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Article.
Internet et contre-cultures
Jean-Paul Baquiast
18/01/2015
NB.
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Cette
note, compte tenu des circonstances durant
lesquelles elle a été écrite,
est nécessairement sommaire. L'auteur
s'est borné à présenter
quelques pistes qui, pour bien faire, mériteraient
d'être discutées. Mais le temps
manque. Automates intelligents
Il
est désormais courant de considérer
qu'Internet incarne la contre-culture, tant
en Europe que dans des Etats considérés
comme « autoritaires »:
Russie, Chine notamment. Les limites que cherchent
à imposer ces Etats à Internet
ou à leurs utilisateurs en seraient
d'ailleurs la preuve. Les praticiens d'Internet
que nous sommes savent cependant que l'affirmation,
à supposer qu'elle corresponde à
un grand fond de vérité, mérite
cependant d'être nuancée.
Nous
nous bornerons ici à une analyse de
la situation observable en France, chaque
pays pouvant avoir des cultures et des contre-cultures
différentes. Il est difficile de les
juger à partir d'observations plus
larges qui seraient nécessairement
limitées au peu de choses que l'on
peut connaître en France, à défaut
d'être un professionnel de la sociologie
comparée.
Précisons
d'emblée que nous ne mentionnerons
pas dans cet article les usages que font de
l'Internet les organisations criminelles et
terroristes. Il pourrait être tentent
d'assimiler ces organisations à des
formes de contre-culture. Elles représentent
au contraire des formes modernes, utilisant
les technologies numériques, de « cultures »
connues depuis la fin du 19e siècle,
qui relèvent du crime et de la terreur.
1.
En quoi consiste la « culture »
à laquelle s'opposerait une contre-culture
issue de l'Internet?
Il
s'agit de toutes les cultures « officielles »,
c'est-à-dire développées
par des institutions bien établies,
héritées d'époques antérieures
et encore reconnues comme légitimes
par une majorité des citoyens. Il n'est
pas question ici de les condamner systématiquement,
mais seulement d'évoquer les domaines
dans lesquels une contradiction, prenant la
forme de diverses contre-cultures, peut s'imposer
(voir 2. ci-dessous).
*
Les cultures correspondant à ce que
l'on pourrait appeler l'expression de l'ordre
public dans la société française.
Elles existent aussi dans d'autres pays européens,
et d'une façon bien plus minoritaires,
dans d'autres parties du monde. Mais en France,
elles sont véritablement devenues inséparables
de l'âme de la nation, forgée
au fil de l'histoire. D'où le fait
que les contester provoque en général
l'indignation de la population. Elles incarnent
le pouvoir de l'Etat, des administrations
et des services publics. Elles expriment aussi
les valeurs que ces institutions ont la charge
de protéger, liberté, égalité,
fraternité , laïcité, parité
entre les sexes...
* D'autres cultures sont beaucoup plus circonstancielles.
Elles doivent être critiquées
car elles sont souvent imposées par
des intérêts économiques
minoritaires mais puissants s'étant
arrogé des droits aux dépens
de minorités dominées. Elles
exercent cependant une influence considérable
sur la société, vu les modes
de vie consuméristes devenus majoritaires.
Il s'agit en premier lieu de la culture du
capitalisme libéral.
Le
capitalisme libéral ne peut être
globalement contesté aujourd'hui, car
il est le cadre dans lequel s'exerce l'activité
des entreprises « privées »
de toutes tailles. Sur un plan plus politique,
il s'exprime par le concept de libéralisme,
ou liberté d'entreprendre et d'exercer
des activités économiques, dans
le cadre de lois sociales, fiscales et visant
à la protection du milieu, lois déterminées
par l'Etat (soit dans le cadre national, soit
dans le cadre européen).
*
Mais le libéralisme a aujourd'hui dégénéré
en néo-libéralisme, économique
et financier. La France, immergée dans
la « mondialisation »
est soumise au jeu de grandes entreprises
internationales ou multinationales. Celles-ci
ne sont pas nécessairement illégitimes,
mais elles imposent des cultures, aujourd'hui
anglo-saxones, demain peut-être chinoises,
souvent en contradiction avec les cultures
économiques et sociales nationales.Plus
graves, parmi ces entreprises internationales,
se trouvent les entreprises financières,
souvent spéculatives, dominant aujourd'hui
toute la société et tentant
d'y imposer leur propre culture. On parle
à leur égard du pouvoir des
Banques et des Bourses, dont le centre se
trouve aujourd'hui à Wall Street.
