fonctionnement de lunivers :
la relativité générale
considère en effet le monde comme déterministe
et réaliste, tandis que la mécanique
quantique le considère comme non déterministe
et non réaliste.
Surmonter
cette contradiction nécessite le rapprochement
de ces visions de lunivers, soit en
rendant la relativité générale
non déterministe et non réaliste,
soit en rendant la mécanique quantique
déterministe et réaliste. La
plupart des approches actuelles pour construire
la relativité quantique consistent
à rendre non déterministe et
non réaliste la relativité.
Elles ont échoué pour le moment.
Nous avons montré dans notre livre
que lautre alternative était
possible : rendre déterministe et réaliste
la mécanique quantique sans en changer
les équations. Nous proposons en effet
deux interprétations déterministes
et réalistes possibles de la mécanique
quantique: l'interprétation de "
l'onde pilote de Broglie-Bohm" et la
"théorie de la double interprétation"
qui est une réponse à la "théorie
de la double solution" que recherchait
Louis de Broglie.
Pour
construire une gravité quantique, il
restait à montrer quil existait
une interprétation de la relativité
générale compatible avec nos
deux interprétations déterministes
et réalistes de la mécanique
quantique. Nous montrons qu'une telle interprétation
existe: c'est une interprétation de
la relativité générale
admettant un référentiel et
un temps privilégiés et prolongeant
l' interprétation de Lorentz-Poincaré
de la relativité restreinte. Ce point
de vue correspond au retour d'un certain éther
pour la relativité générale
et il est en accord celui d'Einstein de 1916,
1920 ("pour la relativité générale,
l'existence d'un éther est nécessaire"),
1924 et avec l'interprétation de Popper
de l'expérience EPR-B.
3.
la réduction de la fonction donde
dans lexpérience des fentes de
Young avec des grosses molécules
Lexpérience des fentes de Young,
avec ou non de grosses molécules, sexplique
très simplement dans linterprétation
de de Broglie-Bohm pour la quelle il existe
simultanément la fonction donde,
qui passe par les deux fentes, et la particule
, qui passe par une seule fente. On peut alors
montrer quil ny a continuité
entre le classique et le quantique: juste
à la sortie des fentes, on retrouve
le cas classique; on obtient progressivement
les interférences quand ht/m augmente
(h la constante de Planck, t le temps et m
la masse de la particule).
On peut retrouver ces résultats dans:
A. Gondran, Fentes de Young: trajectoires
délecrons? HAL-00656118 (2001-2012)
M. Gondran, A. Gondran, Numerical simulation
of the double-slit interference with ultracold
atoms, American Journal of Physics 73,
6, 2005
M.
Gondran, A. Gondran, Energy flow lines
and the "spot of Poisson-Arago ,
American Journal of Physics 78, 6, 598-, 2010.
Fentes
de Young Wikipedia
M.
Gondran, A. Gondran, Measurement in
the de Broglie-Bohm interpretation: Double-Slit,
Stern-Gerlach, EPR-B", Physics Research
International, vol. 2014, Article ID 605908,
16 pages (2014).
M.
Gondran, A. Gondran, A synthetic interpretation:
the double preparation theory", Physica
Scripta T163 (2014) 014029.
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