* Il faut ajouter depuis quelques années
à ces entreprises internationales imposant
leurs cultures, celles que l'on qualifie de
« géants du web »,
toutes anglo-saxonnes. Elles ont pénétré
en profondeur les cultures nationales de tous
les pays, en y rendant quasiment obligatoire
des mots d'ordre vantant les aspects quasiment
civilisationnels sur lesquels repose leur
commerce: transparence obligé, saturation
des possibilités de réflexion
critique, promotion forcené de biens
et services gros consommateurs de ressources,
de temps et souvent inutiles, volonté
de mise en place finalement, à l'exemple
de Google, d'un « cerveau global »
dont elles seraient les centres décisionnaires.
Les
« réseaux sociaux »
fournis gratuitement ou presque à la
population par ces entreprises sont aujourd'hui
sur l'Internet un media quasi obligé
pour une expression souvent conditionnée
des citoyens (voir 2. ci-dessous)
*
Les entreprises commerciales ne s'interdisent
pas d'envahir le domaine de l'art, produisant
des formes d'art dites modernes ou contemporaines
(Art contemporain), qui sont le plus souvent
à finalité commerciale
*
Les médias papier, télévisuels
ou leurs versions numériques sont généralement
considérés comme un troisième
pouvoir, à coté du pouvoir étatique
et du pouvoir commercial. Ils diffusent en
priorité un culture favorables à
ces derniers, dont ils tiennent une partie
de leurs ressources. Les gouvernements font
largement appel à eux pour faire connaître
leurs objectifs et le plus souvent vanter
leur politique. Mais c'est désormais
la publicité commerciale qui inspire,
directement ou indirectement, une grande partie
des médias. Elle est omniprésente
et réduit de plus en plus les possibilités
d'exercice d'un journalisme critique et indépendant.
* Il faut mentionner aussi aux sources de
la culture française l'influence que
continuent à exercer les grandes religions,
catholicisme, protestantisme, judaïsme
et les valeurs que celles-ci promeuvent, ne
fut-ce que pour renforcer l'influence qu'elles
conservent sur les populations, malgré
un recul de la fréquentation des lieux
de culte. L'islam, plus récent, n'impose
sa culture que dans les quartiers urbains
à forte immigration. Mais il est en
plein développement du fait de la difficulté
à s'intégrer des populations
immigrées. Les valeurs religieuses
sont en place depuis des époques reculées
et continuent à garder une audience,
malgré une baisse de la croyance particulièrement
forte en France. Elles correspondent à
des besoins d'origine anthropologique encore
très répandus.
*
A l'écart voire le plus souvent à
l'opposé des cultures religieuses,
s'est depuis l'époque des Lumières,
développée en France, plus peut-être
que d'autres pays, une culture de la rationalité,
entraînant une forte présence
de la culture scientifique et dans certains
milieux universitaires et industriels, de
la recherche scientifique. Ce trait a beaucoup
bénéficié, au début
de la 3e République, des efforts gouvernementaux
pour promouvoir une instruction publique mise
au service des valeurs de la raison critique,
de la connaissance et de la laïcité.
*
Enfin, nul ne peut nier que les cultures officielles,
même en France, reposent sur divers
besoins collectifs profonds susceptibles de
conduire, en conjonction avec d'autres intérêts
plus immédiats, aux conquêtes
et aux guerres. Il s'agit de s'affirmer en
tant que groupe, se garder de l'étranger
sinon l'exclure, rechercher un minimum de
pouvoir sur cet étranger. Sous des
formes plus pacifiques, ces besoins animent
les sentiments nationaux et le patriotisme.
Les cultures correspondantes sont présentes
partout. Elles ont toujours contribué
aux conquêtes et aux guerres.
Des
cultures officielles qui font de plus en plus
appel à Internet
Depuis
quelques années la forte pénétration
de l'Internet dans la société
française, a servi à l'affirmation
de toutes les cultures officielles. Ceci en
général pour le meilleur mais
souvent aussi pour promouvoir les intérêts
immédiats souvent très contestables
de ceux qui s'incarnent dans ces cultures.
Il ne s'agit pas ici d'évoquer le fait
que tous les agents administratifs et économiques
utilisent désormais l'Internet pour
leur gestion ou les relations avec leurs correspondants,
ce qui leur est devenu indispensable, mais
le fait qu'ils s'en servent pour répandre
dans la population et faire partager leur
image et une appréciation favorable
de leur action.
*
Les pouvoirs publics, en principe chargés
de promouvoir la culture du service public,
de l'Etat, de la Nation, ont mis longtemps
à savoir utiliser l'Internet, en évitant
ce qui serait assimilé par l'opinion
à de la propagande. Mais désormais
ils le font, bien qu'encore parfois maladroitement.
*
Les entreprises commerciales, par contre,
ont fait dès l'origine de l'Internet
appel à lui pour diffuser .de façon
souvent envahissante leur image de marque
et les publicités pour leurs produits.
*
Le troisième pouvoir, celui des médias,
mentionné ici, fait montre d'une attitude
ambiguë face à l'Internet. Dans
la mesure où celui-ci héberge
désormais une grande quantité
d'auteurs et de blogs qui veulent les concurrencer
voire les remplacer, les médias, qu'ils
soient d'ailleurs sur supports classiques
ou en ligne, ont tenté longtemps de
se refermer sur leurs publics, sans guère
tenir compte du monde des réseaux.
N'ayant pu cependant le faire totalement,
ils ont toléré l'expression
d'informations et d'idées non nécessairement
compatibles avec les leurs, en leur ouvrant
des rubriques interactives en ligne. Mais
les débats sur ces rubriques sont contrôlés
(modérés) par eux, de façon
à ce que ce soit l'image et la culture
du média qui en sorte gagnante.
*
Les religions ont suivi une évolution
voisine. Longtemps hostiles à l'expression
de leur culture sur l'Internet, de peur de
perdre le contrôle, elles l'utilisent
de plus en plus systématiquement comme
support culturel et missionnaire. Elles suivent
en cela l'exemple des églises évangéliques
américaines, inspirées par leur
proximité avec la Silicon Valley, patrie
de l'Internet. Récemment, en France,
si l'islam « officiel »
est très peu présent sur Internet,
celui-ci se trouve désormais envahi
par des appels à la guerre sainte qui
se revendiquent comme inspirée par
une lecture fondamentaliste du Coran. Nous
reviendrons sur ce point particulier ci-dessous.
2.
L'explosion des contre-cultures profitant
de la généralisation de l'Internet
Ces contre-cultures sont devenues très
nombreuses et très différentes.
Il n'est pas possible dans ce court article
d'en faire un recensement. Tout au plus peut-on
signaler celles qui sont les plus visibles,
du fait qu'elles s'appuient systématiquement
sur l'Internet. Certaines de ces contre-cultures
restent limitées à des échanges
entre affiliés restant confidentiels.
D'autres au contraire visent à se faire
très largement connaître, au
plan national comme international. Elles semblent
en ce sens vouloir remplacer les cultures
officielles aujourd'hui en place, au risque
de se fossiliser à leur tour et susciter
des contre-contre-cultures.
Vis-à-vis
de ces contre-cultures, deux jugements généraux
s'opposent. Selon le premier il s'agit d'une
porte salutaire à la créativité,
individuelle ou collective, bloquée
par les cultures officielles. Selon d'autres,
il s'agit de contestations systématiques,
provenant d'intérêts économiques
et politiques étrangers aux cultures
nationales, et tentant de les détruire
en se propageant sur le mode épidémique.
Ces deux jugements ne sont pas incompatibles.
Ils doivent donc tous deux être pris
en considération.
*
Contre- cultures politiques et géopolitiques.
Il s'agit d'abord, pour ceux qui s'y livrent,
de discuter ou contredire, si possible avec
des arguments solides, les affirmation des
gouvernements, des organisations internationales,
des think tanks financés par les pouvoirs.
Cette contestation, qui n'a pas accès
aux médias officiels, rassemble cependant,
grâce l'Internet, de plus en plus de
citoyens, fussent-ils membres des partis au
pouvoir.
Par ailleurs se multiplient les efforts pour
définir des programmes ou des formes
d'action alternatives. Certaines de ces propositions,
quand elles ne versent pas dans l'utopie et
avec un peu de savoir-faire de la part de
ceux qui les émettent, peuvent être
prises en compte (non sans déformations
et détournements) par les instances
politiques institutionnelles. C'est ainsi
qu'aujourd'hui en France grandit un mouvement
d'opinion encore souterrain recommandant une
alliance avec la Russie, à l'encontre
des consignes diffusées par les Etats-Unis.
Il commence à être repris par
les pouvoirs politiques et les médias,malgré
ke fait que pour la majorité de ceux-ci
le modèle à suivre est représenté
par l'Amérique, tandis que la Russie
est encore l'ennemi, comme elle le fut du
temps du stalinisme.
*
Contre-cultures économiques ou de politique
économique. Internet permet l'émergence
et le rassemblement de nombreux idées
ou initiatives émanant des consommateurs,
des salariés et de plus en plus souvent
de représentants d'entreprises, en
faveur de solutions rejetées par la
culture officielle. C'est ainsi que face à
la culture obsessionnelle de la croissance,
apparaissent des avocats de la décroissance
décroissance pour eux-mêmes
et pas seulement pour les autres. Face au
modèle de l'entreprise capitalistique
concentrée, dans l'industrie, l'agriculture
ou la grande distribution, se multiplient
des initiatives d'esprit coopératif,
associant souvent petits producteurs et clientèles
de proximité. Sans l'Internet, elles
auraient beaucoup de mal à se faire
connaître.
*
Contre-cultures journalistiques, artistiques,
philosophiques. L'Internet a dès ses
origines encouragé de nombreux créateurs
à proposer et tenter de faire partager
des thèmes s'écartant là
encore de ceux qui encombrent les médias
officiels et qui sont soutenus par les catégories
sociales dominantes. Il en résulte
souvent beaucoup de bruit, de nombreuses contradictions,
parmi lesquelles risquent de se perdre les
créations susceptibles de changer en
profondeur les idées reçus.
Mais de ce désordre apparent peuvent
finir par s'imposer de réelles nouveautés,
correspondant à des besoins sociaux
non encore reconnus. Ainsi les blogs qui se
multiplient dorénavant concurrencent-ils
durement la presse établie, l'art commercial
ou la pensée philosophique ayant perdu
tout esprit critique.
*
Contre-cultures scientifiques. Face à
la vulgarisation de la recherche scientifique
et à la publicité donnée
par la plupart des médias à
ses aspects positifs pour la société,
prolifère sur Internet la contestation
d'une science « officielle »
présentée comme inexacte, dangereuse
ou attentatoires aux « vérités »
inscrites dans les Ecritures religieuses.
Le phénomène remonte aux origines
de la pensée rationaliste. Depuis des
millénaires s'étaient multipliées
des formes de connaissances que l'on pourrait
qualifier aujourd'hui de pré-scientifiques
ou empiristes, fort légitimes à
ces époques, faute d'accès à
des moyens plus précis d'étude
du monde. Elles faisaient largement appel
aux démarches magiques, chamaniques
et messianiques.
Aujourd'hui, elles ont été repoussées
par le rationalisme dans le domaine du para-scientifique
ou pire, dans celui de la pensée sectaire.
Les nouveaux gourous, refusant toute mise
à l'épreuve scientifique, peuvent
recruter sur Internet des millions d'adeptes
qui espèrent trouver dans les solutions
abondamment proposées par eux sur le
web des remèdes à leurs maux
réels ou imaginaires.
Caractéristiques
générales des contre-cultures
s'exprimant sur Internet
Ces
contre-cultures présentent des caractéristiques
générales pouvant expliquer
leurs qualités et aussi leurs défauts,
sinon leurs dérives. Les sciences dites
systémiques s'efforceront de plus en
plus de les comprendre en termes globaux,
notamment dans la ligne de ce que nous nommons
ici l'anthropotechnique.
Les propriétés propres de l'Internet
peuvent expliquer, voire renforcer le développement
de ces contre-cultures.
*
Parmi ces propriétés certaines
constituent de véritables apports à
la créativité intellectuelle.
Mentionnons par exemple l'ouverture à
tous. Chacun, dès qu'il dispose d'un
minimum de langage et d'une entrée
sur Internet, peut s'y exprimer, soit pour
produire des idées, soit pour discuter
celles des autres. Dans le cadre de cette
ouverture, il faut rappeler que l'Internet
permet désormais, sous réserves
des difficultés de compréhension,
l'accès à une quantité
quasi infinie de sources, contemporaines et
historiques, sans lesquelles aucune pensée
originale n'est possible. Un autre point doit
être rappelé: il s'agit de la
contemporanéité ou de l'instantanéité.
Il n'est plus nécessaire, que ce soit
pour s'informer ou pour s'exprimer, d'attendre
les longs délais imposées par
les voies de communication traditionnelles.
*
D'autres propriétés de l'Internet
sont souvent évoquées à
titre péjoratif.. Il s'agit d'abord
de l'anonymat rendu possible par le réseau
à tous ceux ne voulent* pas se désigner
ouvertement comme les auteurs des idées
qui y sont formulées. Cet anonymat
est légitime lorsque certains auteurs,
pour des raisons diverses ne sont pas autorisés
à s'exprimer, ou n'osent pas s'exprimer
sous leur nom véritable. Mais le plus
souvent l'anonymat permet le défoulement
d'innombrables formes d'agressions ou de contre-vérités
manifestes. Il est certes à peu près
impossible de supprimer la possibilité
de telles expressions anonymes. Il est donc
nécessaire de s'y résigner,
quitte à afficher soi-même, quels
que soient les risques, sa propre identité.
*
Un autre défaut d'internet, aux yeux
tout au moins de ceux qui recherchent une
certaine forme de perfection dans la formulation,
est le simplisme des formes d'expression qu'il
permet désormais, notamment dans les
réseaux sociaux. Comment formuler en
quelques mots un jugement équilibré
portant sur une question complexe? Or l'affirmation
simpliste entraînant des réactions
simplistes, ce sont des avalanches de banalités
souvent mêlées d'inexactitudes
qui déferlent à tous propos.
Mais les optimistes pensent que si l'Internet
était plus exigeant (sur le modèle
des revues scientifiques) plus personne n'oserait
s'y exprimer, ce qui serait une perte pour
la démocratie.
*
Beaucoup regrettent aussi le fait qu'Internet
permette à chacun de formuler un point
de vue et de le diffuser potentiellement au
monde entier en temps réel. Sitôt
esquissée dans le cerveau de l'émetteur,
le jugement simpliste mentionné au
précédent paragraphe peut se
trouver matérialisé par un message.
Ceci n'encourage pas le nécessaire
temps de réflexion non plus que les
retours en arrière s'imposant à
toute personne un peu réfléchie.
*
Les scientifiques ayant étudié
la théorie des mèmes initialement
proposée par Richard Dawkins, observent
un phénomène très différent,
qui peut favoriser la prolifération
de contres-cultures de moins en moins contrôlées
par les émetteurs. Selon cette théorie,
rappelons-le, souvent étudiée
sur ce site, toute phrase, image, symbole
émis dans un réseau permettant
la communication de sources à sources,
se comporte comme une sorte de virus dans
le milieu biologique.
Il s'agit de ce que la théorie nomme
des mèmes. Le mème se reproduit
sur le mode épidémique, il passe
de l'un à l'autre hôte en mutant
le cas échéant, il peut contaminer
en profondeur et transformer en agent contaminateur
tous ceux qu'il atteint, personne physique,
parole, texte. Ceci permet de comprendre comment,
au sein des cultures dominantes mais plus
encore au sein des contre-cultures, des opinions
ou images émises par un individu donné
peuvent acquérir une diffusion et des
formes que voudrait souvent désavouer
l'émetteur initial, du fait qu'il ne
les reconnaît plus.
Mais
il ne peut plus le faire. Le milieu est désormais
contaminé. Le phénomène
de la diffusion mémétique explique
ce qui surprend aujourd'hui beaucoup d'observateurs
n'ayant pas approfondi la question. Pourquoi
par exemple, malgré les censures morales
qu'elles déclenchent chez la plupart
des internautes, des images de viols, tortures,
décapitations prolifèrent si
facilement sur le web, avec l'assentiment
inconscient de ceux qui les reçoivent
et qui consciemment en désapprouvent
le contenu et ne voudraient pas les retransmettre.
C'est
que l'humain, anthropos, associé
au techniques, s'y retrouve avec toutes ses
caractéristiques, biologiques et neurologiques,
notamment celles par lesquelles les normes
sociales aujourd'hui reconnues comme nécessaires
dans nos société, voudraient
l'en protéger: agressivité,
jalousie, haine de l'autre, voire envie de
tuer, au moins symboliquement.
Nous avons désigné depuis longtemps
du terme de systèmes anthropotechniques
les symbioses quasiment définitives
s'étant établies, depuis l'apparition
des premiers outils, entre les humains et
les techniques. Aujourd'hui, comprendre le
rôle de l'Internet dans la prolifération
contemporaine des contre-cultures appelle
manifestement le recours à l'approche
anthropotechnique.
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